Des génies célèbres chez le psy

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

4 août 2022

France – Quarante-cinq personnages célèbres, artistes, sportifs, scientifiques ou encore politiciens passent les portes du cabinet du Dr Patrick Lemoine. Dans son dernier ouvrage, le psychiatre lyonnais a décidé de leur accorder une consultation pour sonder leur psyché. Car il semble bien que le petit quelque chose en plus des génies s'expliquerait pour beaucoup d'entre eux par l'existence d'une pathologie psychiatrique. Pour en savoir plus, Medscape édition française s'est entretenu avec l'auteur de « La santé psychique des génies ; génies du bien, génies du mal », paru chez Odile Jacob en 2022.

Medscape : Comment définissez-vous un génie ?

Dr Patrick Lemoine : Si on s'en tient à l'étymologie, le génie est celui qui est capable d'engendrer quelque chose de complètement nouveau. Il renverse la table et crée un nouveau paradigme. Je distingue trois catégories de génies : les génies créatifs en arts et en sciences, les génies du bien et les génies du mal. A l'intérieur de ces trois catégories, les génies ont des points communs. Par exemple, les génies du mal, comme les dictateurs et les génocidaires, sont le plus souvent des paranoïaques avec une inventivité assez remarquable pour détruire leurs contemporains. Quant aux génies créatifs, une forte proportion d'entre eux présente un trouble bipolaire. Ce dernier n'est pas nécessairement pathologique. Être lunatique comme on disait autrefois ou cyclothymique, ce n'est pas forcément une pathologie : ces individus sont un peu pénibles en société mais ne sont pas malades. Les génies créatifs on aussi un cerveau rationnel qui communique beaucoup avec leur cerveau irrationnel, celui qui s'exprime quand on rêve, quand on a des fantasmes ou des intuitions et que le plus souvent le cerveau rationnel ignore ou méprise complètement.

Vous distinguez les génies du bien et ceux du mal. Cette distinction repose-t-elle sur un fondement scientifique ?

Dr Lemoine : Ce n'est pas scientifique, c'est purement moral. Il s'agit un jugement de valeur que j'assume. Il y a un côté moral dans mon approche dans la mesure où je trouve qu'il y a des gens particulièrement créatifs, je pense à Hitler, Pol Pot, Staline, pour faire du mal. Il y avait une inventivité chez ces gens-là qui n'a jamais été étudiée en tant que telle. A l'inverse, un Coluche ou une sœur Emmanuelle, ont été également très originaux mais pour faire du bien, eux.

Est-ce qu'être atteint d'une maladie psychiatrique peut rendre génial ?

Dr Lemoine : Oui si l’on pense aux génies les plus connus – Einstein, Léonard de Vinci, Pascal, Mozart, Van Gogh... – il est vrai que les personnes qui ont un trouble bipolaire ont plus de chance d'être dans cette catégorie. D'après différentes études ayant inclus des milliers de participants, les personnes bipolaires sont plus souvent dans les métiers créatifs et les prix Nobel sont plus souvent des bipolaires. Il y a un lien génétique assez clair entre trouble bipolaire et génie tout en sachant qu'il y a des génies qui ne sont pas bipolaires et des bipolaires qui sont complètement « cons ».

Certaines maladies psychiatriques sont-elles surreprésentées chez les génies ?

Dr Lemoine : Comme je le mentionnais précédemment, c'est avant tout le trouble bipolaire qui est surreprésenté chez les génies. Mais prenons l'exemple de l'immense mathématicien Pascal. Malgré les souffrances liées à une maladie osseuse extrêmement douloureuse, il faisait la fête et des maths. C'était un résilient. Un jour, à l'occasion d'un accident de carrosse sur le pont de Neuilly, il a vu « la mort de près » selon ses mots. S'en est suivie une nuit blanche qu'il a qualifiée de « nuit de feu » au cours de laquelle ses pensées sont allées à toute allure. Dès le lendemain, il a arrêté les maths et la fête et il est devenu un génie philosophique et mystique. Aussi on peut considérer que le syndrome de stress post-traumatique lui a permis de devenir créatif dans un autre domaine grâce à une sublimation.

Les génies que vous avez diagnostiqués bipolaires dans votre livre seraient-ils aujourd'hui sous médicament ?

Dr Lemoine : Oui mais pas tous. Exemples issus de mon précédent livre (La santé psychique de ceux qui ont fait le monde chez Odile Jacob 2021), le roi Saül était un bipolaire délirant, je lui aurais prescrit sans hésiter un antipsychotique thymorégulateur ; quant au roi David, je l'aurais mis sous lithium. Concernant Winston Churchill, qui était parfaitement bipolaire, comme ses sept ancêtres d'ailleurs ; si je l'avais eu comme patient, je l'aurais mis sous régulateur thymique mais en prenant soin de ne pas supprimer complètement toutes ses oscillations d'humeur au risque d'abolir sa créativité. C'est un point très délicat dans notre métier : faire en sorte que nos patients ne se suicident pas ou ne se ruinent pas à cause d'un état mélancolique ou maniaque mais en même temps qu'ils restent créatifs. Cet équilibre n'est pas facile à trouver. J'ai eu une patiente très bonne peintre qui faisait des états maniaques délirants agressifs. Elle se plaignait de ne plus réussir à créer quand je lui donnais trop de lithium. Le problème, c'était de réussir à trouver un sous-dosage en lithium pour qu'elle reste quand même hypomane ou “hypomélancolique“ tout en étant créative. On a fini par y arriver mais après beaucoup de tâtonnements. 

Les gens normaux peuvent-ils être géniaux ?

Dr Lemoine : Oui, tout à fait. Prenez Jean-Sébastien Bach. Bon mari, bon père de famille, petit fonctionnaire de la musique, il ne se mettait jamais en avant. C'était un type presque désespérément normal mais sa créativité était immense. Charles Darwin et Marie Curie, eux, avaient certes des problèmes de dépression mais au niveau de leur structure mentale, ils étaient étonnamment normaux avec une force d'âme exceptionnelle. Ce qui est essentiel, me semble-t-il est la capacité à s'affranchir du regard des autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle un certain nombre de personnes Asperger peut se révéler des génies. Je pense à Einstein qui était probablement Asperger : énoncer e=mc2, c'était complètement absurde. Il fallait vraiment ne pas se soucier de l'opinion des autres physiciens. Freud et Darwin n'étaient pas du tout Asperger, mais ils ont quand même été capables de scandaliser tout le monde en s'asseyant sur les données du passé.

« Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tête »

La folie est-elle l’ordinaire du génie, comme le laisse entendre cette phrase de Diderot ? Si la question complexe mais intrigante des liens entre folie, créativité et génie vous passionne, alors l’ouvrage que Raphaël Gaillard y a consacré vous intéressera. Dans « un coup de hache dans la tête »*, le psychiatre parisien s’interroge sur l’origine de la créativité chez nombre d’artistes et décide pour en avoir le cœur net de mettre les liens entre génie et « folie » à l’épreuve de l’evidence-based medicine. Résultat : les études génétiques ne corroborent pas la « superposition » entre maladie mentale et création artistique, ce que le psychiatre constate dans sa pratique clinique : « La maladie dépressive chez nos patients, explique-t-il, est plutôt un anéantissement ». La littérature scientifique montre, en revanche, qu’un lien de parenté – parents, enfants, frères et sœurs des patients – vient se loger dans la propension à la création. Ainsi, notre ADN nous rendrait vulnérable aux troubles psychiques en même temps qu’il nous permet de créer. « Les troubles mentaux sont le prix à payer de notre humanité » considère Raphaël Gaillard. Oh combien faut-il porter les personnes atteintes de troubles mentaux et les mettre au centre de notre condition humaine » a-t-il plaidé lors du congrès de l’Encéphale. SL

*Un coup de hache dans la tête, Grasset, 2022, 256 p, 19,50 €

 

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