France— Que se passe-t-il au service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Henri-Mondor ?
Suspendu à titre conservatoire par l'ex-DG de l'APHP Martin Hirsch juste avant son départ, le Pr Rachid Zegdi, chirurgien cardiaque du service, dénonce un acharnement contre sa personne. Selon lui, il serait sanctionné pour avoir signalé des morts suspectes de patients, des décès qu’il attribue à de mauvaises pratiques.
Une version des faits qui n’est pas celle relatée par l’AP-HP et qui est contestée par plusieurs collègues et anciens-collègues. Certains parlant même de « harcèlement » de la part du chirurgien mis à l’écart.
« Le docteur Zegdi a été suspendu par le président de l’Université et la direction de l’APHP « à titre conservatoire » non pas comme lanceur d’alerte, statut ce qui ne lui a pas été reconnu, mais en raison de l’atteinte à la sérénité et à la sécurité des soins dans le service que son attitude génère », explique le Pr Emmanuel Teiger, chef du service de cardiologie à l’hôpital Henri Mondor pour Medscape édition française.
Climat de suspicion
Dans les faits, trois audits ont été menés dans le service en quelques années suite à des signalements de décès de patients fait par le Pr Zegdi.
Le dernier, publié le 15 juin, a été mené par le « CNU, la société française de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire et le conseil national professionnel de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire ». Il a conclu à des « progrès réalisés dans la qualité des soins de chirurgie cardiaque à l’hôpital Henri-Mondor AP-HP » conduisant à des résultats « qui positionnent quasiment tous les résultats de l’équipe dans les intervalles de confiance des moyennes nationales », indique un communiqué de l’AP-HP.
Seul point noir relevé par les auteurs de ce dernier rapport : « une atmosphère perturbée par le climat de suspicion permanente » entretenu par un chirurgien cardiaque hospitalo-universitaire, situation qui « génère d’elle-même un climat potentiellement néfaste à la sécurité des soins ».
Ce professeur n'est autre que Rachid Zegdi, suspendu depuis pour une durée indéterminée.
Ce rapport d’audit, comme les précédents, sont contestés par le Pr Zedgi, ce qui lui a valu, selon lui, sa suspension.
Indignation
« Dès que j'ai pris connaissance du premier rapport, j'ai écrit à l'administration et leur ai fait part de mon indignation, pour deux raisons. Première raison : ce rapport ne répond pas à la question, qui était la suivante : y a-t-il un problème de compétence chirurgicale avec un praticien ? Dans le dernier rapport (cité par la communication de l'APHP dans son communiqué, NDLR), on a demandé aux mêmes personnes d'évaluer la compétence individuelle de chaque chirurgien. Ils ont accepté la mission mais ils ont ensuite refusé de la mener. Pourtant l'objet de ce rapport avait été validé par la directrice de l'ARS et le ministre de la santé de l'époque, à savoir Olivier Véran », nous confie le Pr Zegdi, joint par Medscape.
Selon lui, le premier rapport, plutôt que de remettre en cause les compétences de tel ou tel chirurgien, a incriminé... la « responsabilité des patients issus de communautés étrangères ». « Les auteurs de ce rapport ont décrit un très mauvais état de santé de ces populations ce qui serait selon eux un point essentiel pour interpréter les résultats de la chirurgie cardiologique de Mondor […] C’est dingue. Il n'est pas possible en France que nous proposions une racialisation de l'offre de soins. »
Pour le Pr Teiger, la réalité est différente : « il y a eu deux rapports qui montrent que le service est organisé, qu’il remplit les conditions de fonctionnement, qu’il a une activité correcte, qu’il remplit correctement les bases de données, avec une mortalité qui tient compte de la sévérité des patients qui sont vus qui est un peu plus importante que la moyenne nationale car c’est un CHU, un centre de recours et que c’est une population qui n’est pas la même que dans Paris intramuros. Il n’est pas question d’évoquer une quelconque histoire de racialisation des soins ici ».
Une question de mauvaises relations ?
« Mon péché originel est d'avoir fait des signalements sur des cas de mauvaise pratique chirurgicale. La réalité, c'est qu'il y a eu des événements graves qui se sont passés dans le service. D'ailleurs l'APHP a même communiqué sur certains de ces événements, comme l'arrêt de la transplantation à la suite de six décès sur six patients opérés. Ce n'est pas une mauvaise ambiance dont il est question et ce n'est pas moi qui suis responsable de ces décès. Je n'ai opéré aucun de ces patients, d'ailleurs. Ces décès ont plusieurs origines mais certains faits ont été passés sous silence. Ces faits, de nombreux personnels et praticiens de l'APHP les connaissent bien. Mon péché originel est de ne pas avoir accepté de taire ce qui s'est passé. »
Interrogé sur ces décès le Dr Costin Radu, PH dans le service de chirurgie cardiaque de Mondor indique : « concernant l’activité de transplantation cardiaque, il y a en effet eu une série de décès de patients greffés dans le service en lien avec des infections post-opératoires à plus ou moins de distance. Ce type de décès en série survient malheureusement parfois car c’est une activité à très haut risque. Face à ces décès, nous avons mis en place une réunion de morbi-mortalité au sein du service de chirurgie cardiaque avec le service de cardiologie, d’anesthésie-réanimation et d’infectiologie et une enquête a été menée. Nous avons réécrit les protocoles puis nous avons repris l’activité en 2020, malheureusement pendant la période Covid. Nous avons réalisé deux greffes avec succès mais vu le faible nombre d’implants sur 2020 et 2021, l’activité a été transféré à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière. Cela n’a rien à voir avec des mauvaises pratiques à Henri Mondor ».
Le Pr Thierry Folliguet accusé de faits graves par le Pr Zegdi
Le Pr Zegdi ne s'en est pas tenu aux signalements de ces événements indésirables. Il a également accusé le Pr Folliguet d'avoir laissé mourir une patiente, pour pouvoir accabler d'autres praticiens, dont le Pr Zegdi. Un fait qui étonne le Dr Radu : « cette histoire est ahurissante. Tel que je connais le Pr Folliguet, je ne pense pas qu’il aurait fait une chose pareille. Je n’ai pas été témoin mais cela me semble tout à fait mensonger ».
Accusé de faits graves, le Pr Folliguet a saisi le conseil départemental de l'Ordre des médecins. Une procédure est en cours. Il n’a pas répondu aux sollicitations de Medscape édition française.
D’autres praticiens, sous le couvert de l'anonymat, rappellent que Thierry Folliguet avait été visé par un rapport du CHU de Nancy, où il exerçait précédemment, qui relevait, le concernant, des « difficultés managériales et chirurgicales ».
Mais les professionnels de santé travaillant actuellement avec le Pr Folliguet le défendent.
« Il n’y a pas de problème particulier sur le plan chirurgical avec le Pr Folliguet. Je n’ai pas vu non plus de problème managérial qui nuirait au bon fonctionnement du service, pas de problème de harcèlement », indique un professionnel du service de chirurgie cardiaque qui a souhaité rester anonyme auprès de Medscape.
« Le Pr Folliguet s’est bien investi dans la gestion du service. Malgré toutes les difficultés qui traversent l’hôpital en France actuellement, je trouve que nous avons un fonctionnement qui s’est encore amélioré », renchérit pour sa part le Dr Radu.
Le Pr Zegdi soutenu par le Pr Granger
Dans cette affaire, le Pr Zegdi a reçu le soutien de plusieurs médecins de l'APHP dont le Pr Bernard Granger, psychiatre, ancien candidat au poste de président de la CME de l'APHP, et fondateur du mouvement de défense de l'hôpital public. Dans une lettre ouverte adressée à l'ancien directeur général de l'APHP, Martin Hirsch, il prend fait et cause pour le Pr Zegdi : « Nous avons échangé à de nombreuses reprises sur une unité de chirurgie de l’Hôpital Mondor, par mail, devant la commission médicale d’établissement et le conseil de surveillance. De multiples éléments probants indiquent que le responsable de cette unité n’aurait pas les compétences requises et mettrait en danger la vie des patients dont il a la charge, cela étant déjà connu notamment lors de ses fonctions antérieures dans un CHU de province. Vous avez été informé de ces faits de façon très détaillée et n’en avez tiré aucun enseignement, préférant vous abriter derrière des enquêtes partiales conduites par un ami du chirurgien mis en cause. Je viens d’apprendre que vous auriez décidé de suspendre le PU-PH lanceur d’alerte plutôt que le PU-PH suspecté de mettre en danger la vie d’autrui. Il n’y a selon moi aucune justification à cette décision, qui paraît surtout dictée par l’imminence de votre départ. »
Contacté par Medscape, le Pr Granger n'en démord pas : « J'ai alerté Martin Hirsch à plusieurs reprises. Pour lui, tout va bien, il y a des voies d'amélioration, mais c'est Zegdi qui ne tourne pas rond, selon lui. Il ne tient aucun compte des témoignages accablants, du truquage des données, etc. »
Comment se fait-il, alors, que les deux rapports commandés par l'APHP sur le service de chirurgie cardiaque ne fassent mention d'aucune mort suspecte dans ledit service ? Selon certains praticiens, cette « omission » serait dû à une certaine proximité entre le Pr Folliguet et le Pr Verroye, l'un des auteurs des deux rapports.
Un fait contesté par le Pr Teiger. « Le Pr Folliguet connait le Pr Verroye mais c’est normal, c’est un tout petit milieu. Les gens se connaissent entre eux ». Les évaluations qui ont été menées, l’ont été par des commissions « externes », indépendantes, souligne-t-il.
Vieille rancune ?
Outre le sentiment d’avoir été puni pour avoir signalé des mauvaises pratiques à l’hôpital Henri-Mondor, pour le Pr Zegdi, sa suspension est liée à un événement beaucoup plus lointain, qui remonte au suicide du Pr Mégnien. « L'ancien directeur général de l'APHP a de la rancune envers moi. Il n'aurait pas apprécié, d'après des propos qui m'ont été rapportés, certains de mes commentaires sur le fait que je lui avais signalé, dans un mail, le risque suicidaire du Pr Mégnien. J'ai pointé indirectement sa responsabilité dans le fait que le Pr Mégnien se soit suicidé. J'ai aussi refusé un marché que l'on m'avait proposé : on m'a tout simplement demandé de me taire, contre quelque avantage professionnel. Ma conscience professionnelle m'a interdit ce genre de marché aux dépens des patients et depuis on essaie de m'abattre », indique le Pr Zegdi.
En 2015, le Pr Jean-Louis Mégnien, cardiologue, harcelé, s’est suicidé en se jetant de la fenêtre de son bureau de l’Hôpital Européen Georges Pompidou (HEGP, APHP). En 2021, deux juges d’instruction ont décidé de la mise en examen de l’APHP, de l’ancienne directrice de l’HEGP, Anne Costa, actuellement directrice générale du CHU de Poitiers et de trois professeurs de médecine.
Pour le Pr Teiger, l’explication de la suspension du Pr Zegdi n’est ni liée à son positionnement de lanceur d’alerte, ni à l’affaire Mégnien. « C’est une histoire un peu triste. Avant le Pr Zegdi était à l’HEGP où il y avait eu les mêmes types de problèmes. C’est une personne qui passe beaucoup de temps à chercher les éventuelles fautes dans les dossiers des collègues. Cela n’a pas commencé avec le Pr Folliguet. Il est dans le service de chirurgie cardiaque de Henri Mondor depuis 3 ou 4 ans où il n’opère plus. Il ne consulte pas. Il ne participe pas à l’activité du service. Il ne publie pas non plus, n’enseigne pas et l’université l’a suspendu pour défaut d’activité. L’ensemble des praticiens du service a indiqué qu’il leur semblait difficile de continuer à travailler avec le Pr Zegdi en raison de relations personnelles et professionnelles délétères, d’une perte de confiance. C’est pour cela qu’il a été suspendu de manière conservatoire le temps de l’instruction du dossier , parce qu’il nuisait à la sérénité du service».
Un témoignage confirmé par le Dr Radu. « Le docteur Zegdi a posé des problèmes dans le service et les personnes avec qui nous travaillons dès son arrivé. Il participait peu au staff, ne faisait pas les visites, ne répondait pas toujours présent lors des astreintes. Il y a eu des problèmes avec des patients, les gens ont cessé de lui adresser des patients, de lui faire confiance. On n’a jamais réussi à avoir un dialogue et il s’est retourné contre le chef de service. Il se déguise en lanceur d’alerte ostracisé, écarté, ce qui n’est absolument pas le cas ».
Selon plusieurs anciens collègues de l’HEGP contactés par Medscape, le Pr Zegdi opérait déjà peu à l’époque mais le sujet était principalement d’ordre relationnel. « Il avait des problèmes relationnels avec plusieurs praticiens du service et cela était difficilement compatible avec un travail en équipe. Il devenait compliqué de rester à l’HEGP donc il est parti à Mondor », rapporte le Pr Jérôme Jouan qui était chef de clinique à l’époque dans le même service et qui est désormais chef du service de chirurgie cardiaque au CHU de Limoges.
Enquête du parquet de Créteil
Le Pr Zegdi est donc suspendu pour une durée indéterminée : « je vais faire un recours gracieux devant le nouveau directeur général de l'APHP Nicolas Revel. Si ce recours est rejeté je saisirai alors le tribunal administratif. Si cette démarche n'aboutit pas, je pense qu'à un moment ou un autre, je serai convoqué par la chambre disciplinaire. »
De son côté, le parquet de Créteil, comme cela nous a été confirmé, a décidé l’ouverture d’une enquête judiciaire sur ces signalements d’événements indésirables graves dans ce service de chirurgie cardiaque.
« On imagine mal le parquet ouvrir une enquête pour de simples bisbilles entre chirurgiens », analyse Bernard Granger. Contacté par Medscape, la direction de l’APHP n’a pas donné suite.
Particulièrement affecté par cette situation « cauchemardesque » qui dure depuis plusieurs années, un professionnel du service qui a souhaité rester anonyme, rappelle que le vrai souci auquel de nombreux services de l’hôpital public font face aujourd’hui est le manque de moyens humains, de personnel paramédical. « J’aimerais que l’on sorte de cette sombre affaire. Le principal problème sur lequel il faudrait s’attarder aujourd’hui est le manque d’infirmières au bloc ou en réanimation… ».
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Crédit image de Une : BSIP
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Citer cet article: Suspension du Pr Zegdi, chirurgien cardiaque à l’hôpital Henri Mondor : notre enquête - Medscape - 1er août 2022.
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