En colère, la psychiatrie publique veut des changements majeurs

Stéphanie Lavaud, Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

28 juin 2022

France – « Jamais dans son histoire, depuis la libération, la psychiatrie n’a connu un tel danger » alertent 4 syndicats de psychiatres hospitaliers, qui appellent à une journée de mobilisation ce mardi [1]. « Il est rare que la psychiatrie se mobilise de cette façon », explique la Dr Marie-José Cortès à Medscape, psychiatre à l’hôpital de Mantes-la-Jolie (Yvelines) et présidente du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH). « Si nous le faisons, c’est parce que nous considérons que nous avons atteint une limite qui, si elle était dépassée, ne permettrait plus d’assurer la sécurité des soins ». (Lire aussi Les psychiatres appellent à la grève le 28 juin)

Face à ce qu’ils considèrent être une « urgence républicaine » pouvant rapidement tourner à l’« urgence humanitaire », les 4 syndicats [Intersyndicale de la Défense de la Psychiatrie Publique (IDEPP), Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP), Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) et l’Union Syndicale de la Psychiatrie (USP)] appellent tous les psychiatres publics a une grande journée d’actions et de grèves ce mardi 28 juin.

 

En région, les rassemblements pourront être devant l’ARS ou dans chaque hôpital concerné.

Situation de plus en plus critique

Manque de personnels, de lits, délais de rendez-vous à rallonge…. Le système de soins en psychiatrie est aujourd’hui au bord de l’effondrement. Ces trois dernières années, les crises successives comme l’épidémie de Covid, ou encore la guerre en Europe ont fortement impacté le mental des adolescents. Depuis début 2021, on observe une augmentation des passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l'humeur chez les enfants de 11-17 ans (niveaux collège, lycée) et dans une moindre mesure chez les 18-24 ans, rapporte Santé Publique France.

Cette vague d’adolescents dépressifs vient se surajouter à un système déjà en forte déliquescence. En 2018, deux psychiatres hospitaliers témoignaient sur le site d’une crise sans précédent, regrettant que « la maladie psychiatrique ne soit toujours pas traitée avec toute l’attention et l’investissement que cela demanderait au regard des enjeux majeurs de santé publique qu’elle représente ». Les annonces du chef de l’Etat et les plans gouvernementaux ces derniers mois n’y ont vraisemblablement rien changé puisque 4 ans après, le cahier des doléances continue à s’allonger, avec ce constat ultime côté psychiatres : « Nous ne sommes plus en capacité d’assumer les missions de service public qui sont les nôtres ».

La pénurie de personnels reste flagrante, les syndicats citent le chiffre de 30% de postes vacants de psychiatres à l’hôpital public et un déficit récurrent de personnel soignant.

 
30% de postes vacants de psychiatres à l’hôpital public.
 

Dégradation inexorable des soins et des conditions de travail

La prise en charge des usagers s’en ressent forcément avec une lente destruction de la politique de secteur public de psychiatrie d'intérêt général par la « fermeture de structures ambulatoires (CMP, HDJ, CATTP), de lits et d’unités d’hospitalisation devant l’impossibilité de trouver des soignants et des médecins pour les faire fonctionner ». Les conséquences se font sentir à tous les niveaux : aux Urgences, avec un engorgement du fait de l’augmentation majeure de la demande de soins psychiatriques et de l’incapacité des structures d’amont à y répondre. Les patients en attente demeurent alors sur des brancards ou dans des bureaux transformés en « chambre », dénoncent les syndicats par la voix de leurs présidents. Les psychiatres évoquent aussi des délais de consultations et de prises en charge qui ne cessent d’augmenter avec la « répercussion anxiogène pour les patients et leurs familles » qui s’en suit et la nécessité de « prioriser » les demandes de soin.

Unanimes, les soignants et les médecins se plaignent de la perte de sens de leur métier avec un fort sentiment d’insatisfaction, désintérêt, voire même de rejet et la sensation d’être malveillant à l’égard des patients dont les soins se dégradent, avec des recours à l’isolement/contention qui pourraient être évités avec des conditions de travail autres. « Faute de personnel infirmier, l’unité dans laquelle je travaille risque de fermer, ce qui obligera à répartir 25 patients sur le reste de l’hôpital, pour une quinzaine de lits disponibles en moyenne. Or, actuellement, durant les gardes, c’est déjà l’enfer pour avoir des chambres. Les patients attendent des heures aux urgences, ça fait monter la tension, on est obligés d’en attacher certains sur les lits. On nous demande de ne pas isoler ni contenir alors qu’on est de moins en moins nombreux dans les services ! », s’insurge sur Medscape la Dr Delphine Glachant qui travaille à l’unité de l’hôpital des Murets, dans le Val-de-Marne (94) et est présidente de l’USP.

Pour toutes ces raisons, auxquelles viennent s’ajouter la dégradation des conditions de travail et de vie et l’épuisement des équipes, les syndicats évoquent une « urgence républicaine » pouvant devenir « une urgence humanitaire ». C’est pourquoi, ils appellent, ensemble, tous les psychiatres publics a une grande journée d’actions et de grèves ce mardi 28 juin.

Un rassemblement aura, notamment, lieu devant le ministère de la Santé à 14 heures. Une délégation, sans les présidents de syndicats, sera reçue par un "professionnel du ministère" à 14h30, indique le SPH.

Les revendications de l’USP[2]

Dans une lettre adressée à Brigitte Bourguignon, ministre de la santé, le 16 juin l’USP a demandé :

  • Une revalorisation générale des salaires de tous les personnels et une reconnaissance des qualifications des professionnels. Plus globalement, et par-delà les salaires, des mesures permettant l’arrêt de l’hémorragie des infirmiers et médecins de l’hôpital public, c’est-à-dire l’amélioration des conditions de travail et leur participation réelle à la gouvernance de l’hôpital.

  • Un renforcement significatif des moyens financiers pour les établissements, ce qui passepar la suppression de l’enveloppe fermée et une augmentation substantielle du budget 2022.

  • L’arrêt de toutes les fermetures d’établissements, de services et de lits et la réouverture de lits et places autant que de besoin.

Mais aussi, plus largement pour l’hôpital public :

  • L’arrêt des politiques d’appels à projet, qui mettent en concurrence les secteurs, les pôles, les établissements.

  • Un changement radical dans la gouvernance, avec un véritable pouvoir de décision accordé aux médecins, aux personnels non médicaux et aux usagers. Un retrait de toute fonction managériale aux responsables médicaux et non médicaux.

  • L’arrêt de la réforme du financement de la psychiatrie, qui introduit un compartiment à l’activité qui va venir modifier notre travail clinique selon des critères budgétaires, au profit d’une dotation « à l’habitant ».

  • La suppression de la notion d’efficience, de bench marking et de ce qu’elles sous-tendent, de tout projet d’intéressement.

  • Le rétablissement de l’égalité d’accès aux soins, la suppression de tous les restes à charge, le 100 % Sécurité sociale et la reconversion de toute la bureaucratie gestionnaire et comptable (liée à la T2A), qui a généré un surcoût considérable pour faire moins bien.

  • De réelles mesures qui garantissent l’accès, la proximité et l’égalité de la prise en charge pour la population sur tout le territoire.

 

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