Enfant maladroit, la conduite à tenir

Nathalie Raffier

6 juillet 2022

Lille, France __  L’enfant « maladroit » correspond à un enfant dont le développement moteur s’est en général déroulé sans alerte, ni anomalies à l’examen neurologique. Il est pourtant en difficulté dans des activités de la vie courante, peine à exécuter certaines tâches, ou lentement, avec une variabilité importante dans le temps et/ou un apprentissage laborieux.

Au congrès annuel des Sociétés de pédiatrie (Lille, 1-3 juin 2022) [1], le pédiatre Thiébaut-Noël Willig (Troubles du neurodéveloppement, Clinique Ambroise Paré, Occitadys et Eventail31, Toulouse) a détaillé en tant que co-rédacteur les nouvelles recommandations 2022 sur l’enfant maladroit ; un « Pas à pas » validé par l’Association Française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) et la Société française de neurologie pédiatrique (SFNP)[2]. Il donne à Medscape édition française ses 10 points clés de la prise en charge.

Thiébaut-Noël Willig

1. La plainte de l’enfant maladroit peut concerner des domaines très variables : Courir, sauter, faire du cloche-pied (motricité globale), faire de la bicyclette, rester en équilibre sur une jambe, marcher sur une ligne (équilibre statique ou dynamique), jouer au ballon ou aux raquettes (coordination oculo-manuelle), nager (coordination membres inférieurs/supérieurs), dessiner, écrire, bricoler (motricité fine), découper précisément, tracer au compas (précision visuomotrice). L’enfant peut aussi se repérer difficilement dans le temps ou dans l’espace. La perception de l’orientation des traits et de rapports de topographie, la réalisation de figures géométriques et de construction de courbes (visioconstruction en 2 ou 3D) peuvent également poser un problème.

2. L’examen clinique est peu informatif car l’enfant peut disposer de bonnes capacités de communication par le langage oral ou la mimique du visage, être vif et dans l’interaction avec les autres. Quelques signes mineurs peuvent néanmoins être présents (pianotage des doigts, cloche-pied, marche sur une ligne…).

3. Tout débute par une analyse détaillée de la plainte, avec les retours de l’enfant, de ses parents, des personnes de son environnement habituel. Pour tous les enfants, l’analyse des capacités sensorielles (audition, vision) doit précéder celle du langage oral, du domaine non verbal, de l’examen neuromoteur, des aptitudes sociales, des apprentissages et de l’attention. Cette anamnèse permet d’identifier la plainte et de repérer d’éventuelles comorbidités (trouble du spectre de l’autisme (TSA), trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Associée à l’examen clinique, elle distinguera un trouble simple relevant d’un médecin de premier recours, ou un trouble complexe correspondant à un second recours de soins, ou à une filière de soins spécialisée.

4. Orienter vers une équipe de neuropédiatrie est la règle dans un contexte de syndrome pyramidal, cérébelleux, ou d’orientation vers une maladie neuromusculaire. Des difficultés dans les règles de conversation et dans la pragmatique (ajuster le discours en fonction du contexte et début de communication, interpréter les informations implicites) orientent vers un trouble des interactions sociales. L’enfant doit alors être confié à une équipe spécialisée de seconde ligne pour les troubles du spectre de l’autisme, ou vers une plateforme de coordination et d’orientation (PCO). Une prématurité, un retard de croissance intra-utérin, une alcoolisation fœtale, une prise de valproate, notamment, requièrent un accompagnement préventif précoce vers un réseau de soins pour enfants vulnérables (RSEV), voire un CAMSP (centre d’action médicosociale précoce).

Les centres de référence des troubles du langage et des apprentissages (CRTLA) et les centres ressources autisme (CRA) sont réservés aux situations très complexes.

Pour tous les enfants, l’analyse des capacités sensorielles (audition, vision) doit précéder celle du langage oral, du domaine non verbal, de l’examen neuromoteur, des aptitudes sociales, des apprentissages et de l’attention.

5. Devant une plainte motrice isolée, repérer les troubles développementaux de la coordination (TDC) grâce à un questionnaire en ligne.

Les plateformes de coordination et d’orientation des troubles du neurodéveloppement (PCOTND) donnent accès à la possibilité de financement par l’Assurance maladie des bilans et des rééducations nécessaires pour les enfants âgés de moins de 7 ans (bientôt jusqu’à 12 ans). Ceci via un questionnaire d’orientation accessible en ligne[3].

À 5 et 6 ans, période typique de diagnostic des troubles développementaux de la coordination (TDC), 3 réponses négatives dans 2 catégories (notamment sur des signes d’alerte touchant la motricité fine et la motricité globale) permettent au médecin de premier recours d’orienter vers la plateforme de coordination et d’orientation (PCO) de son département.

De plus, un auto-questionnaire d’évaluation fonctionnelle permet à la famille à partir de 5 ans d’évaluer la gêne motrice dans la vie quotidienne : le DCD QFE 5-15 (Developmental Coordination Disorder Questionnaire French Europe) [4]. Un seuil d’alerte en deçà de 56 (sur 75) permet au médecin de premier recours d’argumenter sa prescription de bilans complémentaires.

6.  Une évaluation normée des compétences motrices (grâce au MABC-2, en particulier) et visuo-spatiales, au moyen d’un bilan en psychomotricité ou en ergothérapie, est indiquée en l’absence d’autres éléments d’orientation, de l’analyse de la plainte, de l’examen et de l’évaluation cliniques (dysmorphie, anomalies de l’examen neurologique, taches café au lait…), des difficultés fonctionnelles.

Il faut rechercher de manière systématique des comorbidités – fréquentes – sur le langage oral, l’attention, les apprentissages (lecture, écriture, calcul) ou les relations sociales. En effet, en fonction de la présence de comorbidités, les priorités rééducatives et d’aménagements peuvent être revues, voire justifier la demande d’une reconnaissance par la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) si l’enfant nécessite la mise en œuvre de dispositifs particuliers (auxiliaire de vie scolaire, matériel pédagogique adapté).

7. Le trouble développemental des coordinations (TDC) , chez un enfant de 5 ans ou plus, se manifeste par une gêne fonctionnelle significative retentissant sur sa vie quotidienne. Le médecin de premier recours peut évoquer ce diagnostic après appréciation de la gêne fonctionnelle, de son caractère durable et de sa sévérité (questionnaire parental), et de l’évaluation des données anamnestiques témoignant du caractère développemental du trouble ; ceci en l’absence d’anomalie clinique significative ou de contexte spécifique. Les signes de dyspraxie sont l’une des expressions du TDC, validant les critères de diagnostic de la DSM-5 ou de la CIM-11.

La prise en charge rééducative, focalisée sur des objectifs concrets et prioritaires dans la vie de l’enfant, est réalisable aussi bien par les psychomotriciens que les ergothérapeutes.

8. La dysgraphie peut être isolée ou faire partie d’un trouble spécifique d’apprentissage de langage écrit, un trouble développemental des coordinations (TDC) et/ou un trouble du déficit de l’attention (TDAH). La rééducation peut se mettre en place dès la grande section de maternelle en cas de sévérité associée à un contexte plus général d’atteinte praxique, ou en CE1 si, après l’âge habituel d’accès à la lecture/écriture, la gêne motrice reste prépondérante. À partir du CM1/CM2, l’approche en rééducation est complétée ou relayée par une approche en réadaptation qui évolue selon les exigences maturatives et les classes, avec la mise en place d’autres outils de compensation des difficultés (stylo ergonomique, plan incliné pour écrire, outil de numérisation des textes), la révision à la baisse des attentes des enseignants ou des parents vis-à-vis des productions écrites, et même le passage à l’ordinateur.

Outre le fait d’apprécier la plainte, le rôle du pédiatre est de déceler des comorbidités et d’apprécier le retentissent de ces difficultés.

9. Si la plainte persiste ou s’aggrave, il faut savoir répéter les questionnaires/évaluations. Interroger une structure de niveau supérieur est aussi judicieux si la rééducation s’éternise sans objectif ou sans réévaluations claires et normées.

 

10. Le pédiatre joue un rôle de coordinateur du suivi de l’enfant. Outre le fait d’apprécier la plainte, le rôle du pédiatre est de déceler des comorbidités (langage oral, écrit, calcul, attention) et d’apprécier le retentissent de ces difficultés (anxiété, perte de l’estime de soi, dépression, problèmes relationnels avec ses camarades…) afin de mettre en place une rééducation, des aménagements pédagogiques et/ou de compensation du handicap.

 

Pour en savoir plus :

- Synthèse INSERM 2019 sur le trouble développemental de la coordination (TDC) : 

Arnaud C, Albaret JM, Assaiante C, et al. Trouble développemental de la coordination ou dyspraxie – une expertise collective de l’INSERM, Synthèse et recommandations 2019. p. 140. www.inserm.fr/informationen-sante/expertises-collectives/trouble-developpemental-coordination-ou-dyspraxie

- Validation en population française du questionnaire sur les troubles praxiques : Ray-Kaeser S, Thommen E, Martini R, et al. Psychometric assessment of the French European Developmental Coordination Disorder Questionnaire (DCDQ-FE). PLoS One 2019;14(5):e0217280.

- Comment améliorer le parcours de santé d’un enfant avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages ? Guide parcours de santé. Paris : Haute Autorité Santé ; 2017. p. 61.

- Haute Autorité de Santé. Trouble du spectre de l’autisme. Signes d’alerte, repérage, diagnostic et évaluation chez l’enfant et l’adolescent. Paris, France : Haute Autorité de Santé ; 2018. p. 45.

 

 

Thiébaut-Noël Willig déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le sujet de l’article.

 

 
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