« Si les modalités d’apprentissage et d’exercice du Docteur Junior étaient appliquées et respectées, ce statut serait légitime et permettrait aux jeunes thésés d’apprendre leur rôle de médecin chef de manière extrêmement qualitative », estime le Dr Pauline Seriot. Mais qu’en est-il en pratique ? Est-il temps de revoir ce statut et surtout de modifier son appellation, souvent perçue comme « dégradante » et « péjorative » ?
TRANSCRIPTION
"Bonjour à tous, aujourd’hui je vous propose d’évoquer la question épineuse du statut de Docteur Junior.
Ce statut est apparu par décret en 2018 et correspond à la phase finale de l’internat, intégré au sein du 3e cycle des études médicales. En bref, il s’agit d’un interne qui a soutenu sa thèse, d’où l’appellation de « docteur » et qui intègre un service hospitalier afin de terminer sa phase d’internat durant un a deux ans, selon les spécialités.
L’incohérence de cette dénomination, qui peut semer le doute, vient du fait qu’il ne s’agit plus d’un interne, car il est thésé, mais il est néanmoins nécessaire pour lui de valider cette phase pour obtenir de son diplôme d’Etat en médecine. On l’appelle donc « junior » car il n’a pas le statut de Chef de Clinique Assistant comme auparavant, ou de Praticien Hospitalier.
Attributions et exercice du Docteur Junior
Dans les textes de loi, que retrouve-t-on ? Si l’on se réfère au Journal Officiel du Code de la Santé Publique, les attributions allouées au Docteur Junior sont sous la régence d’une autonomisation progressive supervisée. Le but du Docteur Junior est qu’il parvienne à une pratique autonome et professionnelle de la médecine.
Il existe une fiche de poste qui codifie les différentes missions que doit réaliser le Docteur Junior durant son stage. Ces missions sont supervisées par un référent que le Docteur Junior pourra consulter à tout moment.
Les attributions du Docteur Junior sont amenées à évoluer et à se diversifier par paliers tout au long du stage afin qu’il acquiert toute l’autonomie nécessaire à sa pratique médicale. Il exerce d’abord en doublure avec un autre praticien et dès qu’il se sent prêt à passer au palier supérieur (c’est-à-dire à la prise en charge médicale des patients en autonomie, puis la séniorisation des internes, puis la gestion des avis dans et à l’extérieur l’hôpital, etc.), il s’entretient avec son référent afin de valider ses acquis.
Son référent, qui lui est attribué au préalable, doit l’accompagner et le conseiller tout au long de son stage. Il doit valider les différentes missions qui lui ont été attribuées au moyen d’entretiens très réguliers et s’assurer que le Docteur Junior soit en mesure de passer à l’étape supérieure.
En ce qui concerne l’organisation logistique de son stage, le Docteur Junior est intégré au planning des internes. Cependant, il réalise d’emblée des gardes sur le planning des médecins seniors. Cohérence ? On est en droit de se poser la question.
Par ailleurs, le Docteur Junior doit travailler au maximum 39h/semaine et je me réjouis de cela, car je n’ai jamais si peu travaillé (néanmoins, c’est sans compter les heures supplémentaires).
L’autonomisation progressive supervisée
Qu’appelle-t-on l’autonomisation progressive supervisée ? Les mots ont un sens.
Autrement dit, on ne jette pas le Docteur Junior à la fosse aux lions dès qu’il intègre un service hospitalier. Tout ceci est très explicite et paraît très bien encadré, mais qu’en est-il dans la réalité ?
Tout d’abord, commençons par les conditions de travail.
Je vais me permettre de vulgariser les choses et de les généraliser (au regard de ma propre expérience et à celles de Docteurs Juniors avec qui j’ai été amenée à m’entretenir).
Dans les faits, le Docteur Junior est doublé, et rapidement, voire très rapidement, il est mis sur le terrain comme Senior avec toutes les fonctions et les responsabilités d’un praticien hospitalier.
Néanmoins, comme vous l’avez compris avec ce que je vous ai exposé auparavant, le Docteur Junior n’est pas sensé disposer d’emblée de toutes les attributions d’un médecin sénior. Souvent, il est considéré comme un « interne vieux semestre », qui doit, encore et toujours, faire ses preuves. En réalité, il ne bénéficie pas de l’image et des qualités octroyées anciennement au Chef de Clinique Assistant. Les modalités d’autonomisation quant à elles, sont laissées au libre choix de la structure qui accueille les Docteurs Juniors.
Néanmoins, pour en avoir parlé avec certains, l’autonomisation débute très fréquemment « dès le premier jour » et « n’est pas vraiment progressive ni supervisée ». Le Docteur Junior est en doublure quelques jours, puis est très rapidement positionné sur le planning des médecins séniors et non EN PLUS, comme il l’est mentionné dans le Journal Officiel.
Le référent, qui constitue finalement la pierre angulaire de l’évolutivité et de l’apprentissage du Docteur Junior, il n’en a pas entendu parler, ou il ne sait pas vraiment qui c’est. Et puis, de toute manière, si toutes les responsabilités lui sont allouées dès le premier jour, à quoi servirait un référent afin de valider l’acquisition des compétences par palier, finalement.
Autrement dit, malgré ce qui fait mention dans les textes, le Docteur Junior apprend souvent sur le tas. De toute façon, tout le monde a fait comme ça depuis des années et il faut s’en accommoder. Certains seniors ne comprennent pas qu’il existe autant de formalités autour de la création de ce statut de médecin junior. Pour eux, « de leur temps », donc il y a 3 ans, ils passaient d’interne à médecin senior, ils « vivaient tous l’enfer », « c’était dur », ils « en bavaient », et ne comprennent pas pourquoi cela se passerait autrement pour les nouveaux jeunes médecins.
Or, n’oublions pas, le Docteur Junior n’est pas recruté comme un médecin senior et il n’est pas traité comme tel. En plus de cela, il n’a pas la rémunération octroyée aux médecins seniors en début de prise de poste.
La rémunération
Quid de la rémunération, ou plutôt la rétribution comme j’ai l’habitude de le dire depuis l’internat ?
Le salaire d’un Docteur Junior correspond globalement à celui d’un interne vieux semestre (6e à 8e semestre) et pour être tout à fait transparente, il équivaut à 27 125 euros brut par an, soit 45 euros de plus qu’un interne de dernière année. Je me retiens d’applaudir devant cette évolution salariale…
Docteur Junior : une appellation « dégradante » et « péjorative »
Une étude britannique menée par le Dr Scarlett McNally auprès de 2000 personnes (regroupant patients, personnel médical et paramédical) a révélé que plus de 78% des personnes interrogées considéraient l’expression de Docteur Junior comme « dégradante » et qu’elle renvoyait une image péjorative du métier, qui ne reflétait pas les capacités réelles de ces professionnels et le travail extrêmement difficile qu’ils fournissaient chaque jour ».
À cause de cette appellation, les Docteurs Juniors sont parfois confondus avec des étudiants en médecine et les patients se demandent fréquemment s’ils ont réellement vu un médecin ! Cette étude préconise donc l’abandon de l’expression de Docteur Junior.
En pratique
Si l’on résume la situation, la création de ce poste de Docteur Junior a engendré plusieurs conséquences :
Premièrement, d’attribuer une locution totalement ridicule et dépréciative d’un docteur en médecine.
Deuxièmement, de maintenir un jeune docteur en médecine dans une situation de précarité à la fois sociale et financière.
Et enfin, de pallier au manque d’attractivité de l’hôpital public et au déficit de médecins en plaçant des médecins en formation à moindre coût, sur le planning des médecins seniors.
Malgré une définition claire du projet de Docteur Junior au Journal Officiel du Code de la Santé Publique, rien ne permet d’affirmer qu’un Docteur Junior sera bien encadré et bien formé.
Je pense que si les modalités d’apprentissage et d’exercice du Docteur Junior étaient appliquées et respectées, ce statut serait légitime et permettrait aux jeunes médecins thésés d’apprendre leur nouveau rôle de médecin chef de manière extrêmement qualitative.
Et oui, je suis totalement d’accord avec l’étude du Dr McNally, arrêtons cette appellation totalement ridicule de Docteur Junior (j’entends même parler de « Baby Doc » ; imaginez-vous si j’appelais mes confrères de 60 ans « Old Doc », comment le prendraient-ils ?)
Je propose qu’on appelle un Docteur Junior ce qu’il est, c’est-à-dire un médecin thésé, donc un Docteur en médecine.
Pour finir, revoyons enfin l’application sur le terrain des belles paroles délivrées par le Journal Officiel afin que cette année de Docteur Junior ne devienne pas une énième année d’internat et que ces jeunes docteurs ne représentent pas finalement des ersatz de médecins payés au rabais dans les services hospitaliers."
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Citer cet article: Docteur Junior : pourquoi le statut, mais aussi l’appellation, posent problème - Medscape - 7 juil 2022.
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