Barcelone, Espagne – L'intervention coronarienne percutanée (ICP) associée à un traitement médical optimal (TMO) ne prolonge pas la survie et n'améliore pas la fonction ventriculaire par rapport au TMO seul chez les patients atteints de cardiomyopathie ischémique sévère, selon les résultats de l'essai REVIVED-BCIS2 présentés lors du Congrès 2022 de la Société européenne de cardiologie (ESC) [1].
L'étude, publiée simultanément dans le New England Journal of Medicine, fournit les premières preuves solides sur la question d’un intérêt éventuel de l’ICP dans la cardiomyopathie ischémique [2].
Le principal résultat composite, à savoir le décès toutes causes confondues ou l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque, est survenu chez 37,2 % des patients du groupe ICP et 38 % des patients du groupe OMT (hazard ratio [HR], 0,99 ; P = 0,96) sur une période de suivi médiane de 3,4 ans. Le résultat était similaire dans tous les sous-groupes.
Il n'y avait pas de différences significatives sur la fraction d'éjection du ventricule gauche (FEVG) à 6 et 12 mois.
Les scores de qualité de vie ont favorisé l'angioplastie au début de l'étude, mais il y a eu un rattrapage au fil du temps avec le traitement médical, et cet avantage a disparu au bout de deux ans, a rapporté l'investigateur principal le Dr Divaka Perera, King's College London, Royaume-Uni.
« La conclusion est que nous ne devrions pas proposer l'angioplastie aux patients qui présentent une dysfonction ventriculaire gauche stable et bien traitée », a déclaré le Dr Perera à theheart.org | Medscape Cardiology. « Mais nous devrions tout de même envisager une revascularisation chez les patients qui présentent des syndromes coronariens aigus ou qui ont beaucoup d'angor, car ils n'ont pas été inclus dans l'essai ».
« Dans la pratique, on revascularise presque systématiquement ces patients- là, le plus souvent par angioplastie, alors que le niveau de preuve est inexistant. Or, cette étude montre que la revascularisation chez ce type de patients n’a pas d’intérêt ou un intérêt modeste. Toutefois, il est probable que les gens ne changent pas leur pratique car en cas de tronc serré, il est un peu difficile de ne pas revasculariser. Ces résultats devraient toutefois nous inciter à tempérer un peu nos ardeurs à vouloir revasculariser au détriment d’une prise en charge plus holistique (réadaptation…), Il ne faut pas se tromper de priorité chez ces patients-là », a commenté le Pr Damien Logeart (hôpital lariboisière, Paris) pour Medscape édition française.
Que disent les recommandations ?
Les recommandations de revascularisation aux États-Unis ne préconisent pas l'ICP, contrairement aux recommandations européennes qui préconisent d'abord le pontage pour les patients présentant une maladie multivaisseaux (classe 1) et ont une indication de classe 2a, niveau de preuve C, pour l'ICP chez certains patients. Les recommandations américaines et européennes sur l'insuffisance cardiaque préconisent également un traitement optimal et le pontage chez certains patients dont la fraction d'éjection est inférieure ou égale à 35 %.
Ces recommandations sont fondées sur un consensus d’experts et sur l'essai STICH , dans lequel le pontage coronarien associé à un traitement de fond n'a pas apporté de bénéfice en termes de mortalité par rapport au traitement de fond seul à 5 ans, mais a amélioré la survie à 10 ans dans l'étude d'extension STICHES.
« Le traitement médical de l'insuffisance cardiaque est efficace et les résultats de cet essai le rappellent », a déclaré le Dr Eric Velazquez (Université Yale, Etats-Unis), qui a dirigé l'étude STICH et a été invité à commenter les résultats.
La mortalité ne fera que s'améliorer avec l'utilisation des inhibiteurs du SGLT2, a-t-il ajouté (non-inclus dans l'essai).
L'utilisation des IEC, des ARA et des bêtabloquants était similaire à celle de STICH et excellente dans REVIVED. « Ils ont fait un meilleur travail en matière d'utilisation des défibrillateurs implantables et des thérapies de resynchronisation cardiaque que l'essai STICH et je pense que l'impact de ces changements doit être exploré plus avant ».
Néanmoins, les patients atteints de cardiomyopathie ischémique ont « une mortalité élevée inacceptable », la mortalité observée étant d'environ 20 % à 3 ans et d'environ 35 % à 5 ans, a souligné le Dr Velazquez.
Dans la plupart des essais sur l'insuffisance cardiaque, c’est l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque qui tire le critère d'évaluation composite, mais c'est le contraire qui s'est produit ici et dans STICH, a-t-il observé. « Vous aviez deux fois plus de risque de mourir pendant les 3 à 4 ans que d'être hospitalisé pour insuffisance cardiaque, et il est important que nous réalisions cela chez nos patients atteints de cardiomyopathie ischémique ».
Ces résultats ne conduiront probablement pas à modifier les recommandations, pense le Dr Velazquez. « Je pense que nous allons maintenir le statu quo pour l'instant en attendant d’obtenir plus de données ».
Malgré l'absence de données randomisées, il a rappelé que l'angioplastie est de plus en plus pratiquée chez les patients atteints de cardiomyopathie ischémique, les données des registres suggérant que près de 60 % des patients ont bénéficié de cette procédure.
Invité à commenter ces données, le Dr Clyde Yancy, chef du service de cardiologie et vice-doyen de la diversité et de l'inclusion à la Northwestern University Feinberg School of Medicine à Chicago, a déclaré : « Pour l'instant, les recommandations sont justes. La thérapie par médicament et par dispositif médical tels que préconisée est la norme d'excellence pour l'insuffisance cardiaque, y compris en cas d'insuffisance cardiaque pour causes ischémiques. Ces données résolvent-elles la question de la revascularisation en cas de maladie coronarienne et d'insuffisance cardiaque à FE réduite ? Certainement pas », a-t-il ajouté. « Le jugement clinique doit prévaloir et, le cas échéant, la revascularisation coronaire reste à envisager. Mais ce n'est pas une panacée ».
Résultats détaillés
Entre août 2013 et mars 2020, REVIVED-BCIS2 a recruté 700 patients dans 40 centres britanniques qui présentaient une FEVG ≤ 35 %, une coronaropathie étendue (définie par un score BCIS-JS d'au moins 6) et une viabilité dans au moins quatre segments myocardiques pouvant être soumis à une ICP. Les patients ont été répartis de manière égale et aléatoire entre un traitement pharmacologique et un traitement par dispositif adapté à l'insuffisance cardiaque seul ou avec une angioplastie.
L'âge moyen était d'environ 70 ans, 12,3 % de femmes seulement, 344 patients présentaient une coronaropathie à 2 vaisseaux et 281 une coronaropathie à 3 vaisseaux. La FEVG moyenne était de 27 % et le score BCIS-JS médian de 10.
Au cours du suivi, qui a atteint 8,5 ans chez certains patients en raison de la longueur du recrutement, 31,7 % des patients du groupe ICP et 32,6 % des patients du groupe traitement médical optimal (TMO) sont décédés de quelque cause que ce soit et 14,7 % et 15,3 %, respectivement, ont été admis pour insuffisance cardiaque.
La FEVG s'est améliorée de 1,8% à 6 mois et de 2% à 12 mois dans le groupe ICP et de 3,4% et 1,1%, respectivement, dans le groupe OMT. La différence moyenne entre les groupes était de -1,6% à 6 mois et de 0,9% à 12 mois.
En ce qui concerne la qualité de vie, le score sommaire global du Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire était en faveur du groupe ICP de + 6,5 points à 6 mois et de + 4,5 points à 12 mois, mais à 24 mois, la différence entre les groupes était de 2,6 points (IC 95 %, -0,7 à 5,8). Les scores du questionnaire à 5 dimensions et à 5 niveaux de l'EuroQol Group ont suivi un schéma similaire.
Les revascularisations non planifiées étaient plus fréquentes dans le groupe OMT (HR, 0,27 ; IC 95%, 0,13 - 0,53). Les taux d'infarctus aigus du myocarde étaient similaires dans les deux groupes (HR, 1,01, IC à 95 %, 0,64 - 1,60), le groupe ICP présentant plus d'infarctus périprocéduraux et un peu moins d'infarctus spontanés.
Les raisons possibles des résultats discordants entre STICH et REVIVED sont le triplement de la mortalité dans les 30 jours suivant le pontage, ce qui n’apparait pas avec l'ICP, a déclaré l'investigateur principal, le Dr Perera dans une interview. Le traitement médical a également évolué au fil du temps et REVIVED a recruté une population plus proche des patients vus en vie réelle avec un âge médian proche de 70 ans contre 59 ans dans STICH.
Un degré de coronaropathie « modeste » ?
Un éditorial accompagnant l’article souligne que, malgré une dysfonction ventriculaire considérable, environ la moitié des patients de REVIVED ne présentaient qu'une maladie incriminant deux vaisseaux et une médiane de deux lésions traitées [3].
« Ce degré relativement modeste de maladie coronarienne semble inhabituel pour des patients sélectionnés pour subir une revascularisation dans l'espoir de restaurer ou de normaliser la fonction ventriculaire », écrit le Dr Ajay Kirtane, du Columbia University Irving Medical Center, NewYork-Presbyterian Hospital, New York City.
Il ajoute que des précisions seront nécessaires sur l'exhaustivité de la revascularisation, la gravité de la sténose, l'évaluation physiologique de la lésion et, « surtout, la corrélation de la sténose avec des tests antérieurs d'ischémie ou de viabilité. »
En réponse à l'éditorial, le Dr Perera a convenu que les informations sur le type de revascularisation et la viabilité myocardique sont importantes. Il a déclaré qu'ils espéraient partager les analyses des données récemment levées à l'aveugle lors de la réunion de l'American College of Cardiology au printemps prochain. Il est important de noter qu'environ 71 % des tests de viabilité ont été effectués par IRM cardiaque et le reste en grande partie par échocardiographie de stress à la dobutamine.
Il n'est cependant pas d'accord avec le fait que les participants présentaient une coronaropathie relativement modeste d'après la classification (2 ou 3 vaisseaux) et a indiqué que le score médian du BCIS-JS, plus granulaire, était de 10, le maximum de 12 indiquant que l'ensemble du myocarde est alimenté par des vaisseaux malades.
L'essai a également inclus près de 100 patients atteints d'une maladie du tronc principal gauche, un groupe qui n'était pas inclus dans les précédents essais, notamment STICH et ISCHEMIA, a noté le Dr Perera. « Donc, je pense qu'il s'agissait d'une maladie coronaire assez, assez sévère, mais d'une cohorte qui était mieux traitée médicalement ».
Le Dr George Dangas, PhD, professeur de médecine à l'Icahn School of Medicine at Mount Sinai à New York, a déclaré que l'étude fournissait des informations précieuses, mais s’est dit préoccupé par le fait que l'insuffisance cardiaque chronique dans l'essai était beaucoup plus avancée que la maladie coronarienne.
« Si vous gérez au mieux l'insuffisance cardiaque chronique avec des thérapies avancées, un dispositif médical, une transplantation ou tout autre moyen, cela pourrait avoir la priorité sur la prise en charge des lésions coronariennes », a déclaré M. Dangas, qui n'a pas été associé à REVIVED. « Je m'attendrais à ce que les lésions coronariennes prennent plus d'importance pour des lésions de classe 3 ou une symptomatologie plus importante, et, encore une fois dans cette étude, cela n’était pas le cas chez plus de 70 % des patients. »
A lire aussi, les commentaires du Pr Gabriel Steg sur cette étude.
L'étude a été financée par le programme d'évaluation des technologies de la santé du National Institute for Health and Care Research. Perera, Velazquez et Dangas ne signalent aucune relation financière pertinente.
Le Dr Kirtane fait état de subventions, d'un soutien non financier et autres de Medtronic, Abbott Vascular, Boston Scientific, Abiomed, CathWorks, Siemens, Philips, ReCor Medical, Cardiovascular Systems Incorporated, Amgen et Chiesi. Il fait état de subventions et autres de Neurotronic, Magental Medical, Canon, SoniVie, Shockwave Medical et Merck. Il fait également état d'un soutien non financier de la part d'Opsens, Zoll, Regeneron, Biotronik et Bolt Medical, et d'honoraires personnels de la part d'IMDS.
L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé PCI Fails to Beat OMT in Ischemic Cardiomyopathy: REVIVED-BCIS2. Traduit par Stéphanie Lavaud.
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Citer cet article: Cardiomyopathie ischémique : l’angioplastie ne fait pas mieux qu’un traitement médical optimal dans REVIVED-BCIS2 - Medscape - 30 août 2022.
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