Bruxelles, Belgique – L’hôpital universitaire Erasme (ULB) teste une nouvelle technique de magnétoencephalographie qui permet de s’affranchir des limites liées à un casque adapté à l’hélium liquide, refroidi à moins 269 degrés. Cerise sur le gâteau, la technique est davantage adaptée aux enfants, est beaucoup plus précise et coûte bien moins cher.
L'équipe du Laboratoire de Neuroimagerie et Neuroanatomie translationnelles de l'hôpital universitaire Erasme (Université Libre de Bruxelles) vient de franchir une nouvelle étape dans l'utilisation de la magnétoencephalographie pour détecter et localiser l'activité épileptique. Elle publie une étude dans Radiology qui démontre l'intérêt majeur de nouveaux capteurs de champs magnétiques, les « magnétomètres à pompage optique » [1]. Cette nouvelle technologie permet de placer les capteurs directement sur le scalp des patients ce qui augmente de manière importante la sensibilité de détection de l'activité épileptique. Explications du Pr Xavier De Tiège, qui dirige cette équipe.
Quelle est l'étape décisive que cette nouvelle technologie vous permet de franchir dans la détection de l'épilepsie ?
Pr Xavier De Tiège : La magnétoencephalographie (MEG) est une technique innovante de mesure des champs magnétiques induits par l'activité électrique des neurones du cerveau. Telle que nous la connaissons aujourd'hui, elle suppose l'utilisation d'un casque rigide qui a une seule taille adaptée pour des adultes. Certains périmètres crâniens d'adultes ne « rentrent » d'ailleurs pas dans ce casque rigide, nous avons eu quelques patients dont la tête n'a jamais su rentrer dans la MEG. En revanche, nous avons de nombreux patients avec une tête plus petite et c'est typiquement le cas pour des enfants. La MEG enregistre les champs magnétiques générés par l'activité électrique du cerveau. Ces champs diminuent avec la distance: plus les capteurs sont loin du cerveau, davantage l'amplitude du signal va être basse. Or, plus il y a de la place dans le casque, plus vous pouvez bouger. Chez les enfants et certains adultes, la distance des capteurs au cerveau est augmentée parce que la tête est plus petite que le casque. Par ailleurs, même si vous avez une tête qui s'adapte complètement au casque, comme les capteurs conventionnels dits "cryogéniques" doivent être plongés dans l'hélium liquide à moins 269 degrés, il est nécessaire de placer une couche d'isolant, un vide d'air qui sépare l'intérieur de la MEG avec les capteurs et l'hélium et l'extérieur du casque. Les capteurs sont donc placés d'emblée à environ 3 centimètres de la surface du casque. En y ajoutant éventuellement la distance causée par une tête plus petite que la taille unique du casque, on peut se trouver avec une distance de plusieurs centimètres, et donc des champs magnétiques détectés de plus loin et donc à plus faible amplitude.
Quelle en est la conséquence ?
Pr Xavier De Tiège : Il en résulte que le système est moins sensible pour détecter l'activité du cerveau, qu'il y a davantage de mouvements et qu'on passera peut-être à côté de choses qu'on pourrait capter si on était plus proche. Outre cela, les systèmes MEG qui utilisent les capteurs cryogéniques coûtent très cher, puisqu’installer un système complet revient entre 2 et 3 millions. En outre, cette technologie qui nécessite de l'hélium liquide comporte des limites. Et donc les chercheurs ont essayé de développer de nouveaux capteurs de champ magnétique ou de nouvelles technologies non-cryogéniques qui permettraient de placer directement les capteurs sur le scalp.
Comment ont-ils fait ?
Pr Xavier De Tiège : Pour pouvoir faire cela, il faut s'affranchir de l'hélium liquide, et donc de la technologie des superconducting quantum interference device (SQUID), que les capteurs utilisés dans les MEG cryogéniques actuelles utilisent. L'une des technologies développées consiste à se servir de capteurs à pompage optique, qui ne nécessitent pas d'être refroidis et peuvent fonctionner à température ambiante. Dès lors, ils peuvent être placés directement sur le scalp, donc être beaucoup plus proches du cerveau. On obtient une augmentation de l'amplitude du signal, et si le niveau de bruit des capteurs à pompage optique est similaire à celui des SQUID, un meilleur rapport du signal sur bruit et donc des données de meilleure qualité. Et comme les capteurs bougent avec la tête, on s’affranchit des problèmes de localisation de la tête dans le casque lors des enregistrements.
Etes-vous nombreux à utiliser ces capteurs ?
Pr Xavier De Tiège : Il y a quelques centres dans le monde qui étudient l'emploi de ces nouveaux capteurs à pompage optique pour étudier l'activité cérébrale. Comme nous sommes un centre clinique, nous nous intéressons à l'utilisation de ces capteurs, notamment pour l'épilepsie, qui est l'indication clinique de la MEG reconnue internationalement. Le but de cette étude était de pouvoir démontrer l'intérêt de ces capteurs chez l'enfant épileptique.
Ce que vous traquez, c'est une hyper-activité des neurones au moment du déclenchement de la crise épileptique ?
Pr Xavier De Tiège : Chez les patients épileptiques, il y a effectivement des crises d'épilepsies en tant que telles qui sont en général peu fréquentes et surviennent de manière aléatoire. C'est ce qu'on appelle l'activité ictale, Mais entre celles-ci, il y a des décharges épileptiques inter-ictales, donc entre les crises, qui sont des décharges d'activité cérébrale anormales, en général d'une durée de moins de 100 millisecondes et qui ne s'accompagnent pas d'observation clinique observable. Mais c'est la signature de l'activité épileptique. La MEG permet d'enregistrer cette activité inter-ictale. Chez la majorité de patients, la région du cerveau qui génère cette activité inter-ictale est la même que celle qui génère les crises. On a pris des patients qui avaient une activité inter-ictale fréquente, comme cela avait été démontré sur des électroencéphalogrammes (EEG) précédents. On a enregistré l'activité cérébrale avec les magnétomètres à pompage optique placés sur un bonnet et on a enregistré l'activité épileptique ensuite avec la MEG classique. L'idée était de comparer le type de signaux qu'on enregistrait avec ces deux appareils. On a pu démontrer, comme c'était attendu, que le fait d'avoir ces capteurs placés sur le scalp augmente l'amplitude de l'activité épileptique, mais aussi le rapport signal/bruit. Ce qui laisse supposer que l'on pourrait être beaucoup plus sensible pour détecter l'activité épileptique à l'aide de la MEG à pompage optique, et que l'on pourrait éventuellement découvrir de nouvelles choses sur cette activité épileptique.
On rappelle que la MEG n'est pas curative en tant que telle, mais constitue une aide à un meilleur diagnostic…
Pr Xavier De Tiège : Les systèmes MEG cryogéniques tels qu'on les a actuellement sont principalement utilisés dans la mise au point pré-chirurgicale de l'épilepsie. Trente pour cent des patients épileptiques ne vont pas répondre au traitement médicamenteux et vont continuer à faire des crises malgré les médicaments antiépileptiques. Donc, pour essayer d'éliminer les crises chez ces patients, le seul traitement curatif, c'est la chirurgie. Pour cela, il faut pouvoir localiser précisément la zone du cerveau qui génère les crises d'épilepsie, si possible sans devoir ouvrir le crâne et de manière non-invasive. Il faut aussi s'assurer qu'il s'agit d'une zone du cerveau qui ne soit pas particulièrement importante, comme les régions qui pilotent les fonctions motrices ou les fonctions langagières. Si on opère le patient dans ces zones, on risque de le paralyser ou qu'il développe un trouble du langage.
Comment savoir si on a de bons candidats à la chirurgie ?
Pr Xavier De Tiège : Il y a donc une longue mise au point avant toute opération pour s’en assurer. On fait des enregistrement EEG-vidéo pour enregistrer les crises d'épilepsie, on réalise une IRM structurelle pour voir s'il y a une lésion, puis on fait un pet-scan au 18F-FDG (glucose et fluor-18) pour voir si on peut trouver des régions du cerveau qui fonctionnent mal, qu'il y ait ou pas lésion. Le fluorodésoxyglucose (18F) est un analogue radiopharmaceutique du glucose dans lequel l'hydroxyle du carbone 2 du glucose est remplacé par du fluor 18, un radioisotope du fluor. Il est utilisé comme traceur dans l'imagerie médicale par tomographie par émission de positons (TEP). Il est en effet métabolisé prioritairement par les cellules très consommatrices de glucose, notamment dans le cerveau et dans le foie, ainsi que par les cellules cancéreuses. La MEG fait partie de ces examens où l'on peut localiser l'activité épileptique de manière totalement non invasive. Ensuite, on rassemble l'ensemble de ces examens et on détermine si le patient est opérable.
A terme, la MEG avec capteurs à pompage optique pourrait-elle remplacer la MEG cryogénique actuellement utilisée ?
Pr Xavier De Tiège : Effectivement. Cela coûtera moins cher, ce sera davantage adapté aux patients et aura l’avantage de fournir plus d'informations puisqu'on est plus proche du cerveau. L'autre intérêt d'aller plus loin est d'utiliser ce système en routine clinique pour le diagnostic de l'épilepsie. On le fait moins avec la MEG classique, parce que c'est trop coûteux. On peut dorénavant envisager d'enregistrer des heures d'activité pour capter des crises, ce qui se fait peu en MEG pour l'instant. On imagine mal de rester une demi-journée, assis ou couché, avec la tête enserrée dans un casque et sans pouvoir faire autre chose. Avec un bonnet, c'est davantage envisageable. On peut un peu bouger, on est plus libre.
Sur le plan financier, cette technique est déjà cinq fois moins cher pour un meilleur résultat. Et ce qui est sûr, c'est que comme toute technologie, son prix va baisser rapidement quand sa production va devenir plus industrielle.
L’article a été publié initialement sur Mediquality.
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Citer cet article: Epilepsie : une nouvelle technique de magnétoencephalographie - Medscape - 28 juil 2022.
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