POINT DE VUE

Crise de la cardiologie en Nouvelle-Calédonie

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

12 juillet 2022

France — La cardiologie calédonienne est en pleine crise. La moitié des effectifs de cardiologues hospitaliers, soit quatre professionnels, ont déposé leurs démissions, effectives le 20 juillet prochain. Au-delà la cardiologie, ce sont toutes les spécialités médicales qui rencontrent des problèmes de pénurie. Le gouvernement local a lancé une cellule de crise qui peine à trouver des solutions pérennes. Entretien avec le Dr Bertrand Huon, cardiologue libéral de cette collectivité d'outre-mer (COM) à  statut  particulier, et membre du collectif des cardiologues libéraux en Nouvelle-Calédonie.

Medscape : Comment est organisé la filière cardiologie en Nouvelle-Calédonie ?

Dr Bertrand Huon : Il y a un seul pôle hospitalier organisé en CHT, qui regroupe l'ensemble de la cardiologie hospitalière. Il n'y a, par exemple, pas de cardiologie en clinique. En libéral, nous faisons principalement le dépistage et le suivi des patients, et pour tout ce qui concerne la coronarographie, ou encore la rythmologie, nous les adressons au CHT, tout comme les patients qui décompensent en toute complémentarité.  Nous sommes 14 cardiologues libéraux pour toute la Nouvelle-Calédonie, dont 11 sur le grand Nouméa et trois cardiologues sur la Grande Terre (l'île principale de la Nouvelle-Calédonie). Nous sommes donc 14 pour une population d’environ 70 000 habitants. En secteur hospitalier, jusque l'an dernier, ils étaient 12, dont 3 coronarographistes, 2 rythmologues... Ils sont actuellement beaucoup moins – pas plus de 7 cardiologues –, mais l'effectif est comblé par des assistants, des généralistes, des internes.

Quand le nombre de cardiologues a-t-il réellement baissé ?

Dr Huon : Le déficit a toujours été un peu chronique. Les hospitaliers ont connu une première vague de départs il y a un an. Quatre à cinq praticiens sont partis, et n'ont pas été remplacés immédiatement. Les équipes ont tiré la sonnette d'alarme mais n'ont, semble-t-il, pas été entendues, si bien que les quatre cardiologues en CDI de l'hôpital (dont deux coronarographistes) ont décidé de poser leur démissions communes en janvier dernier, pour un départ le 20 juillet.

Auparavant les départs sur l'ile étaient compensés par des arrivées, mais ce n'est plus le cas ?

Dr Huon : Oui, exactement. À partir de 2007, 2008, la coronarographie s'est pas mal développée et l'ile est restée attractive ces quinze dernières années. Mais ces derniers temps, nous avons connu une vague de départs à la retraite, d'une part, et nous avons constaté que les praticiens étaient frileux quant à l'installation sur l'ile. Je pense que cela est dû à la période de Covid pendant laquelle les médecins sont restés bloqués sur l'ile, ils craignent peut-être que cela se renouvelle. Il y a peu de perspectives de recrutement pour les six prochains mois.

 
Ces derniers temps, nous avons connu une vague de départs à la retraite, d'une part, et nous avons constaté que les praticiens étaient frileux quant à l'installation sur l'ile.
 

Qu'est-ce qui a précipité le départ des quatre cardiologues en CDI ?

Dr Huon : Lors de la première vague de départs de juillet, deux rythmologues sont partis. Aussi, l'un des coronarographistes faisait aussi office de rythmologue. C'était une charge de travail de plus, et pour l'ensemble des cardiologues les gardes se sont multipliées, les journées à rallonge aussi... Devant l'absence de réactions de la direction de l'hôpital, les cardiologues ont décidé de poser leur démission comme un seul homme, en signe de protestation.

 
Devant l'absence de réactions de la direction de l'hôpital, les cardiologues ont décidé de poser leur démission.
 

Y aura-t-il des prises en charge qui ne seront plus possibles en Nouvelle-Calédonie ?

Dr Huon : Sans rythmologue, les patients nécessitant la pose d’un pacemaker, par exemple, devront être envoyés à Sidney, à trois heures d’avion de la Nouvelle-Calédonie. Cela engendre à la fois des pertes de chance, mais entraine aussi des coûts plus importants. En pratique, néanmoins, parmi les quatre démissionnaires, les deux coronarographistes sont en train de négocier un CDD de six mois à partir du 20 juillet.

 
Sans rythmologue, les patients nécessitant la pose d’un pacemaker, par exemple, devront être envoyés à Sidney.
 

Une cellule de crise a été mise en place, a-t-elle proposé des solutions ?

Dr Huon : Les cardiologues libéraux prennent désormais en charge une astreinte téléphonique de 18 h à 22 heures. Nous pouvons aussi éventuellement nous déplacer pour voir des patients. La nuit profonde est gérée par les urgentistes. La cellule de crise, quant à elle, est gérée par la Ddass, avec le gouvernement local et le CHT. De manière hebdomadaire, ils feront le point sur les carences pour trouver des solutions. Ils ont lancé un appel aux libéraux pour qu'ils puissent aider de manière ponctuelle, mais ils attendent beaucoup de l'arrivée des internes en novembre prochain. Une cinquantaine d'entre eux doit arriver. Mais il y a peu d'autres perspectives pour le moment.

La communauté médicale a-t-elle proposé des solutions ?

Dr Huon :  Il faut d'abord que l'hôpital puisse garder ces médecins en réformant les statuts et en offrant par exemple la possibilité de faire de l'exercice privé à l'hôpital, ce qui n'est pas le cas pour le moment en Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, il faut pouvoir être attractif : il faut savoir que les PH sont bien moins bien payés en Nouvelle-Calédonie qu'en métropole. Nous redoutons aussi l'avenir. En cardiologie libérale, par exemple, la moitié des effectifs a plus de 60 ans.

 
Il faut savoir que les PH sont bien moins bien payés en Nouvelle-Calédonie qu'en métropole.
 

Quid des autres spécialités en Nouvelle-Calédonie ?

Dr Huon :  La cellule de crise a justement été mise en place car la pénurie de médecins touche tous les territoires, toutes les spécialités, tous les secteurs. La clinique, pour la première fois depuis qu'elle a été créée, a été obligée de fermer des lits par manque de personnels. Je vous donne un exemple : pour 250 000 habitants, il n'y a que trois gastro-entérologues, il n'y a quasiment plus d'ophtalmologues... Il faut réfléchir à des recrutements pérennes de personnels de santé.

La télémédecine peut-elle être une solution ?

Dr Huon :  Oui, tout à fait. C'est une solution défendue par le syndicat des médecins libéraux de Nouvelle-Calédonie. Nous allons profiter de cette crise pour mettre en place de la télémédecine. La province Nord est dépourvue en médecins, et nous rencontrons des situations plutôt catastrophiques en certains endroits. Dans les iles, il y a des dispensaires qui rencontrent aussi des problèmes de recrutement. La télémédecine, pilotée par exemple par un infirmier sur place, pourrait permettre de résoudre bien des problèmes en menant des téléconsultations. Mais pour le moment nous n'avons rien pour faire de la télémédecine, ni les équipements, ni les cotations, rien.

 
Nous allons profiter de cette crise pour mettre en place de la télémédecine.
 

 

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