Focus sur les cancers thoraciques non à petites cellules, avec les Drs Marie Wislez (hôpital Cochin), Boris Duchemann (hôpital Avicenne) et Manuel Rodrigues (Institut Curie) qui commentent entre autres les essais NEOpredict, ADAURA (à 3 ans) et CodeBreak200, présentés à l’ESMO 2022 .
TRANSCRIPTION
Manuel Rodrigues – Bienvenue sur le site de Medscape pour cette nouvelle interview en partenariat avec la Société Française du Cancer et en direct depuis l’ESMO 2022, à Paris cette fois-ci, ce qui est bien agréable. J’ai le plaisir de rencontrer deux de nos collègues, le Dr Marie Wislez, professeure en oncologie thoracique à l’hôpital Cochin et le Dr Boris Duchemann, MCU-PH à l’hôpital Avicenne, à Bobigny.
Nous allons parler d’oncologie thoracique : il y a eu beaucoup d’actualités, nous allons nous focaliser sur le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC). On peut déjà commencer au stade localisé en parlant du périopératoire, aussi bien pour les anti-PD-1 que les thérapies ciblées.
NEOpredict : traitement néoadjuvant avec le nivolumab dans le CPNPC
Marie Wislez – Oui, il y a eu des actualités dans le périopératoire, avec de l’immunothérapie en néoadjuvant. Actuellement, on a plusieurs phases III de chimio-immuno-néoadj. et puis de l’immuno. en adjuvant et là, on avait à nouveau une phase II de néoadjuvant où on ajoute au nivolumab, un anti-LAG-3, le relatlimab.
C'est donc une phase II randomisée dont l’objectif était la faisabilité. Cette étude [NEOpredict-Lung] montre en effet la faisabilité de l’association des deux immune checkpoint inhibitors. [1] Il y a une réponse histologique majeure supérieure lorsqu’on additionne l’anti-LAG-3 au nivolumab et c'est un signal encourageant pour enrichir, étoffer notre arsenal de néoadjuvants.
Manuel Rodrigues – C’est une combinaison dont on dispose dans le mélanome et qui d’ailleurs a obtenu son AMM récemment en première ligne dans le mélanome cutané.
Marie Wislez – Le poumon « suit » donc effectivement le mélanome. C’était une toute petite étude de phase II et je pense qu’on va avoir d’autres études dans d’autres indications.
ADAURA à 3 ans (osimertinib)
Marie Wislez – Il y a eu également la mise à jour de ADAURA, l’étude de phase 3 qui compare l’osimertinib à un placebo en adjuvant. [2] L’objectif principal était la survie sans récidive, on savait que le hazard ratio était à 0,17 en faveur de l’osimertinib et donc, là, on a la mise à jour à trois ans – le hazard ratio est à 0,23. Ce qu’on peut voir, c’est que l’amplitude du bénéfice augmente – on le savait déjà avec les stade I, II, et III, et on voit aussi qu’à trois ans, il y a un décrochement et que dans le bras osimertinib, après trois ans, la courbe de survie sans récidive a peut-être tendance à rejoindre celle du bras placebo. Donc on se pose toujours la question : « est-ce qu’on décale la rechute, ou est-ce qu’on va augmenter le taux de guérison ? » Aucune mise à jour des données de survie n’a été présentée. En tout cas,il n'y a pas de signal de tolérance supplémentaire, un hazard ratio qui reste très intéressant pour la survie sans récidive, mais quand même un petit décrochement à trois ans.
Mise à jour des essais au stade avancé
Manuel Rodrigues – On a eu aussi une mise à jour des essais au stade avancé. La situation est un peu compliquée, surtout quand on n’est pas dans le monde de l’oncologie thoracique avec tous vos algorithmes, mais il y a de la chimiothérapie avec les anti-PD-1 qui s’est installée comme standard.
Boris Duchemann – Oui, exactement, ce sont les études (essais Keynote 189 et 407) qui se sont intéressées à la chimio- et à l’immunothérapie, à la fois dans la population des adénocarcinomes et à la fois dans la population des épidermoïdes. On sait que ces études sont positives depuis maintenant de nombreuses années, mais là maintenant, on a cinq ans de recul et cela permet d’en apprécier vraiment la magnitude de bénéfice, parce qu’on a 20 % des malades qui sont traités par ce combo qui sont encore vivants à cinq ans – ce qui était complètement inimaginable il y a quelques années, où la survie à cinq ans était à 3 %. Maintenant, quand on la compare au bras contrôle, on a grosso modo 9 % contre 20 % de patients survivants, ce qui fait qu’on a gagné plus d’une dizaine de %, et là encore les chiffres sont incomparables par rapport à l’ère pré-immunothérapie. Donc ces résultats sont bien confirmés à cinq ans et installent bien cette association de chimio-immuno comme standard, actuellement, pour tous malades métastatiques.
Manuel Rodrigues – Avec une tolérance tout à fait convenable.
Boris Duchemann – Avec une tolérance qui n’a pas changé – on a un certain nombre de patients, on le sait, qui ont des toxicités au bout d’un an, mais ce sont des toxicités assez gérables, maintenant qu’on les connaît et qu’on sait les chercher.
INSIGHT-2 : tépotinib + osimertinib chez des patients avec une amplification de MET
Manuel Rodrigues – Et en thérapie ciblée, il y a beaucoup de choses qui se sont passées ces dernières années. Il y a une nouvelle cible. On était sur les anti-EGFR depuis une quinzaine d’années et il y a eu des anti-EGFR spécifiques, il y a eu des anti-MET plus récemment aussi, et des anti-KRAS ― enfin, anti-KRAS G12C précisément. On a donc des nouvelles données sur les anti-MET et les anti-KRAS.
Marie Wislez – Absolument. Ce qui m’a marqué, c’est l’osimertinib en première ligne pour les EGFR mutés, c’est quand même le standard, et bien sûr la question qui se pose est : qu’est-ce qu’on fait à progression ? Donc à progression on rebiopsie et on cherche une anomalie moléculaire ciblable. Parmi ces anomalies moléculaires ciblables, il y a les amplifications de MET. Donc l’étude de phase II – INSIGHT 2[3] – proposait l’association tépotinib en plus de l’osimertinib à progression chez des patients avec une amplification de MET cherchée dans les tissus ou dans la biopsie liquide, puis il y avait aussi 12 malades traités par du tépotinib seul. Donc le tépotinib seul, cela ne marche pas, mais avec le tépotinib en continuant l’osimertinib, on a 50 % de réponse. On n’a pas beaucoup de suivi sur cette étude, donc la durée de réponse n’est pas encore atteinte, mais 50 % de réponse à progression chez les amplis MET, c’est un signal très fort et très encourageant pour les progressions sous osimertinib amplifiées MET.
Manuel Rodrigues – C’est intéressant qu’en fait le tépotinib tout seul ne marche pas.
Marie Wislez – Non. Il faut cibler, il n’y a eu que 12 malades, mais le taux de réponse est de 7 %.
Manuel Rodrigues – Êtes-vous habitués à la biopsie liquide pour les mutations et pour les amplifications MET ? Arrivez-vous à le détecter, aussi, en biopsie liquide ?
Marie Wislez – On peut calculer les amplifications MET en biopsie liquide, oui.
Boris Duchemann – C’est moins sensible. On capte 30 % sur les biopsies, plutôt 15 % avec les biopsies liquides.
Traitements ciblés par anti-KRAS
Manuel Rodrigues – L’anti-KRAS, c’était la grande révolution fin 2020-2021, avec un premier article de Science sur le sujet.
Marie Wislez – Et le sotorasib, qui est d’actualité à l’ESMO 2022, n’est pas la seule molécule qui cible KRAS G12C (« C » pour cystéine, parce qu’on a besoin du pont disulfure de cette cystéine). On a maintenant une autorisation pour la deuxième ligne, une ATU de cohorte, en France, après chimio-immuno. Reposant sur des données de phase I et de phase II, on a eu à l'ESMO les premiers résultats de la phase III [CodeBreak 200], qui comparait le sotorasib au docétaxel en deuxième ligne et on sait que cette étude est positive avec une amplitude de bénéfice très intéressante. [4]
Manuel Rodrigues – On s’en doute, quand on connaît le docétaxel, en plus en deuxième ligne, et les premiers signes avec le sotorasib.
Pour le sotorasib, y-a-t’il des essais en cours avec les anti-PD-1? Parce que c’est aussi le gros message du premier papier dans Science qui parlait de sotorasib ; il montrait l’efficacité de la phase I, mais, surtout, il montrait que cela activait le micro-environnement tumoral, et cela avait l’air intéressant pour un anti-PD-1 en même temps.
Boris Duchemann – Oui, c’est d’autant plus intéressant que la population KRAS, contrairement aux autres, on a plus envie de les traiter par immunothérapie – on a des taux de réponse qui, indépendamment des thérapeutiques ciblées, sont meilleurs et il y a des essais en cours qui sont développés avec différentes molécules, différents inhibiteurs de KRAS. Après, ce qu’il va falloir bien suivre, ce sont les toxicités. On a peut-être un risque de toxicité hépatique qui va se trouver majoré en particulier. Mais oui, cette association, on a vraiment hâte de pouvoir l'utiliser.
Rôle de la pollution dans les cancers du poumon chez les non-fumeurs
Manuel Rodrigues – Il y a un dernier message de cet ESMO 2022 : on sait qu’on a à peu près 40 % des cancers qui sont évitables en France – le tabac, l’exposition solaire, l’alimentation, l’activité physique etc. – le tabac est bien évidemment votre spécialité et, si je me souviens bien, il y a quand même quelque chose qui se passe avec les adénocarcinomes des non-fumeurs, des jeunes en particulier, qui augmentaient régulièrement, avec des questions : d’où cela vient ? Il y a eu une première présentation présidentielle brillante de Charles Swanton sur la question d’un lien, éventuellement, avec les PM2.5, ces petites particules de moins 2,5 microns.
Marie Wislez – En effet, le cancer du non-fumeur, aujourd’hui, c’est 15 % des cancers du poumon. En termes d’incidence de cancer, c’est le 7e cancer dans le monde – ce n’est probablement pas du tout la même maladie que le cancer du fumeur, donc si on les sépare, c’est le 7e cancer le plus mortel.
Quelle est la cause des cancers du non-fumeur ? Alors, il ne faut pas oublier le tabagisme passif, mais en présentiel à cet ESMO [5], Charles Swanton a montré des données à la fois épidémiologiques et biologiques, qui démontrent la relation causale entre pollution, particules fines 2.5 (c’est-à-dire moins de 2,5 microns) et la survenue de cancers, en particulier liés aux mutations d’EGFR, donc les mutations les plus fréquentes chez les non-fumeurs. Cela repose sur des données épidémiologiques où il associe les zones polluées à la survenue de cancers chez le non-fumeur et de cancers EGFR mutés, et des données autopsiques où il montre qu’en vieillissant probablement qu’on acquiert des mutations, dont celles d’EGFR, mais que cela ne suffit pas pour développer un cancer. Et son hypothèse est que la pollution génère une inflammation qui passe par l’interleukine 1 bêta et qui va faire le lit du cancer avec ces mutations qui apparaissent. Il y aurait peut-être aussi des susceptibilités génétiques, ce n’est pas la fin de l’histoire, mais il y a un « effet dose » qu’il montre sur des modèles murins de souris mutées EGFR et mutées KRAS : plus on augmente la dose de particules fines inhalées, plus on augmente le cancer dans ces modèles murins.
Et sur l’épidémiologie, il n’y avait pas que le cancer du poumon du non-fumeur – il y avait aussi des cancers ORL, des cancers digestifs. Et c’est vrai que ces particules fines, on les inhale très profondément, mais elles sont tellement fines qu’elles passent la barrière alvéolo-capillaire, elles passent dans le sang, donc c’est probablement une cause de cancer tout organe confondu. Donc ce sont des données très importantes pour la santé publique et qui vont impacter, je pense, nos façons de vivre, nos habitudes.
Manuel Rodrigues – On l'espère, en tout cas.
Merci beaucoup pour cet échange et merci à vous et à bientôt sur le site de Medscape.
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Citer cet article: Cancer du poumon : l’actualité présentée à l’ESMO 2022 - Medscape - 15 sept 2022.
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