Lille, France — Présenté en avant-première lors de son congrès annuel, la Société française de pédiatrie (SFP) vient d’actualiser son algorithme diagnostique dans la maladie cœliaque chez l’enfant [1] .
Dans un « Pas à pas »[2], les experts français se sont appropriés les dernières recommandations de la Société européenne de gastroentérologie pédiatrique (ESPGHAN) parues en 2020[3] et qui comportent plusieurs changements par rapport aux précédentes guidelines datant de 2012, à propos des indications de l’endoscopie duodénale et du typage HLA.
Un dépistage recommandé parmi les populations à risque
Chez l’enfant comme chez l’adulte, la maladie cœliaque (MC) peut être diagnostiquée dans deux types de circonstances, soit devant des symptômes (10 % des cas seulement) évocateurs (diarrhée, ballonnement abdominal, perte pondérale mais également constipation, asthénie, régression psychomotrice, troubles de l’humeur, anémie, ostéoporose, dermatite herpétiforme), soit dans le cadre d’un dépistage au sein de populations à risque (apparentés au 1er degré de patient cœliaque, trisomie 21, syndrome de Turner, maladies auto-immunes dont diabète de type 1, hépatite auto-immune, thyroïdite, etc.).
À l’heure actuelle, le dépistage de la MC n’est pas recommandé dans la population générale « mais doit être réalisé chez les populations « à risque » sus-citées, indique le Dr Hélène Lengliné, du service de gastro-entérologie et nutrition pédiatrique (Hôpital Robert Debré, Paris) et co-rédactrice avec le Pr Alexandre Fabre (GH La Timone, Marseille) du « Pas à Pas » de la SFP.
Le dépistage doit être réalisé à partir de l’âge de 18-24 mois tous les 3 à 5 ans (annuellement chez les patients diabétiques de type I), et doit se poursuivre tout au long de la vie. Il est réalisé au moyen du dosage des IgA anti-transglutaminase (TG2), toujours associé à celui des IgA totales. Selon les résultats, les anticorps anti-endomysium (EM) de la classe des IgA peuvent être demandés dans un second temps. Par ailleurs, un déficit en IgA implique de doser les anticorps de type IgG (anti-TG2 ou anti-EM) ».
Quant au génotypage HLA de classe II, il conserve principalement une place dans le cadre du dépistage, en particulier chez les membres de la famille des patients cœliaques. Enfin, dans ces nouvelles guidelines, l’endoscopie digestive haute avec biopsies duodénales multiples garde une place importante, à commencer par les enfants ayant des IgA anti-TG2 positives mais inférieures à 10 fois la normale, chez ceux ayant des IgA anti-TG2 supérieures à 10 fois la normale mais dont les IgA anti-EM sont négatives, ainsi que dans les cas douteux. Elle permet d’objectiver une atrophie villositaire, une augmentation du nombre de lymphocytes intra-épithéliaux et un infiltrat inflammatoire du chorion.
La maladie cœliaque en bref
La maladie cœliaque — encore appelée intolérance au gluten —, n’est pas une allergie alimentaire mais une entéropathie de mécanisme immunologique (présence d’auto-anticorps tissulaires anti-transglutaminase de type 2, association à d’autres maladies auto-immunes), déclenchée en réponse à l’ingestion de gluten. Elle survient chez des individus génétiquement prédisposés (principalement reliée au génotype HLA DQ2 dans 95 % des cas), sous l’influence également de facteurs environnementaux encore mal déterminés (infections virales ? dysbiose ?). L’association à un déficit en IgA est retrouvée chez 2 à 3 % des patients cœliaques, justifiant la réalisation systématique d’un dosage des IgA totales lors du dépistage de la maladie cœliaque.
Sa prévalence, variable selon les pays, est de l’ordre de 1/200 en Europe.
Après la barrière intestinale, des fragments de peptides de gluten peuvent se fixer avec une affinité particulière sur les molécules HLA de classe II présentes à la surface des cellules présentatrices d’antigènes. Cette fixation déclenche la réaction inflammatoire locale. La cascade immunitaire innée et adaptative conduit alors à la destruction des entérocytes, à l’atrophie villositaire, à la malabsorption et aux signes digestifs.
Pas à pas, comment réaliser le diagnostic de la maladie cœliaque chez l’enfant en 2022 ?
Situation d’un enfant symptomatique, avec des signes évocateurs de MC. Le dosage des IgA totales, et IgA anti-transglutaminase permet, selon le résultat, de distinguer quatre situations :
Des IgA anti-TG2 positives et supérieures à 10 fois la normale :
Sur un second prélèvement, les IgA anti-EM doivent être dosés. S’ils sont positifs, les critères sont réunis pour affirmer le diagnostic de MC, sans nécessité de pratiquer une endoscopie. En revanche, dans le cas où les IgA anti-EM sont négatifs, la biopsie duodénale s’impose. Si aucune de ces lésions n’est visible, l’hypothèse diagnostique doit être revue, éventuellement dans le sens d’une entéropathie auto-immune, en mesure elle aussi de positiver les IgA anti-transglutaminase.
Des IgA anti-TG2 positives mais inférieures à 10 fois la normale :
L’endoscopie est alors indispensable. Si elle ne visualise aucune lésion, ou des lésions n’évoquant pas une maladie cœliaque, il faut se poser la question d’une entéropathie auto-immune, d’une parasitose digestive, d’une gastro-entérite infectieuse prolongée, de troubles fonctionnels intestinaux, d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) ou d’une hypersensibilité au gluten.
Des IgA anti-TG2 négatives et un déficit en IgA (< 0,07g/L) :
Des sérologies supplémentaires de type IgG vont alors guider la démarche diagnostique (en pratique au moins deux parmi les anti-EM, anti-TG2, anti-DGP). Lorsqu’elles sont négatives, l’absence de maladie cœliaque peut être affirmée (tout en s’assurant que le patient consomme suffisamment de gluten pour induire la production d’anticorps). Si les sérologies IgG sont positives, l’endoscopie permettra de confirmer ou d’infirmer le diagnostic.
Des IgA anti-TG2 négatives mais sans déficit en IgA totales :
La MC est très peu probable. Néanmoins, en cas de forte suspicion clinique, il existe la possibilité de doser les IgA anti-EM, en particulier chez l’enfant de moins de 2 ans, puis de discuter avec le pédiatre gastroentérologue de la réalisation d’une endoscopie digestive.
Si les IgA anti-transglutaminase sont négatives mais dans un contexte de régime pauvre en gluten, ce dernier doit être réintroduit dans l’alimentation, avec un contrôle des IgA anti-TG2 au terme de deux mois de régime normal. Si le patient est réticent à le réintroduire, le génotypage HLA peut être proposé : si celui-ci n’est ni DQ2 ni DQ8, le patient peut être rassuré. Dans le cas contraire, un contrôle des anticorps devra être réalisé après la reprise du gluten.
Situation d’un patient asymptomatique. Le dosage des IgA totales, et IgA anti-transglutaminase et la proposition du typage HLA permet, selon le résultat, de distinguer plusieurs situations :
« C’est précisément dans la situation d’un patient asymptomatique que le génotypage HLA classe II DQ2 et/ou DQ8 conserve une place, souligne la Dr Hélène Lengliné, même si celle-ci a considérablement diminué dans ces nouvelles recommandations. Le typage HLA DQ2 et/ou DQ8 est une condition nécessaire mais insuffisante pour poser le diagnostic de MC. En effet, 25 à 35 % de la population occidentale est porteuse d’un génotype HLA DQ2 ou DQ8, sans pour autant que tous soient cœliaques. Mais son coût (50€ environ), l’absence de remboursement et le circuit complexe du consentement découragent souvent les patients, en l’occurrence ici les parents. Dans le ‘’Pas à Pas’’ 2022 de la SFP, il est proposé que le génotypage HLA soit réalisé dans le cadre du dépistage des patients à risque et asymptomatiques, en complément des dosages initiaux des IgA totales et des IgA anti-transglutaminase. En cas de refus, le praticien doit raisonner comme si le patient avait un génotype ‘’à risque’’ (DQ2 et/ou DQ8) ».
Lorsque les IgA anti-TG2 sont supérieures à 10 fois la normale et le typage HLA DQ2 et/ou DQ8 est positif ou considéré comme « à risque » :
Le raisonnement est similaire à celui d’un patient symptomatique. La nouveauté est que dans cette situation, si les IgA anti-EM effectuées sur un second prélèvement sont positives, le diagnostic de MC peut être affirmé sans biopsie. « Cette nouvelle proposition des experts reprend les recommandations de l’ESPGHAN, qui a élargi les indications du diagnostic sans biopsie aux patients asymptomatiques, souligne Hélène Lengliné. Auparavant, il fallait présenter au moins un symptôme typique pour éviter les biopsies. À noter que la situation est différente chez l’adulte, où la confirmation histologique reste indispensable ».
A contrario, si les IgA anti-EM sont négatives, l’endoscopie aura le dernier mot. Soit la MC est confirmée histologiquement, soit l’absence de lésions nécessite la poursuite de la surveillance des anticorps anti-TG2 (tous les ans s’ils restent positifs, sinon tous les 3-5 ans). Un contrôle endoscopique sera ensuite réalisé en fonction de l’évolution.
Les IgA anti-TG2 sont positives mais inférieures à 10 fois la normale et le typage HLA est DQ2 et/ou DQ8 (donc « à risque ») :
Comme pour les patients symptomatiques, l’endoscopie avec biopsies duodénales multiples reste indispensable. Soit la MC est confirmée, soit l’absence de lésions peut faire penser que la MC ne s’exprime pas actuellement, d’où l’instauration d’une surveillance des anticorps anti-TG2 tous les ans s’ils restent positifs (sinon tous les 3-5 ans).
Les IgA anti-TG2 sont négatives et le typage HLA « à risque » :
Si le dosage en IgA totales est normal, il n’y a pas de MC actuellement. Le dépistage sera à renouveler chez ces sujets à risque.
Si les IgA totales sont non dosables (< 0,07g/L), les sérologies IgG (EM, TG2, DPG) permettent de définir la stratégie diagnostique. Si elles sont négatives, le diagnostic de MC peut être écarté, mais le dépistage sera à renouveler par de nouvelles sérologies type IgG tous les 3-5 ans. En revanche, si elles sont positives, une endoscopie avec biopsies duodénales s’impose.
Liens d’intérêts :
Le Dr Hélène Lengliné et le Pr Alexandre Fabre (service de pédiatrie multidisciplinaire, Hôpital de La Timone Enfants (AP-HM, Marseille) déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts avec ce sujet.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Recevez nos newsletters spécialisées.
Crédit image de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: Du nouveau sur la conduite diagnostique dans la maladie cœliaque chez l’enfant - Medscape - 23 juin 2022.
Commenter