POINT DE VUE

« On est en mort cérébrale ou on ne l’est pas »

Frédéric Soumois

Auteurs et déclarations

27 juin 2022

Bruxelles, Belgique — Un tribunal de Londres a tranché : un garçon de 12 ans en coma profond peut être débranché par les médecins. Cette décision va à l'encontre de la volonté des parents, qui souhaitent que le traitement de leur fils soit poursuivi le plus longtemps possible. Quels critères éthiques et cliniques doivent encadrer ce genre de décision ? Les réponses du Pr Steven Laureys, spécialiste mondial des états altérés de la conscience, neurologue au Centre du Cerveau et directeur de l’unité de recherches GIGA Consciousness au CHU et à l'Université de Liège. 

Pr Steven Laureys

Archie Battersbee est devenu l’objet d'un litige après s’être grièvement blessé chez lui début avril. Selon sa mère, il aurait pris part à un défi en ligne dans lequel les participants tentaient délibérément de perdre connaissance, ont rapporté les médias britanniques. Sa mère a retrouvé son fils inconscient, un foulard autour du cou. L'enfant n'a jamais repris connaissance.

Les parents veulent que le traitement d'Archie se poursuive tant que son cœur bat encore, tandis que les médecins du Royal London Hospital pensent qu'il faut le débrancher.

« Un verdict basé sur des scanners et des IRM n'est pas suffisant », a déploré la mère d'Archie, faisant référence à une déclaration faite par un expert médical au tribunal. Celui-ci a dit qu'Archie était « très probablement » en état de mort cérébrale.  Pour la mère, « très probable » n'est pas suffisant et elle a dès lors demandé davantage de preuves et de certitudes.

« Je n'aime pas du tout cette notion de ‘’probablement en mort cérébrale’’. On ne peut pas parler ainsi. On est en mort cérébrale ou on ne l'est pas », réagit le Pr Steven Laureys, spécialiste mondial des états altérés de la conscience, neurologue au Centre du Cerveau et directeur de l'unité de recherches GIGA Consciousness au CHU et de l’université de Liège.

« Je pense que ce type de diagnostic est la cause de beaucoup d’ennuis. C'est dommage, parce qu'il faut que le public soit rassuré sur le fait qu'on ne va pas parler de mort cérébrale quand ce n'est pas le cas.

En Belgique, on peut être rassuré : depuis les années 50, l’apparition d’une nouvelle machine (le respirateur artificiel) et d’une nouvelle discipline (les soins intensifs) ont permis de constater qu’un patient avec des critères de mort cérébrale ne peut jamais reprendre conscience.

Ces critères sont très importants car directement liés au don d’organes. Selon moi, le terme de ‘’mort cérébrale’’ ne doit pas être utilisé si les tests adéquats n’ont pas été réalisés. Dans ce cas précis, le petit Archie est sans doute dans un coma profond, comme beaucoup d'autres patients.

Des examens démontrent qu’il n’y a aucune chance raisonnable de récupération et on va laisser mourir le patient, mais c’est un tout autre scénario qu’une mort cérébrale et il faut communiquer en toute transparence avec la famille.

La deuxième chose est que les convictions religieuses ont aussi un rôle. Il faut prendre le temps d'accepter ce qui se passe. L'Église catholique accepte aussi la notion de refus d'acharnement thérapeutique. Mais une fois qu'on est devant la Cour de justice, cela devient très compliqué, les critères de mort cérébrale ne sont pas le domaine d'expertise d’un juge.

En Belgique, on a heureusement des services de médiation, qui se montrent très utiles quand la famille d'un patient a des questions ou des doutes. Le médiateur va mettre tout le monde autour de la table : la famille et les soignants qui doivent prendre les décisions et qui parfois n'ont pas le temps d'expliquer une réalité difficile. Il faut se rendre compte qu'on est face à un patient qui respire à travers une machine, qui est chaud, qui a un cœur qui bat. C'est difficile pour les parents d'accepter que leur fils n'a aucune chance de revenir.

Peut-on émettre un diagnostic de mort cérébrale sur la base d'IRM ?

Cela me dérange, l’IRM seule n'est pas du tout un test valide pour démontrer qu’un patient est ou non en mort cérébrale. Elle donne des photos du cerveau et des dégâts éventuels mais ce n'est pas avec ce test que l’on aura la réponse finale : un diagnostic clinique. La Belgique a été pionnière pour montrer que l'IRM fonctionnelle montre l'absence d'activité neuronale, mais ce qui a été employé ici est une IRM classique, ce n'est pas suffisant.

 
Ce n'est jamais une bonne idée de parler de ‘’peut-être’’ en parlant de mort cérébrale, parce qu'on ne peut pas être ‘’un peu mort’’
 

La Grande-Bretagne, contrairement à d’autres pays, a la particularité de reconnaître un patient en mort cérébrale avec les simples critères de mort du tronc cérébral. La Belgique utilise la notion de mort de l'ensemble de l'encéphale, soit le cerveau et le tronc cérébral. La Grande-Bretagne et l'Inde sont une exception. Selon eux, s'il n'y a plus d'activité dans le tronc cérébral, c'est suffisant pour décréter le décès. La grande majorité des cas concernés sont des patients avec des traumas crâniens, des hémorragies et des gonflements qui compriment le tronc, il n'y a plus d'apport sanguin. On sait que ce n'est plus compatible avec un cerveau vivant. Dans le cas du jeune Archie, je pense que c'est la conséquence d'un triste ‘’jeu du foulard’’. (Message aux jeunes : ne faites pas cela, cela peut vraiment endommager le cerveau). Il y a eu durant une période donnée un manque d'apport sanguin dans le cerveau, mais il y a sans doute à nouveau eu une circulation sanguine, sinon c'est le test que les médecins auraient employé pour établir la mort cérébrale. En conclusion, ce n'est jamais une bonne idée de parler de ‘’peut-être’’ en parlant de mort cérébrale, parce qu'on ne peut pas être ‘’un peu mort’’ ».

Les termes employés par l'expert signifient-ils que l'expert n'ose pas s'engager car il n'a pas de certitude ? 

« L'expert de l’IRM est le radiologue qui regarde des images, ce n'est pas lui qui réalise le diagnostic. Ce dernier doit être posé par un neurologue, ou par quelqu'un qui connaît bien les critères de la mort cérébrale. C'est le neurologue qui va faire son examen de manière indépendante, au bord du lit.

Comment poser le diagnostic ? Il n'y a plus de signes d'activité de fonctionnement cérébral, y compris du tronc cérébral, donc plus de réflexe de la pupille à la lumière, etc. Un par un, on va réaliser les examens testant les réflexes du tronc cérébral.

Le plus important est le test d’apnée : lorsqu’on arrête le respirateur, le patient ne respire plus de lui-même. C'est très spécifique. Ce critère est présent ou ne l'est pas.

Il vaut mieux être honnête, dire que le patient n'est pas en mort cérébrale, mais qu'il est dans un coma grave. On pense qu’on a perdu le combat, on n’est pas Dieu, on ne peut pas retourner en arrière et donc on arrête les machines. Chez nous, on met tout le monde autour de la table et on prend le temps d’expliquer cela.

Les familles finissent par accepter cette réalité même si cela prend parfois du temps. C’est clair que cela n’est pas facile. Mais il vaut mieux, selon moi, être honnête et transparent. Éviter le paternalisme, du type ‘’moi médecin, je tiens à ma blouse blanche, j’ai tellement de connaissances et j’ai décidé qu'il fallait poser ce geste’’.

Si on perd la confiance de la famille, on se met en difficulté. C’est pour cela que le rôle du médiateur est important, il permet de restaurer cette confiance et de permettre à tout le monde de parler. On pense que cela coûte du temps, mais en fait on en gagne. Car lors d'une procédure judiciaire, il y a l’intervention des avocats très chers payés par le lobby catholique, et donc cela polarise le débat : une voix à la vie et une voix à la mort.

Or, le débat n'est pas là. Il faut essayer de faire du mieux qu’on peut pour un maximum de patients. On évoque alors le coût des soins pour les patients, le fait qu’on manque de places dans les hôpitaux, c’est une réalité, mais ce n’est pas le premier critère. On est là pour faire du bien à ce patient et prendre le temps d’expliquer à la famille. Il est rare qu'un avocat et un juge apaisent la souffrance d'une famille. C'est regrettable et je suis heureux qu'on n'ait pas encore adopté en Belgique ces traditions judiciaires.

La judiciarisation empêche-t-elle le rapprochement des points de vue ?

Oui, car c’est trop tard, il n'y a plus de confiance entre la famille et les soignants, ce qui est très grave pour cette famille. Il suffit de s'imaginer ce que c'est pour cette maman, ce papa et toute la famille de voir un enfant de 12 ans disparaître. Mais c'est aussi très grave pour toute la Grande-Bretagne, car les citoyens risquent de perdre la confiance dans le système de santé et de ne plus vouloir dire « oui » pour être donneurs d'organes.

Après la diffusion d'un documentaire de la BBC Transplants, are the donors really dead diffusé en octobre 1980, on a assisté à une forte baisse des dons d'organes. On y voyait des témoignages de gens censés être ‘‘revenus à la vie’’ après avoir été déclarés en mort cérébrale. La conséquence était que les gens n'avaient plus confiance dans le système de santé britannique. La baisse significative de transplantations qui s’en est découlée a coûté des milliers de vies, de nombreux patients sur liste d’attente sont décédés.

Par conséquent, c'est très grave qu'avec ce patient, envers lequel, pour des raisons inconnues, on n'a pas pris le temps d'être clair et honnête, on se retrouve devant un juge. Des journalistes du monde entier me contactent à ce sujet, ce qui montre l'impact symbolique de ce cas. C'est grave pour la famille mais aussi pour chacun de nous car demain c'est nous qui pouvons avoir besoin d'une greffe, or, depuis les années 50, personne en diagnostic correct de mort cérébrale n'a jamais repris conscience. C'est extrêmement dommage de semer l'incertitude.

Le débat est : « soit il est en mort cérébrale, soit il ne l'est pas ». S'il ne l'est pas, il peut être dans un coma profond où on décide de le laisser mourir. C'est la majorité des décès en soins intensifs, en Grande-Bretagne ou chez nous.

L'Église l'accepte aussi, contrairement à l'euthanasie. Le Vatican accepte la décision d'éviter l'acharnement thérapeutique tout comme l'Islam. Les grandes religions, sauf les cas extrêmes, acceptent ces décisions et saluent au contraire cette notion de don ultime. Même si c'est compliqué, il est important de garder cette confiance en la société, qu'on ne va pas faire les choses à moitié et qu'on ne prélève pas d'organes sur quelqu'un qui n'est pas mort… »

L’article a été publié initialement sur Mediquality.net sous le titre « On est en mort cérébrale ou on ne l’est pas » (Steven Laureys).

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