Barcelone, Espagne __ Le dépistage digital à l’aide d’un simple smartphone multiplie par deux le diagnostic de fibrillations auriculaires nécessitant un traitement, dans une population ciblée de personnes âgées, d’après les résultats de l’étude eBRAVE-AF [1,2] exposés au Congrès de l’ESC 2022.
On ne présente plus la fibrillation auriculaire (FA) ni les smartphones et leurs applications médicales notamment pour le dépistage de ce trouble du rythme.
Mais, l’originalité de l’essai eBRAVE-AF, mené par le Pr Axel Bauer et coll. (Université médicale d’Innsbruck, Autriche) est d’être une étude randomisée comparant directement le dépistage digital, par un smartphone ordinaire avec la prise en charge habituelle d’une FA nécessitant un traitement.
À noter que « la pré-détection réalisée par des capteurs de Photoplétysmographie (PPG) du téléphone portable n’était qu’une partie du programme qui incluait l’ECG en cas d’anomalie détectée et la prise en charge par le médecin traitant, indépendant de l’étude », précise le Pr A. Bauer, répondant en partie à la question « que faire de ces patients? »
Une population à risque thromboembolique élevé
Les assurés d’une grande mutuelle allemande ont été invités à participer à l’étude s'ils remplissaient les critères suivants : âge compris entre 50 et 90 ans ans, aucune fibrillation auriculaire connue, aucune prescription d'anticoagulants oraux, et un score CHA2DS2-VASc ≥1 (hommes ; ≥2 chez les femmes).
L'essai a retenu 5 551 des 67 488 assurés invités. L'âge médian des participants était de 65 ans, 31 % étaient des femmes et ils étaient à risque d’accidents thrombo-emboliques (CHA²DS²-VASc moyen 3).
Ils ont été randomisés pour suivre une stratégie de dépistage de la fibrillation auriculaire de six mois, numérique (G1) ou conventionnelle (G2).
Les participants au volet numérique ont téléchargé une application certifiée sur leur propre smartphone mesurant les irrégularités du pouls à l'aide du capteur photopléthysmographique (PPG) du téléphone. Pour commencer une mesure PPG d'une minute, ils devaient placer leur doigt sur la caméra du smartphone.
Les sujets ont été invités à effectuer des mesures deux fois par jour pendant 14 jours, puis deux fois par semaine - des notifications push ont été utilisées comme rappels.
Enrôlés entre le 4 février 2020 et le 31 juillet 2020, en plein COVID-19, « il n’y a pas eu de contact face-à-face des investigateurs avec les participants. Les échanges s’effectuant par téléphone, mail et la Poste », indique le Pr. Bauer.
Lorsque des oscillations PPG anormales étaient détectées par le centre recruteur, le participant recevait un patch pour 14 jours d’enregistrement d’un tracé ECG en boucle qu’il renvoyait par la poste. Chaque participant remplissait régulièrement via le net un questionnaire et consultait son médecin si besoin.
Après cette période de 6 mois, un cross-over était réalisé chez les participants restés indemnes de FA. La cohorte G2 enregistrait selon les modalités initiales pendant 6 mois, l’ex-G1 bénéficiant du suivi conventionnel.
Au cours des 12 mois, les chercheurs ont repéré, dans cette population asymptomatique, 85 patients ayant une FA conduisant à une anticoagulation (critère primaire) initiée par leur médecin.
Une faible détection, mais pour A. Bauer « le strict ciblage de la population participante et la rigueur du critère primaire [FA et anticoagulation] démarque eBRAVE-AF des autres études qui recrutaient des patients de tous âges, non randomisés, chez lesquels le suivi des actions thérapeutiques (anticoagulants) n’avait pas été fait ni précisé ».
35 % de détection
La Pre Emma Svennberg (CHU Karolinska, Stockholm, Suède) saluant la qualité de l’étude remarque « comparativement aux autres études de ce type, le nombre de sujets inclus n’est pas très important seulement 8 % des quelques 67 500 pressentis. Mais, leur âge, 66 ans et le score CHA²DS²-VASc les placeraient, en cas de FA, dans la population à risque thromboembolique élevé. Les échanges via Internet sont un point fort de l’étude permettant son achèvement en période de pandémie. Elle montre que la détection est faible mais réalisable ouvrant la voie à d’autres études dans une large population plus à risque », ajoute-t-elle.
Lors des premiers 6 mois parmi les 2 860 du groupe digital G1 : 38 (1,33 %) ont présenté le critère primaire contre 17 (0,63 %) dans le groupe conventionnel G2 (OR 2,12, P = 0,01). Après le cross over les résultats ont été similaires avec un OR 2.95, P = 0 ,001 entre le G2 attribué au dépistage digital et l’ex G1 devenu conventionnel.
À noter que 86 % des patients ont poursuivi l’étude et que la compliance pour le recueil des tracés était de l’ordre de 80 %. La stratégie a donc été bien suivie.
« Une analyse détaillée des modes de détection de la FA pendant le dépistage a révélé que le tiers de ces cas était dans le groupe conventionnel alors que les deux tiers des FA nouvellement diagnostiquées ont été obtenus par PPG. Parmi 173 PPG anormales transmises 59 ont été confirmées par l’ECG, soit une probabilité de détection de 35,2 % » précise le Pr A. Bauer.
Le Pr G. Hindrick co-modérateur, s’étonne de la compliance de ces sujets et de la faible détection dans cette population. « La tranche d’âge de la population incluse dans l’étude est une des explications de l’adhérence, les sujets étaient plus soucieux de leur santé et enregistraient plus volontiers que les jeunes. Les contacts par Internet ou téléphone ont probablement aussi motivé les participants. Pour la faible détection malgré le recrutement par l’intermédiaire d’une assurance maladie, des études dans un population plus à risque sont nécessaires », répond le Pr A. Bauer.
« Je regrette que les auteurs n’aient pas mentionné le nombre de participants ayant une hypertension artérielle qui est un facteur de risque de la FA », remarque la Pre E. Svennberg.
La détection par smartphone associée aux événements cardiovasculaires
La FA détectée par PPG et aussi l’enregistrement d’une PPG anormale prédisaient significativement les complications cardiaques et cérébrovasculaires lors de l’analyse des critères secondaires pendant la période de 12 mois.
Le Pr Bauer conclut : « Cet essai est centré sur une population précise. Nous avons montré que le dépistage digital était bien perçu par les sujets âgés qui enregistrent plus volontiers. La FA détectée par les smartphones et l’enregistrement d’un PPG anormal ont une signification pronostique en prédisant les événements cardiovasculaires majeurs ».
« Dans la vraie vie nous sommes volontiers interpelés par les patients montrant ces tracés « PPG » plus ou moins réguliers enregistrés ! Pas de « détection miraculeuse » dans cet étude, deux recueils sur trois chez ces sujets éduqués sont des leurres et le nombre de FA reste très faible. Toutefois les résultats nous indiquent que nous devrons dorénavant prendre plus au sérieux ces sinusoïdes. Un tiers sont de potentielles FA qui nécessiteraient un traitement anticoagulant », Dr Jean-Pierre Usdin.
L’étude a en partie été sponsorisée par Pfeizer.
Conflits d’intérêts.
Axel Bauer: Pfizer GmbH Germany (partial funding of eBRAVE study).
Emma Svennberg: Bayer, BMS, Boehringer-Ingelheim, J&J, MSD.
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Citer cet article: eBRAVE-AF : Deux fois plus de FA à risque détectées et traitées avec la PPG disponible sur tous les smartphones. - Medscape - 6 sept 2022.
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