Dépistage du cancer du poumon aux Etats-Unis: des progrès encore limités pour certaines populations à risque

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

11 août 2022

Baltimore, Etats-Unis — Aux Etats-Unis, malgré l’élargissement en 2021 des critères d’éligibilité au dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, les inégalités d’accès persistent dans certaines populations à risque. Selon une étude menée dans une ville américaine, le dépistage dans la population cible reste bas chez les femmes et les personnes ayant un faible niveau d’éducation, mais s’améliore nettement chez les Afro-américains [1].

Le changement est majeur outre-Atlantique. Après avoir approuvé en 2013 le dépistage du cancer du poumon à partir de 55 ans chez les individus asymptomatiques fumant ou ayant fumé 30 paquets-années (20 cigarettes/jour pendant 30 ans ou 40 cigarettes/jour pendant 15 ans), le groupe de travail des services préventifs des Etats-Unis (USPSTF) a avancé en 2021 l’âge du dépistage à 50 ans et réduit le seuil d’intensité du tabagisme à 20 paquets-années, ce qui représente presque deux fois plus de personnes éligibles.

La mise en place d’un programme de dépistage aux Etats-Unis a été validée après les résultats de l’étude NLST, qui a montré en 2011 qu’un dépistage par scanner hélicoïdal faiblement irradiant est associé à une baisse de mortalité par cancer du poumon de 20%. En France, après s’être montrée longtemps réticente, la Haute autorité de santé (HAS) s’est récemment déclarée favorable à l’expérimentation du dépistage organisé du cancer du poumon.

En permettant une nette diminution du taux de faux positif rapporté dans l’étude NLST, tout en conservant un impact similaire sur la mortalité, le changement de méthodologie appliqué dans un autre essai plus récent (essai NELSON), a clairement changé la donne [3]. Une étude menée en France à l’échelle d'un département a depuis confirmé l’efficacité et la faisabilité du dépistage organisé. VR

Parvenir à davantage d’équité

« L’élargissement des critères de dépistage est une première étape essentielle pour parvenir à une équité dans le dépistage du cancer du poumon pour toutes les populations à risque élevé. Il reste toutefois beaucoup de défis à relever avant que les individus concernés franchissent la porte du dépistage », écrivent les auteurs de l’étude conduite par la Dr Julie Barta, pneumologue au Thomas Jefferson University Hospitals, à Philadelphia (Etats-Unis).

Le taux de participation représente en effet un enjeu important dans ce dépistage, qui suscite globalement peu d’adhésion. « Des efforts doivent être menés en simultané avec des changements de politique de santé publique pour mieux sensibiliser, surmonter les obstacles logistiques et favoriser l’adhésion au dépistage. Un dépistage véritablement équitable du cancer du poumon sera possible uniquement après avoir identifié, validé et mis en œuvre des stratégies visant à lever les freins ». 

Dans cette étude publiée dans JAMA Open Network, les chercheurs ont analysé les taux de dépistage du cancer des poumons par scanner faible dose dans la ville de Baltimore, aux Etats-Unis, afin d’évaluer l’impact des nouvelles recommandations de l’USPSTF. En plus d’un élargissement du dépistage, ils s’attendaient à ce que des populations moins testées, comme les Afro-américains, les Hispaniques ou les femmes, soient davantage représentées.

« Des travaux dans ce domaine ont montré que les Noirs américains développent un cancer du poumon à des stades plus avancés ou sont plus souvent diagnostiqués à un âge plus jeune et avec un niveau de tabagisme moindre. En augmentant le nombre de personnes éligibles, on supposait une baisse de certaines disparités dans l’accès au dépistage du cancer du poumon », a déclaré la Dr Barta auprès de Medscape édition internationale.

Plus de 50% de participants afro-américains

Pendant la période de l’étude (mars à décembre 2021), 815 personnes ont été dépistées à Baltimore. Les chercheurs ont distingué ceux qui répondaient aux critères d’éligibilité de 2013 (n=654) de ceux correspondant aux nouveaux critères de 2021 (n=161). L’analyse montre que dans la cohorte des critères de 2021, 54,5% des personnes dépistées étaient des Afro-américains, contre 39,5% dans la cohorte des critères de 2013. Concernant le niveau d’éducation ou le genre, il n’est pas apparu de différence entre les deux groupes.

« Bien que des améliorations encourageantes soient constatées avec le nombre accru de personnes éligibles incluses dans notre programme de dépistage, il reste beaucoup à faire dans ce domaine », a déclaré la Dr Barta. « Diagnostiquer un cancer du poumon à un stade précoce de la maladie est généralement plus avantageux d’un point de vue économique que prendre en charge un cancer du poumon à un stade avancé, qui nécessite des traitements longs et une approche complexe plurimodale ».

Deux études présentées en juin lors du congrès de l’ASCO2022 ont pu montrer l’impact aux Etats-Unis du dépistage par tomodensitométrie (TDM) à faible dose sur le diagnostic du cancer du poumon (avant l’élargissement des critères d’éligibilité), en particulier sur l’incidence des formes avancées. Une incidence qui reste toutefois variable selon les populations testées et l’origine ethnique.

Dans une analyse portant sur la base de données américaine SEER (Surveillance, Epidemiology and End Results), les chercheurs ont comparé les données de 400 343 individus enregistrées entre 2004 et 2014, avant la mise en œuvre du dépistage (son remboursement a été validé en 2015) et après, pendant la période allant de 2015 à 2018 [4].

Baisse de 55% des formes avancées diagnostiquées

Les résultats montrent là aussi que la population noire non hispanique a le plus bénéficié du dépistage, puisque les diagnostics des formes avancées des cancers du poumon ont été réduits de 55%, en comparaison avec la période avant le dépistage, tandis que la population hispanique affiche la baisse la moins importante, avec un taux réduit de 41%.

L’incidence des diagnostics de cancer avancé a globalement été abaissé au cours des deux périodes, mais la baisse est nettement plus marquée entre 2015 et 2018, avec trois cas en moins de cancer des poumons avancés sur 100 000 individus testés, par rapport à la période 2004-2014. L’impact est également notable chez les femmes, avec une baisse du taux de diagnostic des formes avancées de 50%, contre 30% chez les hommes.

Une autre étude présentée lors de la même session de l’ASCO a révélé à l’inverse une hausse des diagnostics des cancers du poumon de stade I, passés de 23,5% en 2010 à 29,1% en 2017. L’analyse a été menée sur les données de plus d’un million d’individus issues de la National Cancer Database. La hausse est significative pour les cancers du poumon non à petites cellules (hausse de 25,8% à 31,7%), mais pas pour les cancers du poumon à petites cellules.

Interrogé à la fin de la présentation sur l’effet potentiel de l’élargissement des critères d’éligibilité, le Dr Robert Smith, vice-président du groupe sur le dépistage du cancer à l’American Cancer Society (ASC), a précisé que beaucoup d’individus éligibles ne sont pas encore atteints en raison d’un manque d’effort pour les identifier. « Nous ratons des opportunités dans la prévention des décès par cancer des poumon évitables », a-t-il affirmé.

Mieux identifier la population cible

De son côté, invité à commenter les résultats, le Dr Douglas Allen Arenberg (University of Michigan, Ann Arbor, Etats-Unis) a estimé que les réticences à se faire dépister peuvent être liées à la crainte des participants de devoir subir une biopsie en cas de résultat positif, en particulier chez ceux qui souffrent déjà d’une maladie pulmonaire. « Je pense que c’est cet inconvénient potentiel qui effraie le plus ». 

Selon lui, l’une des pistes pour améliorer le dépistage est d’identifier des biomarqueurs avec une bonne valeur prédictive négative. « Avec un test sanguin aussi bon [en terme de valeur prédictive] qu’un PET scan, je me dirais plus facilement: ‘ok, tu as 40 ans, ton grand-père a eu un cancer du poumon, peut-être que tu devrais passer un scanner’. Ainsi, il serait possible de dépister davantage ».

Le Dr Allen Arenberg a aussi appelé à faire progresser les dossiers médicaux électroniques (DME) afin de mieux identifier les patients à risque. « Je pense qu’en tant que médecins, nous devons être plus exigeants envers les développeurs qui ont créé ces DME ».

 

Cet article a été publié dans l’édition internationale de Medscape.com sous le titre The Shifting Sands of Lung Cancer Screening. Traduit et adapté par Vincent Richeux.

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.

Inscrivez-vous aux  newsletters  de Medscape :  sélectionnez vos choix

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....