Cancer de la prostate : focus sur les essais de l’ESMO 2022

Pr Karim Fizazi, Dr Constance Thibault

Auteurs et déclarations

16 septembre 2022

Karim Fizazi et Constance Thibault commentent les résultats d’études présentées à l’ESMO 2022 dans le cancer de la prostate : PEACE-1, ARASENS, STAMPEDE, CABASTY et CYPIDES.

TRANSCRIPTION

Constance Thibault – Bonjour à tous, je suis le Dr Constance Thibault, oncologue médicale à l’hôpital Européen Georges-Pompidou, à Paris, et j’ai le plaisir d’être aujourd’hui en présence du Pr Karim Fizazi, oncologue médical à l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif.

Tout d’abord, on peut commencer par féliciter Karim pour son ESMO Award qu’il a pu recevoir au début de ce congrès européen de cancérologie qui se tient, cette année, à Paris.

Concernant les actualités dans le cancer de la prostate, notamment chez les patients métastatiques hormonosensibles, il y a eu beaucoup d’actualités sur l’intérêt des triplets et le choix entre un triplet ou un doublet. Quelles actualités y-a-t ’il eu, cette année, durant le congrès à l’ESMO ?

PEACE-1 : le PSA à 8 mois prédit les résultats dans le cancer de la prostate métastatique sensible à la castration

Karim Fizazi – On a parlé de essentiellement de 2 essais : ARASENS et PEACE-1, en termes d’actualité pour les triplets comportant le docétaxel.

Je vais commencer par PEACE-1 [NCT01957436] [1] et rendre hommage à la présentation de Gwenaëlle Gravis, qui a analysé avec toute l’équipe l’impact pronostique du PSA à 6-8 mois, qui est quelque chose qu’on connaissait déjà de longue date avec la castration seule, éventuellement avec un doublet – ce sont probablement les premières données avec un triplet. L’impact pronostique reste majeur et en particulier quand on met un cutoff du PSA à moins de 0,2, donc un cutoff assez bas, avec un triplet, en gros on a deux populations : une population de patients d’à peu près 50 % qui vont aller très bien et une population, en revanche, qui risque de progresser.

Ce sont des données pronostiques qui sont importantes, parce qu’elles peuvent nous permettre de réfléchir à une nouvelle génération d’essais, à la fois de désescalade pour des patients qui vont aller très bien et qui n’ont peut-être pas besoin qu’on les maintienne en permanence sous hormonothérapie nouvelle génération, peut-être pas sous castration et peut-être chez lesquels un traitement local peut apporter quelque chose pour stopper les traitements systémiques ou les diminuer en durée. Et puis, inversement, pour les patients dont on sait qu’ils ne vont pas bien aller, et pour le moment pour lesquels on continue simplement le traitement systémique en cours, cela nous donne une opportunité de réintensifier ces patients – là à ce moment, 6-8 mois – et, probablement, ce qu’on va essayer de tester, c’est le ciblage du PSMA dans cette situation. Donc je pense que ce sont des données importantes, surtout pour le futur.

ARASENS : Qualité de vie avec le triplet darolutamide + chimio + castration

Karim Fizazi – Et puis on a eu des données d’actualisation d’ARASENS [NCT02799602] [2] et c’est positif, montrant que castration, chimiothérapie et darolutamide fait mieux que castration et chimiothérapie – on le savait déjà. On a des données de qualité de vie et de contrôle de la douleur montrant, en particulier, que pour les patients les plus malades au départ, les plus symptomatiques, le darolutamide a un effet favorable, et puis surtout montrant que dans le temps, les effets secondaires du traitement sont vraiment extrêmement minimes, on ne voit absolument pas de différence par rapport au placebo sur les courbes de Kaplan-Meyer, y compris en termes d’événements cardiaques, ce qui, évidemment, est très rassurant pour cette population.

Ce sont donc deux essais vraiment importants.

STAMPEDE : pas de bénéfice de l’ajout d’un doublet d’hormonothérapie

Karim Fizazi – En termes de triplets, j’ai parlé de triplets avec chimiothérapie, on a des triplets d’hormonothérapie qui ont été également testés – tu peux nous en dire un petit mot ?

Constance Thibault – Exactement. On a eu les données, en fait, de l’étude STAMPEDE [NCT03879122], qui est cette étude anglaise qu’on commence à bien connaître, qui est une sorte de plateforme où il y a plusieurs bras qui sont ouverts et qui se ferment un peu avec le temps, en fonction des changements de pratiques et de bras standards.

À l’ESMO, on a eu des données chez les patients métastatiques hormonosensibles et les auteurs ont comparé une étude où il y avait un bras contrôle, castration versus castration plus abiratérone [3], et une autre étude où la comparaison était entre la castration plus abiratérone plus enzalutamide [4]. Donc on avait – même si on n’en avait pas vraiment besoin – eu la confirmation que de rajouter une hormonothérapie nouvelle génération permet d’augmenter la survie globale et, par contre, cette fois-ci on a eu des données qui comparaient l’intérêt d’intensifier cette fois-ci non pas en rajoutant une troisième molécule qui serait de la chimiothérapie, mais un doublet d’hormonothérapie de nouvelle génération.

Résultat : il n’y a pas de bénéfice. Pas vraiment de surprise, finalement, parce qu’on savait déjà qu’au stade métastatique résistant à la castration, cela ne permettait pas d’avoir des résultats très favorables. Donc, en tout cas, à l’heure actuelle, les seuls triplets qui peuvent se discuter, ce sont ceux à base de castration, hormonothérapie nouvelle génération et chimiothérapie.

PROpel : olaparib + abiratérone dans le CPRC

Karim Fizazi – Dans le cancer de la  prostate  résistant à la castration (CPRC), on a entendu également quelques nouveautés, même si elles ne vont peut-être pas changer les pratiques. L’étude PROpel [NCT03732820] pose la question de savoir s’il faut ou non associer à l’abiratérone ou à une hormonothérapie nouvelle génération en CRPC un inhibiteur de PARP, avec l’olaparib. [5] On sait que le niraparib a une étude qui est négative pour les patients non-BRCA et, en revanche, qui est positive pour les patients BRCA donc, finalement, confirmant un peu tout ce que l’on savait dans une situation plus précoce. En revanche, PROPel, depuis quelques mois probablement, nous fait débattre et peut être nous sépare les uns les autres dans le débat – mais ce qui est très bien.

PROPel, qui a en effet randomisé abiratérone plus ou moins olaparib, montre un bénéfice chez les patients qui ont des altérations de BRCA de manière très claire, comme on l’attendait et c’est très bien, mais chez les patients avec un sac, si je peux m’exprimer ainsi, de différents patients et ayant soit des altérations DDR non BRCA, soit pas du tout d’altération de DDR, il semble y avoir un bénéfice en PFS radiologique qui est de l’ordre de 25 % de réduction du risque. Toute la question est de savoir si ces données sont réelles ou si c’est, finalement, un artefact, ce qui n’est pas impossible parce que le test qui a été utilisé n’a pas été utilisé de manière prospective, c’est une analyse post-hoc, ce qui est évidemment problématique, et que le test utilisé porte sur une biopsie liquide qui, malheureusement, rate régulièrement les délétions de BRCA2. Et ce sont justement ces patients-là qui bénéficient le plus d’un inhibiteur de PARP. Donc si on ne les a pas vus et qu’ils ne sont pas bien équilibrés dans les deux bras de randomisation – et, bien sûr, ça va vite – on peut voir un faux positif. Et c’est peut-être ce qui s’est passé.

Il y a un troisième essai qui arrive, peut-être un quatrième, et avec un peu de chance, on va y arriver, mais il faut qu’on sache si c’est vrai ou un artefact – première question. Si c’est vrai, la question aux cliniciens que nous sommes et, au passage, aux agents d’enregistrement, aux payeurs, est : « est-ce que cela vaut la peine ? » Parce que, finalement, ce que l’on montre, c’est une réduction du risque de survie sans progression radiologique d’à peu près 25 % sans bénéfice en qualité de vie, sans bénéfice en survie globale – elle a été mise à jour, il n’y a toujours pas de bénéfice, les données sont considérées comme encore immatures, donc il y a encore une chance, mais n’empêche… Et il y a une toxicité accrue incluant quand même 7 % d’embolie pulmonaire et une anémie chronique, et avec la fatigue… Donc est-ce un bénéfice-risque qu’on a envie de prendre ? Ma réponse personnelle est « non ».

Et pour rebondir sur ce que tu disais sur les triplets d’hormonothérapie, un an avant on avait vu les données de castration abiratérone et apalutamide avec un bénéfice en RPFS qui était du même ordre que PROPel, et puis on a dit « non, cela ne suffit pas. » Donc voilà. Alors je pense qu’on va encore en débattre et c’est très bien, et puis on a l’essai TALAPRO-2 [NCT03395197] qui devrait peut-être mettre tout le monde d’accord ou pas, et c’est intéressant en soi. Pour le moment, je dois dire que je ne suis pas convaincu.

CABASTY : Cabazitaxel toutes les 2 vs les 3 semaines chez les patients âgés atteints mCRPC 

Karim Fizazi – Pour avancer sur les CRPC, je crois qu’on a eu aussi une jolie présentation de Stéphane Oudard sur des questions de schémas de cabazitaxel chez des patients qui sont en deuxième ligne de chimiothérapie [CABASTY NCT02961257]. [6]  

Constance Thibault – C’est vrai que le cabazitaxel reste, malgré tout, une molécule majeure dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer de la prostate. La problématique est que le cancer de la prostate touche des patients âgés et que, parfois, il est difficile de passer le schéma à pleine dose. On avait déjà l’expérience avec le docétaxel et des schémas alternatifs où on savait que 50 mg/m2 tous les 15 jours permettaient d’améliorer la tolérance du traitement sans perdre en efficacité.

Cette étude avait pour objet d’évaluer un schéma alternatif où le cabazitaxel était donné non pas à 25 mg/m2 toutes les trois semaines comme dans l’étude d’enregistrement, mais à 16 mg/m2 tous les 15 jours. Cette étude de phase III comparait donc ces deux schémas avec comme critère de jugement principal un critère de tolérance, qui était les neutropénies de grade supérieur ou égal à 3 ou compliquées, c’est-à-dire associées à une infection. C’est une étude qui est nettement positive, parce qu’il n’y avait quasiment pas de neutropénies de grade supérieur ou égal à 3 ou compliquées dans le bras tous les 15 jours versus le bras toutes les trois semaines, et quand on regarde les effets secondaires, globalement cela améliore la tolérance hématologique, principalement. Et en termes d’efficacité, qui étaient des critères de jugement secondaires, que ce soit en termes de taux de réponse, taux de réponse biologique, de PFS ou d’OS, globalement il n’y a pas de différence entre les bras et on a quand même l’impression qu’on retrouve des résultats qui s’apparentent à ceux déjà publiés dans des grosses phases III.

C’est donc probablement une population de patients qui, finalement, représentaient les patients fragiles qu’on peut avoir. Et j’ai omis de préciser que dans cette étude, il fallait que les patients aient plus de 70 ans et qu’ils aient une évaluation gériatrique quand le score G8 était inférieur à 14 pour avoir le feu vert des gériatres. L’autre point important est que dans cette étude, tous les patients recevaient du G-CSF (g ranulocyte colony-stimulating factor) en prévention primaire, ce qui n’était pas le cas dans les études d’enregistrement. Et peut-être que l’autre critique qu’on peut faire, c’est le choix du bras comparateur à 25 mg/m2, étant donné qu’il y a une étude d’équivalence qui avait montré que 20 faisait aussi bien que 25. Donc je pense qu’actuellement, sur des patients très fragiles, on a clairement, malgré tout, l’option de proposer le schéma alternatif tous les 15 jours et peut-être chez ceux où on se dit qu’ils peuvent supporter une dose un peu plus importante, il reste aussi l’option du 20 mg/m2 toutes les 3 semaines. Je ne sais pas quel est ton point de vue…

Karim Fizazi – Je suis d’accord avec toi. L’étude est importante et nous donne des données, et c’est super d’avoir généré des données chez des patients âgés de plus de 70 ans avec cette chimiothérapie qui, honnêtement, rend des services. CARD l’avait montré, on s’en doutait, honnêtement, même avant les données de CARD et avant cette étude, donc c’est vraiment important qu’on ait quand même des données.

Je suis d’accord avec toi : la principale critique à l’essai, c’est le bras 25 mg/m2, qui n’est probablement plus celui qu’on utilise en routine depuis les données de FIRSTANA de PROSELICA. Ce qui est très bien, c’est que le G-CSF a été utilisé systématiquement dans les deux bras et je crois que c’est vraiment un message important à tous ceux qui nous écoutent, cela permet vraiment d’éviter beaucoup de soucis. Cela fera sûrement changer, effectivement, ma pratique pour des patients très âgés. J’ai souvent tendance à utiliser le 20 mg/m2, parfois de manière empirique, je le reconnais, à commencer à 15 et à augmenter la dose au deuxième cycle, si les choses se sont bien passées, ou parfois rester à 15. Maintenant, je suis très content d’avoir des données à 16, ce qui est évidemment la même chose, en tenant compte aussi du fait que le schéma tous les 15 jours, dans le contexte actuel de pénurie d’infirmières pour faire fonctionner les hôpitaux de jour, peut poser des problèmes pour l’accès à l’hôpital de jour. Mais je crois que c’est vraiment bien d’avoir généré ces données. Elles sont importantes.

CYPIDES : résultats préliminaires de phase II avec l'ODM-208 le mCRPC

Constance Thibault – Un dernier petit mot rapide sur l’autre étude que tu as présentée avec cette nouvelle molécule qui est l’ODM-208 [CYPIDES NCT03436485]. [7] Tu nous avais déjà présenté les résultats de la phase I un peu plus tôt dans l’année, là, on a eu les résultats de la phase II.

Karim Fizazi – L’ODM-208 est un médicament qui bloque la fabrication de toutes les hormones stéroïdiennes au-dessous du cholestérol, à la fois les hormones sexuelles, ce qui est important dans le cancer de la prostate, mais également les minéralocorticoïdes et les glucocorticoïdes. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’à peu près 20 % de nos patients qui ont une progression tumorale après abiratérone, enzalutamide, tous ces médicaments, développent des mutations du récepteur des androgènes, qui font que ce ne sont plus les androgènes qui stimulent le récepteur des androgènes, c’est la progestérone, les glucocorticoïdes, les œstrogènes, etc. Donc on peut donner tous les médicaments que l’on veut contre les androgènes, théoriquement, cela ne marchera pas. En revanche, un médicament qui bloque la fabrication de toutes ces hormones stéroïdiennes, potentiellement peut être actif. Et c’est exactement ce qui s’est passé. On l’avait suggéré dans la phase I avec un taux de réponse de l’ordre de 60 % chez les patients qui avaient des mutations du récepteur contre moins de 10 % chez les patients qui n’avaient pas de mutation du récepteur. La phase II s’est limitée à des patients qui ont des mutations et la bonne nouvelle, ou les bonnes nouvelles, sont que d’une part, on confirme l’efficacité élevée chez ces patients qui ont des mutations – on a plus de 50 % de taux de réponse, il y a des patients qui répondent un an, deux ans, etc., alors qu’ils avaient tout reçu, donc cabazitaxel, etc. Et la deuxième bonne nouvelle est que l’effet secondaire principal de ce médicament qui est évidemment l’insuffisance surrénalienne – car on induit une maladie d’Edison expérimentale – ne se retrouve plus où très rarement, moins de 7 %, grâce à l’utilisation de faibles doses de ce médicament avec une supplémentation systématique en dexaméthasone et en fludrocortisone. Donc, c’est peut-être la deuxième fois après l’histoire des inhibiteurs de PARP et de BRCA2 qu’on a, finalement, la médecine de précision qui arrive dans le cancer de la prostate. On va peut-être pouvoir sélectionner les patients sur leurs mutations et potentiellement leur donner ce médicament, sous réserve bien sûr qu’une phase III démontre que cela sert vraiment à quelque chose.

Constance Thibault – D’accord, donc cela nous permet de terminer sur une note positive et pleine d’espoir pour nos patients. À bientôt.

 

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