COVID-19: des chercheurs français identifient deux formes distinctes de myocardite fulminante

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

26 juillet 2022

Paris, France — Des chercheurs français ont mis en évidence deux formes distinctes de myocardite fulminante liées à l’infection par le virus SARS-CoV2, l’une précoce, associée à une mortalité hospitalière importante, l’autre plus tardive, qui s’avère moins grave et plus facile à traiter, à condition d’être diagnostiquée à temps [1]. Les deux phénotypes ont des profils immunologiques différents qui pourraient aider à confirmer le diagnostic et améliorer la prise en charge.

« Le défi est de pouvoir diagnostiquer au plus vite et d’orienter le patient vers un service adapté ou une filière de prise en charge des myocardites. L’amélioration de la prise en charge va surtout dépendre des publications médicales décrivant ces pathologies et de la volonté des médecins de s'informer pour les reconnaître rapidement », a commenté auprès de Medscape édition française le Dr Marc Pineton de Chambrun (service de médecine intensive, hôpital La Pitié Salpêtrière, AP-HP, Paris), qui a coordonné l’étude.

Les tableaux cliniques de ces myocardites sont désormais bien décrits, a précisé le médecin réanimateur, spécialiste des maladies inflammatoires. « Il faut garder en tête que les patients atteints sont souvent jeunes. Ils présentent une Covid-19, généralement sans atteintes pulmonaires, et ils ont souvent des douleurs thoraciques. Au moindre doute, il faut effectuer un dosage de la troponine et une échographie cardiaque et demander l’avis d’un cardiologue ou d’un médecin réanimateur ».

 
Au moindre doute, il faut effectuer un dosage de la troponine et une échographie cardiaque et demander l’avis d’un cardiologue ou d’un médecin réanimateur. Dr Marc Pineton de Chambrun
 

La forme précoce déjà observée avec la grippe

La distinction entre les deux formes de myocardites a été possible avec la multiplication du nombre de cas au cours de l’épidémie de Covid-19, a expliqué le Dr Pineton de Chambrun. « On a vu que certains patients Covid-19 développaient des myocardites extrêmement graves très précoces, survenant au moment de l’infection virale, tandis que d’autres avaient des myocardites d’apparition plus tardive ».

Cette forme de myocardite tardive s’intègre dans un syndrome inflammatoire multisystémique semblable à la maladie de Kawasaki (syndrome Kawasaki like), pour la première fois décrit en 2020 chez l’enfant après une infection à SARS-CoV-2, puis chez l’adulte. A condition d’être prise en charge à temps, cette forme est de bon pronostic en traitant avec une combinaison de corticoïdes et d’immunoglobulines, a rappelé le spécialiste.

Beaucoup plus grave et touchant plus fréquemment de jeunes adultes de moins de 30 ans, la forme précoce de la myocardite fulminante nécessite le recours en urgence à l’assistance circulatoire extracorporelle (ECMO), d’où l’importance d’avoir un accès immédiat à ce type de prise en charge. Le patient récupère spontanément après deux à trois jours sous ECMO, « sans que l’on comprenne réellement pourquoi ».

A l’inverse de la forme tardive, « la myocardite précoce fulminante a déjà été observée avec d’autres maladies infectieuses, principalement la grippe ». Avant l’invention de l’ECMO, « soit ces malades recevaient en urgence une greffe du coeur, soit ils décédaient ». Pour le Dr Pineton de Chambrun, « le défi est de les identifier au plus vite pour prévoir la mise sous ECMO », unique moyen de les sauver.

Syndrome inflammatoire multisystémique

Afin de mieux caractériser les myocardites fulminantes associées à l’infection par le virus SARS-CoV-2 chez l’adulte, l’équipe du service de médecine intensive-réanimation de l’hôpital Pitié-Salpêtrière a mené une étude, en association avec des chercheurs de l’Inserm et de l’université de la Sorbonne, sur les cas de patients admis en soins critiques à l’Institut de cardiologie de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, entre mai 2020 et juin 2021.

L’étude rétrospective porte sur 38 patients pris en charge pour une myocardite fulminante secondaire à une infection par le virus SARS-CoV-2. Dans ce groupe, on a distingué ceux qui présentaient les critères diagnostiques du syndrome inflammatoire multisystémique de l’adulte (MIS-A+) (fièvre prolongée, rash, conjonctivite, atteinte neurologique, digestive, thrombopénie et syndrome inflammatoire marqué), de ceux qui ne présentaient pas ces critères (MIS-A-).

Leurs résultats montrent que les patients MIS-A- (33% des cas) avaient une infection plus récente (délai médian de trois jours après le début des symptômes Covid-19), une myocardite plus grave qui nécessitait plus souvent le recours à une ECMO veinoartérielle et une mortalité hospitalière plus importante. Chez les patients MIS-A+, la défaillance cardiaque apparait plus tard (délai médian de 32 jours après l’infection) et est moins sévère. A ce stade, le virus est indétectable.

« Ce syndrome inflammatoire ressemble à d’autres pathologies déjà connues, comme la maladie de Still, une maladie inflammatoire systémique rare, dont l’origine virale est suspectée. C’est la première fois qu’un syndrome inflammatoire multisystémique est décrit en faisant le lien avec une infection virale », a précisé le Dr Pineton de Chambrun.

De potentiels biomarqueurs liés à l’inflammation

Les chercheurs ont pu constater que ces deux phénotypes sont associés à des profils immunologiques différents. Chez les patients MIS-A-, les taux d’interféron alpha et d’interleukine-8 (IL-8) sont importants, ce qui est caractéristique d’une réponse immunitaire précoce contre la réplication virale, tandis que les patients MIS-A+ présentent des taux élevés en IL-17, une cytokine connue pour être impliquée dans plusieurs maladies inflammatoires chroniques, et en IL-22.

 
Les chercheurs ont pu constater que ces deux phénotypes sont associés à des profils immunologiques différents.
 

Autre particularité notable chez les patients MIS-A-: plus de la moitié présentaient des anticorps anti-ARN polymérase III. Or, ces auto-anticorps ont déjà été associés par la même équipe de recherche à des myocardites fulminantes virales récidivantes liées à la grippe. Ces auto-anticorps se retrouvent également dans la sclérodermie, une maladie auto-immune systémique sévère qui touche les tissus conjonctifs.

« Des données récentes suggèrent que l’ARN polymérase III visé par ces anticorps est impliqué dans la défense antivirale », note le Dr Pineton de Chambrun. « Il est possible que ces anticorps altèrent la réponse inflammatoire contre le virus. La myocardite est alors provoquée, soit par une multiplication virale dans le cœur consécutive à cette faible réponse immunitaire, soit par la réaction inflammatoire induite par les anticorps anti-ARN polymérase III. »

« Cette étude montre que les myocardites fulminantes associées à la Covid-19 représentent une entité hétérogène recouvrant deux phénotypes de patients qui diffèrent par des critères cliniques, immunobiologiques et pronostiques », soulignent les auteurs. Pour distinguer ces phénotypes, « elle suggère que l’IL-17, IL-22, l’interféron et les anticorps antiARN polymérase III pourraient être utilisés comme biomarqueurs ».

« Pour la majorité des patients, ces biomarqueurs n’apparaissent pas indispensables [dans la démarche diagnostique] puisque les tableaux cliniques de ces myocardites, une fois bien compris, sont faciles à distinguer », estime le Dr Pineton de Chambrun. En revanche, « ils pourraient s’avérer utile en cas de doute. Ils auraient aussi un intérêt pour confirmer l’origine virale de la myocardite ».

 

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