France — Après neuf ans passés à la tête de l’Assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), Martin Hirsch a annoncé son départ à la fin du mois de juin. Très critiqué par les syndicats pour avoir géré les établissements comme une entreprise, il laisse le plus grand hôpital de France dans un état financier et social désastreux. Les défis qui se présentent à son successeur sont immenses pour redonner de l’attractivité aux métiers de soignants dont la pénurie a conduit à d’importantes fermetures de lits.
Un DG affaibli face aux « forces d’inertie »
Le 3 mai dernier, Martin Hirsch présentait dans une longue tribune aux Echos plusieurs pistes pour réformer en profondeur l’organisation de l’hôpital public. Il suggérait notamment d’affecter les médecins pour 5 ans renouvelables dans des établissements et de mettre fin à leur rémunération uniforme. Las. Sa longue supplique n’a pas suscité l’intérêt escompté de la part des autorités. Six semaines plus tard, le directeur général de l’AP-HP a annoncé dans un mail adressé à l’ensemble de ses collaborateurs qu’il quitterait ses fonctions à la fin de mois de juin.
« Je suis convaincu que beaucoup de maux dont nous souffrons appellent des changements de même ampleur que ceux qui avaient été réalisés en 1958, quand l’hôpital universitaire avait été repensé pour lui redonner force, noblesse et attractivité », écrit-il dans son courriel d’adieu. S’il y loue les valeurs de l’AP-HP de « solidarité, innovation, assistance », s’il applaudit ses facultés d’adaptation pendant la crise sanitaire, il dénonce une nouvelle fois ses « rigidités, pesanteurs, rivalités, égoïsmes ou forces d’inertie ». Le DG estimait « ne pas réunir toutes les conditions » pour « pouvoir bâtir un modèle hospitalier différent de ce qu'il a été avant » la crise du Covid. Bref, il n’était plus en mesure de piloter les 38 établissements franciliens dont il n’est pas parvenu à enrayer le déficit budgétaire (290 millions d’euros en 2021) et dont l'endettement a augmenté de 47 %, entre 2014 et 2021 pour atteindre 3,1 milliards d'euros.
Ces derniers mois, l’ancien Haut-Commissaire aux solidarités actives de Nicolas Sarkozy manquait d’appuis. Il faut dire qu’en neuf ans à la tête de l’AP-HP, le puissant DG ne s’est pas fait que des amis. En témoignent les maigres réactions de soutien à l’annonce de son départ. La future ex-ministre de la Santé Brigitte Bourguignon a poliment salué « le travail qu'il a fourni pendant ces années pour le service public ». On a connu plus chaleureux.
Attractivité en berne
Depuis plusieurs années, le patron des hôpitaux était en froid avec les représentants des soignants. L’un de ses premiers faits d’armes, qui lui est aujourd’hui particulièrement reproché, est d’avoir imposé la réforme des horaires de travail en 2016. A cette occasion, le temps de travail du personnel paramédical a été réduit de quelques minutes par jour (de 7h50 à 7h36) afin de diminuer le nombre de leurs jours de RTT. Le temps de chevauchement des équipes, indispensable aux transmissions avait ainsi été rogné. Cette évolution est considérée avec les cadences infernales et des salaires insuffisants malgré le récent Ségur, comme l’un des premiers facteurs de la dégradation des conditions de travail. « L’attractivité est en berne pour toutes les catégories de personnel : 1400 postes infirmiers sont vacants, les médecins quittent leur poste de praticien et on constate même une vague inédite de démissions de chefs de service, observe le SNPHARE. L’offre de soins s’est dégradée avec 15 % de lits fermés en janvier 2022, et de nombreux blocs opératoires sont inutilisés ».
Des médecins braqués
Le syndicat d’anesthésistes-réanimateurs dresse un verdict sans concession : « Ce directeur général ne fut que le bras armé des différents gouvernements responsables de la casse du service public depuis la loi Bachelot jusqu’à aujourd’hui. »
La dégradation des relations était telle avec les médecins qu’en décembre dernier, plus de 2500 d’entre eux, tous statuts confondus, avaient signé une tribune alertant sur la déliquescence des hôpitaux parisiens. L’Elysée avait alors reçu une délégation de médecins pour tenter de calmer le jeu.
Ces praticiens dénonçaient notamment la réforme de la « nouvelle AP-HP » menée en 2019, vécue comme une régression qui avait abouti à la création de nouvelles structures intermédiaires jugées inutiles : les départements médico-universitaires (DMU) et les groupements hospitalo-universitaires (GHU). « Le poids de la bureaucratie et la mauvaise répartition des pouvoirs, de même que les restrictions budgétaires, sont néfastes pour l’hôpital, nous assistons à un effondrement », confiait alors le Pr Bernard Granger, membre de la CME et du Conseil de surveillance de l’AP-HP, coauteur de la tribune.
L’hôpital-entreprise en faillite
La démission de Martin Hirsch n’a pas déclenché de vague d’empathie de la part des médecins de l’AP. « Il a appliqué avec un zèle particulier les lois de l’hôpital entreprise, avec un management très dur, autoritaire, confie à Medscape édition française la Pre Agnès Hartemann. Ces dernières années, il ne cessait d’employer la novlangue et de citer les mots « business plan », « parts de marché » et « productivité ». La cheffe de service de diabétologie de La Pitié-Salpétrière regrette que jusque dans son dernier mail, le DG n’ait pas été capable de faire son auto-critique et se défausse sur les médecins : « Le mammouth, ce n’est pas nous qui lui avons posé des couches de poils. La création des DMU, par exemple, symbole de la centralisation à outrance, a été imposée sans concertation. »
Le nom du prochain patron de l’AP-HP n'est pas connu. Celui de Nicolas Revel, ex-directeur de cabinet de Jean Castex à Matignon, et ancien DG de la Cnam de 2014 à 2020, circule. Les chantiers qui attendent le successeur de Martin Hirsch sont immenses. Il lui faudra redonner de l’attractivité aux métiers du soin en revoyant les cadences, statuts, rémunération et perspectives de carrière. Il lui faudra aussi renouer la confiance avec les professionnels de santé désireux d’une gouvernance plus collégiale. La tâche s’annonce rude.
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Crédit image de Une : AP-HP
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Citer cet article: Martin Hirsch sur le départ, l’AP-HP cherche un nouveau capitaine - Medscape - 23 juin 2022.
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