Temps de travail des médecins : respecter le plafond légal de 48 h par semaine

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

29 juin 2022

France— Le Conseil d'État enfonce le clou. Saisi par trois syndicats – Isni, Jeunes médecins et APH – sur la question du temps de travail, il vient de rendre une décision de justice qui fera date en actant que les hôpitaux publics doivent, si ce n'est pas déjà le cas, effectuer un décompte « fiable et objectif » du temps de travail de leurs médecins et internes, afin de respecter le plafond légal de 48 heures par semaine. Entretien avec Gaëtan Casanova, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), qui avait fait du respect du temps de travail légal des internes l’un de ses chevaux de bataille.

« S’assurer du respect du plafond hebdomadaire fixé par le droit européen » 

Les syndicalistes avaient saisi le Conseil d'état pour contester l'imposition de demi-journée de travail dans le code de santé publique, incompatible, selon eux, avec le respect des 48 heures hebdomadaires. Non, leur a répondu le Conseil d'État. À charge pour les directions hospitalières de faire en sorte que le décompte du temps de travail des médecins et internes soient compatible avec la limite hebdomadaire de 48 heures. Pour ce faire, les établissements de santé doivent se doter, « en complément des tableaux de services prévisionnels et récapitulatifs qu’ils établissent, d’un dispositif fiable, objectif et accessible de mesure du temps de travail des praticiens hospitaliers et des internes permettant de décompter, selon des modalités qu’il leur appartient de définir dans leur règlement intérieur, outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent, afin de s’assurer que la durée de son temps de travail effectif ne dépasse pas le plafond réglementaire de quarante-huit heures hebdomadaires, calculées en moyenne sur une période de quatre mois pour les praticiens hospitaliers et de trois mois pour les internes.». La balle est dans le camp des médecins. Le président de Gaëtan Casanova, commente cette victoire juridique.

Medscape : Comment interprétez-vous la décision du conseil d'état ?

Gaëtan Casanova : La décision du Conseil d'État telle qu'elle a été rendue est préférable à une décision qui aurait fait droit à notre demande. En effet, selon la décision du Conseil d'État, le sujet du temps de travail des internes et des praticiens hospitaliers est une affaire réglée : le temps de travail doit être décompté pour respecter les 48 heures par semaine. Pour le conseil d'État, il n'est pas utile d'édicter un nouveau texte législatif, tout est déjà dit, reste à appliquer ce qui a été décidé. Ils vont donc au-delà de nos demandes, car en somme, nous demandions une clarification des textes, mais pour le conseil d'État, tout est très clair, reste à mettre en branle la législation sur le temps de travail, de gré ou de force, via les tribunaux. Explicitement, le conseil d'État dit aussi que le décompte du temps de travail, à raison de 48 heures par semaine n'est pas incompatible avec le système de demi-journées. Le Conseil d'État est conscient que le temps de travail d'un médecin hospitalier peut déborder. La demi-journée est tout à fait adaptée à ce type d'exercice, à condition de respecter la borne maximale du temps de travail hebdomadaire.

Les tableaux de service qui permettent de décompter le temps de travail des médecins et internes sont-ils mis en place dans les hôpitaux ?

Gaëtan Casanova : C'est mal fait. J'ai un rendez-vous avec les responsables de la conférence des directeurs de CH pour leur demander quand cette mesure sera mise en place dans tous les hôpitaux. Là encore, si cela n'est pas fait de gré, ce sera fait de force par voie judiciaire. Dans sa décision, le Conseil d'État précise qu'il faut que le décompte du temps de travail soit objectif, et accessible. Car actuellement, des hôpitaux ont créé ces tableaux de service mais qui sont inaccessibles aux principaux concernés, à savoir les médecins hospitaliers et les internes. Maintenant, lorsque les tableaux ne seront pas réalisés, lorsque le temps de travail ne sera pas décompté, lorsque l'on comptera dans les arrêts de service les arrêts de travail pour burn-out, alors on initiera des procédures pénales, visant les chefs d'établissement et les chefs de service.

Au vu de la pénurie de personnel médical dans les hôpitaux, sera-t-il possible de faire respecter les limites horaires hebdomadaires du temps de travail ?

Gaëtan Casanova :  Oui, c'est tout à fait possible. Cela demande des réorganisations extrêmement importantes. Première question : quand un médecin travaille 60 ou 70 heures par semaine, fait-il uniquement de la médecine ? Manifestement, non. Exemple, quand un interne fait du brancardage, ou essaie de récupérer le dossier d'un patient, il ne fait pas de médecine. Pourtant cela prend énormément de temps. Donc il est tout à fait possible de récupérer du temps médical en recrutant des assistants médicaux ou des secrétaires médicaux qui déchargeront les médecins de tâches administratives qu'ils n'ont pas à effectuer. Je rappelle par ailleurs que le métier de secrétaire est un véritable métier, qui demande une véritable expertise, il faut valoriser ce métier. Grâce au recrutement de secrétaires médicales, nous pouvons organiser de manière rationnelle un service, tout en respectant les 48 heures hebdomadaires.

 
Je ne conçois pas que la sixième puissance mondiale ne puisse pas embaucher des secrétaires médicales ou assistants médicaux, alors même que nous avons dépensé des milliards pour la détection du Covid.
 

Les directions hospitalières sont-elles à l'écoute de vos propositions ?

Gaëtan Casanova :  Les fédérations hospitalières le comprennent, mais avancent qu'elles n'ont pas le budget. Mais ça, ce n'est pas mon problème. J'ajoute que je ne conçois pas que la sixième puissance mondiale ne puisse pas embaucher des secrétaires médicales ou assistants médicaux, alors même que nous avons dépensé des milliards pour la détection du Covid. Si nous ne voulons pas un service de santé low cost, alors il va falloir investir. Mais ce n'est pas la finalité, tout ne se résume pas à l'argent. Il faut aussi se poser la question du management des services. Dans un CHU, constater qu'un PUPH incompétent en management, gère tout, est insensé. Les services sont mal organisés, mais pour casser ces organisations, il va falloir faire preuve de courage, et remettre en cause des coutumes très ancrées à l’hôpital.

 
Dans un CHU, constater qu'un PUPH incompétent en management, gère tout, est insensé.
 

Réactions plus mitigées des 2 autres syndicats

Dans un communiqué, Jeunes Médecins, pour la voix de son président, a considéré que « la décision rendue hier par le Conseil d’État va dans le bon sens ». Il précise que « bien que notre demande de mise en place de sanction systématique à l’égard des établissements qui ne respectent pas la législation ait été rejetée, cette décision oblige désormais les établissements publics de santé de se doter d'un dispositif fiable, objectif et accessible ». Au vu de l’état d’épuisement des soignants, le syndicat n’exclut pas de s’appuyer « dorénavant sur ce jugement pour attaquer tout établissement qui ne respecterait pas les dispositions légales en matière de temps de travail ».

En revanche, le président d'Action Praticiens Hôpital (APH), Jean-François Cibien, estime que le rejet de sa requête est « une défaite », qui ne devrait laisser place qu'à des « recours individuels » pour les 135 000 médecins et internes hospitaliers français. « Une décision, qui pourrait rapidement remplir les tribunaux administratifs » selon TF1 Info. SL

 

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