Préservation de la fertilité chez les patients atteints de cancer : quelles nouveautés ?

Dr Isabelle Demeestere, Dr Constance Thibault

Auteurs et déclarations

12 septembre 2022

Les données récentes indiquent qu’il est désormais possible de préserver en toute sécurité la fertilité des patients atteints de cancer, notamment dans le cancer du sein, explique le Dr Isabelle Demeestere interrogée par le Dr Constance Thibault. « C ’est à nous, oncologues, de penser à adresser ces jeunes patientes aux centres d’expertise » en oncofertilité, rappellent-elles.

TRANSCRIPTION

Constance Thibault : Bonjour à tous et bienvenue sur Medscape. Je suis Constance Thibault, oncologue médicaleà Paris et j'ai le plaisir d'être en compagnie du Dr Isabelle Demeestere qui est gynécologue à Bruxelles, spécialisée dans la préservation de la fertilité. C'est sur cette thématique que nous allons échanger aujourd'hui, étant donné qu'il y a eu une session dédiée à la préservation de la fertilité chez les patients atteints de cancer.

Tout d’abord Dr Demeestere, pouvez-vous nous dire combien de patients vont être concernés par cette question de préservation de la fertilité alors qu'ils sont atteints d'un cancer?

Isabelle Demeestere : L'incidence globale du cancer augmente, et elle augmente également chez les jeunes patients et patientes. Le cancer le plus fréquemment diagnostiqué, qui concerne une femme sur neuf, est le cancer du sein. On sait que 5 à 10 % de ces patientes (selon les pays) sont en âge de procréer au moment du diagnostic. En France, cela représente plus de 4000 patientes diagnostiquées par an avec un cancer du sein alors qu'elles ont moins de 40 ans.

 
5 à 10 % de ces patientes sont en âge de procréer au moment du diagnostic du cancer du sein. Dr Isabelle Demeestere
 

Constance Thibault : C'est un nombre assez conséquent. Y-a-t’il eu justement des nouveautés sur les cinq ou dix dernières années en termes de techniques de préservation ?

Isabelle Demeestere : Les nouveautés sont surtout les données accumulées sur la sécurité. On sait maintenant avec certitude que le risque n'est pas augmenté lorsqu'on est enceinte après avoir eu un cancer du sein. Il n’y a pas de risque augmenté d'avoir une récidive du cancer, et cela quel que soit le statut de la tumeur, donc même chez les patientes qui ont des tumeurs hormono-sensibles. Ce sont des données importantes et rassurantes pour les patientes qui désirent avoir des enfants après leur cancer.

D'autre part, par rapport à la préservation de la fertilité, les techniques standards telles que la conservation des ovocytes ou des embryons nécessitent une stimulation ovarienne qui a été longtemps source d'inquiétude pour ces patientes au moment du diagnostic du cancer. Aujourd'hui, on sait que ces techniques n'induisent pas une augmentation du risque de récidive et qu'on peut stimuler, sous réserve de traitements adaptés, des patientes pour congeler leurs ovocytes ou leurs embryons au moment du diagnostic, avant la chirurgie ou avant la chimiothérapie.

Constance Thibault : Donc c'est faisable, c'est sûr. Et est ce qu'on a aussi des données chez des patientes avec des formes génétiques? Je pense notamment au BRCA. Là aussi, est-ce faisable chez ces patientes qui sont encore plus concernées par la préservation de la fertilité vu que cela touche des femmes jeunes ?

Isabelle Demeestere : Effectivement, les aspects génétiques sont fortement étudiés en fertilité et notamment le BRCA. Des études suggèrent que cela a un impact aussi sur la préservation de la fertilité et donc là, on doit certainement continuer à étudier l'impact de ces mutations génétiques sur le fonctionnement ovarien et sur l'efficacité des traitements de préservation de la fertilité. D'un point de vue sécuritaire, on a des études récentes du Dr Lambertini qui a organisé la session à l’ESMO, qui montrent bien que chez les patientes qui ont ces mutations génétiques, le fait de stimuler, au moment du diagnostic, pour préserver leur fertilité, n'induit pas plus de récidives. Donc ce sont des données plus récentes chez ces patientes BCRA et c'est important parce que maintenant toutes les patientes qui ont un cancer sont screenées pour un panel de gènes quand elles sont jeunes.

Constance Thibault : Ce sont donc des données rassurantes.

Concernant l’accessibilité ― parce que j'imagine qu'il faut quand même que ce soit fait dans des centres experts et que tous les centres n'ont pas forcément ni la technique ni l'expérience de ces techniques de préservation ― est-ce qu’en France et en Belgique, le maillage est à peu près bien réparti sur l'ensemble du territoire ? Est-ce que cela peut limiter l'accès à ces techniques de préservation ?

Isabelle Demeestere : Effectivement, le problème est que cela demande une approche multidisciplinaire avec des centres compétents qui puissent prendre en charge, en urgence, ces patientes. Même si c'est dans les recommandations, il est difficile de l’appliquer sur le terrain, bien qu'en France et en Belgique, on a quand même des maillages assez bien étendus. Mais il reste beaucoup à faire en termes d'éducation, à la fois des oncologues et du personnel soignant de première ligne au moment du diagnostic pour qu'ils réfèrent ses patientes, et pour mettre en place une collaboration suffisamment efficace pour prendre ses patientes en charge en urgence.

Constance Thibault : A-t-on des données sur la connaissance des oncologues médicaux ? Est-ce qu’on y pense suffisamment souvent ou est-ce que, au contraire, il faudrait probablement qu'on soit un peu plus sensibilisé ? Est-ce qu’il y a parfois des patientes qui vont passer entre les mailles du filet ?

Isabelle Demeestere : Malheureusement, c'est évidemment une limitation importante, à la fois pour la préservation de la fertilité, mais également ― et on l'a vu pendant la session ― concernant tous les aspects de grossesse et de la contraception, puisque c'est aussi quelque chose d'important à aborder à ce moment-là. Il y a certainement un manque d'information des oncologues qui ne sont pas à l'aise de discuter de ces sujets avec les patientes. On sait, grâce à des interviews d’oncologues, que jusqu'à 30 % d’entre eux n'ont pas une connaissance suffisante pour réellement prendre en charge les patientes d'un point de vue de la préservation de la fertilité. Et on a aussi un déficit dans le suivi, que ce soit au niveau de la contraception ou de la qualité de vie, en termes de problèmes de fonctions sexuelles et tout ce qui concerne évidemment tous les autres aspects de la fertilité.

 
Jusqu'à 30 % des oncologues m.dicaux n'ont pas une connaissance suffisante pour prendre en charge les patientes d'un point de vue de la préservation de la fertilité. Dr Isabelle Demeestere
 

Constance Thibault : D'accord, donc si je retiens bien les messages importants qu'il faut retenir de cette session :

  • La préservation de la fertilité chez les femmes jeunes atteintes, y compris d'un cancer du sein, quel que soit le statut de la tumeur, et qu'elles aient ou non une prédisposition génétique, est faisable.

  • Le traitement de leur cancer ne risque pas d'être délétère et il faut probablement qu'il y ait une prise en charge vraiment pluridisciplinaire et dans des centres experts qui existent.

  • Donc à nous, les oncologues, de penser à adresser ces jeunes patientes pour préserver leur fertilité.

Isabelle Demeestere : Tout à fait. Merci.

 

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....