POINT DE VUE

Urgences pédiatriques : « on ne peut pas jouer les pompiers de service pour éteindre tous les feux dans la région »

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

5 juillet 2022

Pr Isabelle Claudet

France — Les services d’urgence adultes ne sont pas les seuls à faire face à de graves difficultés à l’approche de l’été. Les urgences pédiatriques sont aussi concernées par un afflux de patients et le manque de personnels. Les syndicats et sociétés savantes pédiatriques ont formulé des propositions au Pr François Braun, pilote d’une mission flash pour trouver des solutions. Le Pr Isabelle Claudet, cheffe des urgences pédiatriques du CHU de Toulouse, confirme la suractivité enregistrée ces derniers mois et la nécessité d’agir pour améliorer la situation.

Medscape : Selon les sociétés savantes de pédiatrie, les urgences pédiatriques représenteraient 30% des 22 millions de passages annuels aux urgences. Or, on en entend peu parler, comment l’expliquez-vous ?

Pr Isabelle Claudet : Cela fait un moment que nous alertons sur la dégradation de la situation. Déjà l’hiver dernier, nous avions tiré la sonnette d’alarme mais à chaque fois, le sujet est occulté, soit à cause d’une nouvelle vague Covid, soit à cause de manifestations plus bruyantes. Nous n’avons pas le même niveau d’écoute que nos collègues des urgences adultes lorsqu’ils se mobilisent. Sans doute car nous sommes moins nombreux, moins syndiqués et peut-être moins politiques.

La fréquentation des urgences pédiatriques a-t-elle augmenté dans votre service ces dernières années ? Arrivez-vous à y faire face ?

Pr Claudet : Au niveau national, la situation explose depuis la mi-septembre 2021. On est habitués à des pics de fréquentation saisonnier avec les épidémies mais là, le phénomène est inédit sur sa durée. Nous vivons quelque chose d’anormal avec des hausses d’activité de 30 à 60% selon les centres pédiatriques, c’est énorme. A Toulouse, nous enregistrons entre 200 et 250 passages quotidiens depuis la mi-septembre avec de petites inflexions pendant les congés de Noël et février. C’est bien au-delà de la fréquentation habituelle avant le Covid.

 
Nous n’avons pas le même niveau d’écoute que nos collègues des urgences adultes lorsqu’ils se mobilisent.
 

Votre équipe est-elle suffisamment dimensionnée pour faire face à cet afflux ?

Pr Claudet : Non, comme tous les services d’urgence pédiatrique, on a un effectif bien moindre, à passage égal, que les urgences adultes. Nous comptons 12,8 ETP de médecins et nos collègues sont régulièrement 4 fois plus. Nous avons du mal à recruter, nous devons faire face à des départs, des démissions, aussi bien de médecins que d’infirmières. Nous fermons des lits tous les jours à cause de l’absentéisme.

 
A Toulouse, nous enregistrons entre 200 et 250 passages quotidiens depuis la mi-septembre. C’est bien au-delà de la fréquentation habituelle avant le Covid.
 

Comment expliquez-vous cette évolution ?

Pr Claudet : C’est bien sûr multifactoriel. Le défaut d’attractivité existait depuis plusieurs années et les épisodes Covid ont accentué la situation jusqu’à la rendre explosive. On s’est serré les coudes pour faire face au Covid mais on voit aujourd’hui que nos métiers n’attirent plus. On a du mal à recruter. Plus d’activités pèsent sur ceux qui restent et ils finissent par s’épuiser. Les centres hospitaliers généraux peinent aussi à recruter dans les filières pédiatriques et maternité. Si bien qu’ils font régulièrement appel aux CHU pour les aider. Cela devient compliqué car les CHU sont eux-mêmes en difficulté. On ne peut pas jouer les pompiers de service pour éteindre tous les feux dans la région.

Faites-vous aussi les frais, par ricochet, de la crise démographique de la médecine libérale ?

Pr Claudet : Oui, clairement. La France manque de pédiatres libéraux depuis des années mais elle commence aussi à manquer de médecins généralistes. Beaucoup de familles ont des difficultés à avoir un rendez-vous et vont aux urgences pour un motif qui ne le nécessite pas forcément. Environ un quart des passages aux urgences pédiatriques seraient injustifiés. Cela mobilise du personnel qui pourrait pu être mis au profit d’enfants instables. La façon de travailler n’est pas qualitativement satisfaisante.

 
Nous avons du mal à recruter, nous devons faire face à des départs, des démissions. Nous fermons des lits tous les jours à cause de l’absentéisme.
 

Les sociétés savantes regrettent que les cliniques privées n’aient pas une offre très étoffée en urgence pédiatrique.

Pr Claudet : Lorsque les urgences adultes fonctionnent en mode dégradé, elles réorientent le patient vers leur médecin de famille pour les voir dans les 48 heures. Et si un avis médical urgent s’impose, elles renvoient vers les cliniques privées qui peuvent les recevoir. En pédiatrie, c’est beaucoup plus compliqué. L’accueil d’urgence pédiatrique sur Toulouse se fait très peu dans le privé et cela ne va pas aller en s’améliorant car la réforme du financement des urgences est très défavorable à la pédiatrie qui est très mal valorisée. Cela va entraîner un report sur nos activités, c’est sûr.

La régulation pédiatrique par les centres 15 est en difficulté sur l’urgence pédiatrique ?

Pr Isabelle Claudet : Oui, car l’expertise n’y est pas et le plus souvent, les petits nous sont systématiquement adressés. En ce moment, ils sont aussi en train de réguler tout ce qui devrait passer par les urgences adultes. Certains voudraient que tous les passages en urgences soient au préalable régulés par le centre 15. Cela signifie qu’il faudrait mettre plus de médecins au bout du fil et proposer une expertise pédiatrique. Comme les pédiatres ne se trouvent pas sous le sabot d’un cheval, il pourrait s’agir de puéricultrices de pratique avancée bien formées à cette régulation, à l’aide de scripts avec des questions permettant de déterminer le niveau de gravité et la possibilité de recourir à un médecin si elles ne savent pas trancher.

Quelles sont les solutions prioritaires à mettre en place, selon vous ?

Pr Claudet : Il faudrait enfin mettre les effectifs des urgences pédiatriques au même niveau que celui des urgences adultes pour un même nombre de passages. Il faudrait aussi que l’on ait la garantie d’avoir un personnel non médecin suffisant, y compris pour les urgences les plus graves avec des équipes dédiées au déchoquage, à l’urgence vitale. Et puis, il faut absolument rendre à nouveau attractif l’hôpital public pour garder ouvertes les maternités, la permanence des soins sur la pédiatrie, la néonatologie – ça demande des pédiatres – et il faut que la médecine générale, à nouveau, participe à la permanence des soins à travers de maisons médicale de garde, à côté des services d’urgences, en particulier dans les grandes villes.

 
Il faut absolument rendre à nouveau attractif l’hôpital public pour garder ouvertes les maternités, la permanence des soins sur la pédiatrie, la néonatologie et il faut que la médecine générale participe à la permanence des soins à travers de maisons médicale de garde.
 

Faudrait-il aussi davantage « éduquer » les parents au bon usage des urgences ?

Pr Claudet : Non, ça ne marche pas. Les parents n’ont pas besoin d’être éduqués. Ils ont bien compris où étaient leur intérêt. Une erreur a été faite quand on a créé les services d’urgence car on n’a jamais défini ce qui devait y entrer ou non. Au fil des années, on en a fait des super-structures avec des gens surspécialisés, avec des plateaux techniques de haut niveau, des examens de biologie, une surveillance de plusieurs heures et une ouverture H24, 7J/7. Les gens ne s’y trompent pas. Si un enfant est malade, où vont les parents inquiets, la nuit ou le WE ? Ils vont là où ils trouveront une réponse immédiate à leur inquiétude.

Cette surfréquentation a-t-elle une incidence sur les relations que vous pouvez avoir avec les familles ?

Pr Claudet : Bien entendu ! Les gens sont déjà énervés par le contexte sociétal actuel, avec parfois des difficultés financières, le fait de se retrouver dans une salle d’attente où il y a déjà 70 personnes, l’attente, la frustration de n’avoir pas trouvé de médecin en ville… Ils arrivent parfois un peu tendus. Si on leur dit qu’ils n’ont rien à faire là, ça se finit assez mal. Nous vivons des frustrations bilatérales en permanence.

Cela entraîne-t-il des situations de violence ?

Pr Claudet : Il y en a de plus en plus, bien sûr. Il faudrait qu’il y ait, en plus des maisons médicales, des cliniques de jour, ouvertes de 8h à 20h avec un plateau technique de radiologie et la possibilité de faire des examens de biologie. Il faudrait aussi qu’elles fonctionnent les WE et jours fériés. Mais comment recruter en ce moment ? On se trouve dans une situation complexe.

Avez-vous des craintes pour cet été ?

Pr Claudet : Oui, on craint la fermeture de secteurs de pédiatrie et de maternités de centres hospitaliers généraux avec des reports sur le CHU qui n’a pas forcément les capacités de compenser ce qui ne peut pas se faire en région. Comme l’épidémie de Covid repart, on tend un peu le dos. S’il faut maintenir des lits pour les enfants, cela peut se faire en décidant des déprogrammations. Pour l’instant, on arrive à tenir mais l’hiver dernier, on a dû déprogrammer pendant une période de 15 jours.

 
On craint la fermeture de secteurs de pédiatrie et de maternités de centres hospitaliers généraux avec des reports sur le CHU qui n’a pas forcément les capacités de compenser.
 

Une grève a été lancée aux urgences adultes de Purpan . Envisagez-vous de vous y associer ?

Pr Claudet : Pour l’instant, non, mais ce n’est pas exclu par des gens de mon équipe. C’est terrible d’en arriver à ce genre d’actions qui n’est pas dans la nature de notre profession. Quand on le fait, ce n’est jamais de bon cœur.

Qu’attendez-vous de la mission Flash confiée au Pr Braun pour proposer des solutions dès cet été ?

Pr Claudet : Nous espérons que les urgences pédiatriques ne seront pas oubliées, ni minimisées comme elles l’ont été dans la réforme du financement. On se méfie de ne récupérer que des miettes. Les mesures annoncées devront s’appliquer pareillement entre les urgences adultes et pédiatriques à activité égale.

 
Nous espérons que les urgences pédiatriques ne seront pas oubliées, ni minimisées comme elles l’ont été dans la réforme du financement.
 

 

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