CHU de Poitiers : « L’interdiction d'exercice est la sanction ultime pour les médecins »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

25 juillet 2022

France — Après des signalements d'internes en 2020, victimes de maltraitance et de harcèlement, puis le dépôt de deux plaintes en 2021, l'une provenant de l'Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine et l'autre du conseil départemental de l'Ordre de Vienne (86), la chambre disciplinaire de l'ordre a prononcé des sanctions très sévères à l'encontre de quatre praticiens hospitaliers du pôle gynécologie-obstétrique du CHU de Poitiers : l'ancien chef de pôle est condamné à une suspension d'exercice de un an, l'ancien chef de service à trois mois de suspension et neuf mois avec sursis, une praticienne hospitalière mise en cause a écopé de six mois de suspension ferme et six mois avec sursis, tandis qu'une quatrième praticienne contractuelle a été punie d'un blâme.

Les interdictions d'exercice devront être effectives à compter du 1er septembre prochain. Ces condamnations sont dues à l'activisme du référent local des internes du CHU de Poitiers, ainsi qu'au soutien que lui a apporté l'InterSyndicale des internes (Isni). Son président, Gaëtan Casanova, par ailleurs membre de la commission de l'ARS qui a eu à enquêter sur les agissements de ces médecins, commente pour Medscape édition française cette décision historique.

Medscape édition française : Vous attendiez-vous à cette décision du conseil de l'Ordre ?

Gaétan Casanova : J'ai été agréablement surpris par cette décision du conseil de l'Ordre car si l'on prend en compte le rapport de la cour des comptes sur l’Ordre, concernant les aspects disciplinaires de cette institution, on constate que les sanctions sont relativement faibles.

Pour une raison que l'on devine : le jugement par les pairs est-il une bonne chose ? On peut penser que non, c'est une pratique qui remonte à l'époque féodale et qui est complètement dépassée. Toujours est-il qu'il faut saluer cette juste décision de l'Ordre.

J'ai rencontré d'anciens étudiants au CHU de Poitiers qui se mettaient à pleurer en évoquant ce qui leur était arrivé dans ce service. Ce sont des faits graves et la sanction est forte, également sur le plan symbolique : l'interdiction d'exercice est la sanction ultime pour les médecins. Lorsque l'on interdit l'exercice, on considère qu'il y a un problème dans l'exercice lui-même.

L'Ordre a en effet considéré que la manière qu'avaient ces quatre praticiens de former les internes est incompatible avec leur mission de compagnonnage. Aussi, lorsque l'on est aussi malveillant, on peut se questionner sur leur capacité à prendre en charge des patients.

Je me souviens de cette histoire que l'on m'a raconté à propos du chef de service sanctionné, qui avait refusé de se déplacer lors d'une hémorragie de la délivrance de plus d'un demi-litre d’une patiente. Lorsque l'interne l'a appelé pour lui demander de l'aide, le chef de service lui a répondu : « tant que je ne verrai pas le sang couler sous la porte, traverser la salle de naissance et aller dans la salle de naissance d'en face, je ne me déplacerai pas. »

Donc je pense en effet que la sanction est non seulement adaptée, mais aussi historique et elle envoie un signal à tout le monde, à la fois aux praticiens, aux internes, aux hôpitaux et aussi aux patients. Les qualités humaines sont aussi importantes que les qualités techniques et lorsque l'empathie est totalement absente, la technique en prend un coup tout comme la prise en charge.

 
Je pense que la sanction est non seulement adaptée, mais aussi historique et elle envoie un signal à tout le monde, à la fois aux praticiens, aux internes, aux hôpitaux et aussi aux patients.
 

Quid de la décision du parquet qui a décidé de ne pas poursuivre ?

Gaétan Casanova : Le magistrat n'a pas décidé le renvoi devant le tribunal correctionnel pour une raison toute simple, et c'est peut-être ma seule déception : il n'y a pas à l'heure actuelle suffisamment d'éléments pour renvoyer en correctionnelle. Car de nombreux internes n'ont pas voulu témoigner de façon non-anonyme devant l'officier de police judiciaire. Il y a eu plusieurs témoignages non-anonymes mais il n'y en a pas eu beaucoup.

La plupart avait peur des conséquences que cela pouvait avoir.

Deuxième point : la justice tout comme l'hôpital est en crise, et toutes les affaires ne sont pas renvoyées par manque de moyens.

Qu'a-t-on reproché à ces praticiens ?

Gaétan Casanova : Des violences essentiellement psychologiques, verbales, parfois physiques. Un des chefs filait des coups de pied aux externes, pendant les stages. Certains de ces faits peuvent être qualifiés de harcèlement.

Combien de temps cela a-t-il duré ?

Gaétan Casanova : Cela durait depuis plus d'une dizaine d'années. C'est un service qui était stigmatisé par ces comportements. Je me suis demandé comment on pouvait réunir dans un seul et même service autant de personnes « déviantes », soit quatre au total. Parfois l'on en rencontre un ou deux, mais jamais autant.

Cela vient du fait que ce sont les responsables, chefs de service et de pôle, qui sont les plus anciens dans le service et qui ont institué ce règne de terreur. De nombreux praticiens et internes ont démissionné, et le service, ainsi, ne gardait en son sein, que des personnes, quasiment, dangereuses. Les responsables de ce service ont littéralement sélectionné des personnes malveillantes. C'est l'un des aspects les plus marquants de cette affaire.

Connaissez-vous d'autres services dans le même genre de situations ?

Gaétan Casanova : Oui, il y en a plusieurs, en cours d'instruction, dont on entendra parler lorsque les dossiers seront mis en état. Poitiers n'est pas unique mais exceptionnel tout de même eu égard à la durée des sévices, et le nombre de praticiens mis en cause. Mais malheureusement il y a d'autres services où des praticiens sont sous le coup de procédures disciplinaires et pénales.

 
Poitiers n'est pas unique mais exceptionnel tout de même eu égard à la durée des sévices, et le nombre de praticiens mis en cause.
 

Y a-t-il d'autres recours contre ces praticiens ?

Gaétan Casanova : Oui, nous avons introduit un recours auprès de la juridiction disciplinaire des hospitalo-universitaires. Pour les deux PUPH, la dernière étape est de leur interdire définitivement le droit d'enseigner. Quand on a été aussi malveillant et que l'on a créé autant de souffrances, on n'a plus le droit de porter le titre de professeur. Leur attitude a été une tache pour ce titre et cette fonction.

 
Quand on a été aussi malveillant et que l'on a créé autant de souffrances, on n'a plus le droit de porter le titre de professeur. Leur attitude a été une tache pour ce titre et cette fonction.
 

C'est une procédure complexe ?

Gaétan Casanova : Oui, en effet, c'est compliqué, mais cela se fait, il faut attendre un an et demi. Maintenant ces praticiens sont connus, je pense qu'ils ne vont plus trop sévir. Lorsque j'ai annoncé cette nouvelle sur les réseaux sociaux, j'ai reçu énormément de likes et de commentaires. Depuis deux ans, c'est, de loin, le message qui a fait le plus réagir. Pour moi, c'est surprenant. Je me rends compte que pour beaucoup d'internes, il y a encore des personnes intouchables. Nombre d'entre eux ne pensaient pas que ces PH allaient être sanctionnés. Il y a encore de nos jours des médecins totalement mégalomanes qui se prennent pour Dieu, et qui méprisent à la fois les personnes qu'ils soignent mais aussi les personnes avec qui ils travaillent. Ces médecins, souvent des professeurs, se croient tout permis, et pensent bénéficier d'une immunité totale. Notre tâche est de faire en sorte de leur rappeler qu'il y a des lois, une justice, et au-delà, des principes d'humanité.

 
Il y a encore de nos jours des médecins totalement mégalomanes qui se prennent pour Dieu, et qui méprisent à la fois les personnes qu'ils soignent mais aussi les personnes avec qui ils travaillent.
 

 

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