Besançon, France — Une étude danoise publiée dans le JAMA Cardiology[1] a récemment critiqué les recommandations 2021 de l’ESC sur la prévention primaire par statines. Selon les auteurs, les nouvelles recommandations réduisent dangereusement l’accès à ces traitements (voir l’article Prévention primaire par statines : les nouvelles recos européennes sous les feux de la critique).
Le Pr Schiele nous livre ici son point de vue sur les conclusions de l’équipe danoise et sur les nouvelles recommandations de l’ESC.
« Ce papier danois montre clairement qu’en Europe nous ne traitons pas tout le monde. Mais de là à dire que cela entraîne une perte de chance pour les patients, cela reste à voir. Il faudrait connaitre la réalité de la prévention au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, des pays plus libéraux sur la prescription. A mon sens, ce n’est pas utile de dire qu’il faut cibler plus de monde car les patients n’adhèreront pas. La réalité du terrain c’est que même un tiers des gens qui ont fait un infarctus considèrent que c’est inutile de prendre une statine de forte intensité ».
Ceci étant dit, concernant les nouvelles recommandations européennes, on peut quand même souligner qu’elles sont très différentes des précédentes. Ma perception, partagée par pas mal de mes collègues, est qu’elles sont difficiles à comprendre et à appliquer. Il y a eu beaucoup de changements avec des bonnes idées mais en pratique, elles sont compliquées à suivre.
En résumé, il y a des éléments nouveaux dans ces recommandations 2021 qui ont des effets positifs et négatifs.
Le premier est le changement de SCORE à SCORE2, une version actualisée du calcul du risque. SCORE2 a été établi en fonction de données plus récentes de la littérature. Et, il a été optimisé. Nous sommes notamment passés de la prédiction de la mortalité brute à la prédiction des décès et des MACE, ce que l’on peut saluer.
Un des problèmes est qu’après avoir utilisé SCORE2, les recommandations préconisent d’ajuster avec d’autres modulateurs de risque, comme la présence d’une maladie chronique, l’environnement, la pollution atmosphérique. Or, la mesure, avec laquelle il faut tenir compte de ces paramètres, reste floue. D’un côté, on utilise un score optimisé, précis, basé sur des statistiques, et de l’autre on demande d’adapter en fonction d’un certain nombre de facteurs mais on ne sait pas dans quelle proportion, il n’y a pas de pourcentages. C’est assez frustrant parce qu’on part avec une estimation précise, et que cela se termine finalement « à la louche ».
Je regrette notamment le fait que le score calcique – qui est une vraie mesure et qui permet de discuter avec le malade de sa propre physiologie et non de statistiques générales – est à peine abordé dans ces recommandations.
Aussi, alors que l’âge est déjà dans le calcul du risque SCORE2, il faut remouliner après coup en fonction de l’âge. Cela rajoute de la complexité même si c’est intéressant. Ce n’est pas très bien expliqué mais, par exemple, une personne à très haut risque selon SCORE2, sera traitée différemment en fonction de son âge. On initiera moins facilement une statine chez une personne très âgée à haut risque que chez un jeune car on tiendra compte de l’espérance de vie. C’est un message difficile à faire passer en pratique.
Une autre préconisation difficile à mettre en place est l’initiation du traitement en deux étapes. Il s’agit dans un premier temps d’insister sur les mesures hygieno-diététiques et d’établir une cible facilement atteignable, intermédiaire, avec le patient, puis dans un deuxième temps, d’augmenter les doses. L’intention est bonne car elle permet d’impliquer le malade mais dans la pratique, les malades, ne reviennent pas toujours en consultation. Personnellement, je trouve que c’est un gros challenge.
Aussi, le fait qu’il faille vraiment discuter avec le malade, trouver un compromis et ne pas lui imposer un traitement comme une statine est important mais l’application en routine reste à vérifier.
Pour conclure, je dirais que démarrer une prévention primaire prend du temps. On annonce à quelqu’un qu’il est à très haut risque alors qu’il ne le pensait pas, on lui dit qu’il faut qu’il fasse des modifications de son hygiène de vie alors qu’il n’a pas envie et qu’il va devoir prendre un médicament dont il ne sentira aucun bénéfice et dont il entend le pire mal. Que l’on prenne deux consultations longues, c’est peut-être là la solution.
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Crédit photo de Une : Aude Lecrubier
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Citer cet article: Les nouvelles recos de l’ESC sur la prévention primaire par statines sont un peu complexes en pratique - Medscape - 25 juil 2022.
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