Hôpital : « pas une problématique de moyens, mais de management »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

3 août 2022

Dr Emanuel Loeb

France — Alors qu’un nouveau suicide est intervenu au CHRU de Tours, le Dr Emanuel Loeb, président du syndicat Jeunes médecins, interpelle sur les problèmes managériaux majeurs à l’hôpital, demande une refonte totale de son organisation. Selon lui, « les ordonnances Debré qui ont permis l'émergence d'un système de caste ne sont plus adaptés au monde moderne ».

Suicide d’un jeune chef de clinique

Le syndicat de praticiens hospitaliers Jeunes médecins s’est ému, dans un récent communiqué de presse, du « décès d’un jeune chef de clinique du service d’orthopédie du CHRU de Tours », lequel s'est suicidé le 15 juillet dernier, et a été retrouvé mort à l’hôpital même où il exerçait. « Le décès d’un jeune médecin sur son lieu de travail doit alerter au plus haut niveau. Qui plus est, dans un contexte national qui met déjà à l’épreuve l’ensemble de la communauté médicale hospitalière », poursuit laconiquement le syndicat. Dans un entretien qu'il nous a accordé à l'occasion de ce nouveau drame, le président de Jeunes médecins, le Dr Emanuel Loeb (psychiatre), fait un bilan plutôt pessimiste des dernières avancées en matière de conditions de travail des médecins à l'hôpital, considérant que le problème ne relève pas tant des moyens que du management.

Medscape édition française : Connaissez-vous les circonstances du suicide de ce jeune médecin ?

Dr Emanuel Loeb : Non, nous n'en savons pas plus. C'était un jeune chef de clinique d'une trentaine d'années.

Ce nouveau drame ravive une problématique ancienne, à savoir le taux de suicide plus important chez les médecins que dans le reste de la population. Les derniers efforts des pouvoirs publics pour contenir ce taux important ont-t-il porté leurs fruits ?

Dr Emanuel Loeb : Pour le savoir, il faudrait qu'il existe au préalable un observatoire des suicides chez les médecins, mais je n'ai pas eu connaissance de son existence. Il y a bien eu des commissions de médiation dans l'objectif de prévenir des conflits qui peuvent aboutir à une issue tragique, mais ces médiateurs régionaux sont d'anciens PUPH de la région ou encore d'anciens directeurs d'hôpital du coin. Dans un milieu où l'omerta est puissante, je ne suis pas sûr que ce genre de dispositif puisse libérer la parole. Par ailleurs, lorsque l'on nous informe d’une situation conflictuelle, nous nous rendons compte que les victimes ont peur de rendre public leur conflit, si bien qu'ils nous demandent souvent, à nous, syndicats, une voie de sortie plutôt qu'un règlement judiciaire.

Le syndicat Jeunes médecins avait pourtant décidé de porter plainte dès qu’il y a suicide de médecins. Qu’en est-il ?

Dr Emanuel Loeb : Nous avons esté en justice au sujet d'un jeune médecin chef de clinique en médecine nucléaire qui s'est suicidé en Ile-de-France. La procédure est en cours.

Les suicides ne sont pas forcément dus à des cas de harcèlement ou de conflit. Les conditions de travail, les situations personnelles peuvent aussi être des déclencheurs. Quant aux conditions de travail des médecins, le Ségur de la santé, mais aussi les mesures prises dans le cadre de la mission flash du Dr Braun, sont-elles à même d'améliorer les conditions de travail des médecins ?

Dr Emanuel Loeb : Je vous rappelle que nous n'avions pas signé les accords dits du Ségur de la santé. Quant aux mesures de la mission flash, elles sont financières, peu ambitieuses d'ailleurs, et pas du tout d’ordre organisationnelle ou managériale. Car nous pensons qu'il y a actuellement une problématique majeure en matière de management médical, qui totalement ignoré. La plupart des chefferies de pôle ou de service sont occupée par des personnes issues de la génération des boomers. Nous constatons que le management de nombre d'entre eux conduit à un départ des PH ou une maltraitance chez les médecins de notre génération. Cela explique aussi en partie les difficultés de recrutement de l'hôpital. Notre génération est donc prise en étau entre un management médical parfois malveillant et une administration incapable de corriger ces fautes managériales. Je l'ai vécu à titre personnel puisque j'ai eu à subir les agissements d'un chef de pôle qui avait déjà dysfonctionné avec les médecins qui m'ont précédé. À aucun moment, alors même que la loi HPST octroie la possibilité à un directeur d'hôpital de suspendre la nomination d'un chef de pôle, un directeur d'hôpital n'a agi pour faire cesser cette situation. Les directeurs d'établissement privilégient aujourd'hui des objectifs à court terme, qui visent des retours à l'équilibre financier de leur hôpital, ou des regroupements d'établissements dans le cadre d'une GHT, etc. Le management médical ne les intéresse pas trop, voire les effraie : ils ne veulent pas d'une confrontation avec le pouvoir médical. On peut de ce point de vue considérer que l'administration est responsable des cas de maltraitance constatés. Alors qu'elle a le pouvoir de neutraliser les comportements toxiques à l'hôpital, nombre d'administrations se satisfont de cette "neutralité", soit par lâcheté, soit par connivence.

 
Notre génération est donc prise en étau entre un management médical parfois malveillant et une administration incapable de corriger ces fautes managériales.
 

Le suicide du professeur Jean-Louis Mégnien en 2015 n'a-t-il pas joué le rôle d'un électrochoc dans le milieu hospitalier ?

Dr Emanuel Loeb : Non, puisque l'on constate que la directrice de l'HEGP au moment du suicide du Pr Jean-Louis Mégnien a ensuite été nommée directrice du CHU de Poitiers, où des médecins ont été mis en cause pour leur management toxique !! En ce qui concerne le suicide de ce jeune médecin au CHU de Tours, il y a très certainement des problématiques à rechercher du côté du service, mais aussi de la direction.

À vous écouter, on ne voit pas d'issue : des syndicats impuissants face à des médecins harcelés qui ne souhaitent pas ester en justice, un management médical souvent toxique, une direction qui joue l'autruche...

Dr Emanuel Loeb : On entend souvent des leaders d'opinion évoquer dans les médias des problèmes de moyens pour expliquer les difficultés de l'hôpital. Mais je pense qu'il ne s'agit pas d'une problématique de moyens, mais de management. L'argent n'est pas la condition nécessaire et suffisante pour faire revenir les professionnels de santé à l'hôpital. Pire : même en revalorisant les gardes et les salaires, je ne suis pas sûr que les médecins retourneraient à l'hôpital.

 
Même en revalorisant les gardes et les salaires, je ne suis pas sûr que les médecins retourneraient à l'hôpital.
 

Il suffit donc d'attendre que le temps fasse son œuvre pour qu'une nouvelle génération de managers médicaux prenne la relève...

Dr Emanuel Loeb : Non, car à un moment donné, les ressources humaines sont tellement abimées qu'il est impossible d'en faire quoi que ce soit. Il faudrait d'ores et déjà commencer petit à petit, et dès maintenant, la montée en puissance de jeunes médecins pour réorganiser les services, les projets médicaux, revoir les conditions de travail, etc. Mais il n'est pas question de faire du jeunisme car même chez les jeunes médecins, il y en a qui dysfonctionnent. Probablement que les ordonnances Debré qui ont permis l'émergence d'un système de caste ne sont plus adaptés au monde moderne.

 
Probablement que les ordonnances Debré qui ont permis l'émergence d'un système de caste ne sont plus adaptés au monde moderne.
 

Il faudrait donc un big bang hospitalier…

Dr Emanuel Loeb : Exactement, il faudrait une réforme systémique de l'hôpital. Il faut changer l'organisation interne, ainsi que les modalités d'accession aux fonctions hiérarchiques. Exemple : aujourd'hui les hospitalo-universitaires occupent quatre fonctions : management, clinique, enseignement, recherche. Mais pour quelles raisons ? Au sein du conseil supérieur des professions médicales, il y a trois collèges :  un collège pour les contractuels qui représentent 30 à 40 000 médecins, un collège des titulaires qui représentent autour de 50 000 médecins, et un collège des HU qui ne représentent que 8000 médecins environ, mais qui ont les mêmes droits de vote que les autres collèges. On se rend compte, de cette manière, du poids des HU. Ils ne répondent plus à une orientation de carrière, mais à un positionnement hiérarchique selon une logique féodale, au sein de l'hôpital public.

Prend-on la voie du big bang hospitalier ?

Dr Emanuel Loeb : Aujourd'hui le problème du gouvernement « macronien » est d'être dans la com' permanente. Ils viennent de lancer le conseil national de la refondation, en référence au conseil national de la résistance : ils ne font que de la communication. Le nouveau ministre de la Santé a lancé également des concertations de septembre 2022 à janvier 2023 dont nous sommes par ailleurs exclus, nous « Jeunes médecins ». Mais ce n'est pas plus mal, car ceux qui participent à ces concertations, qui font partie du bien-nommé groupe G20, sont aussi ces boomers qui ont participé à la destruction de l'hôpital. Nous n'avons rien à faire avec ces gens-là.


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