Que faire en cas d’intolérance aux statines ? Le point de vue américain

21 juin 2022

Etats-Unis— La société savante nord-américaine, National Lipid Association, a publié un nouveau document scientifique sur la prise en charge des patients ayant une intolérance aux statines, qui recommande plusieurs stratégies pour aider les patients à poursuivre malgré tout leur traitement. Le document propose aussi des options à l’usage des patients pour lesquels l’intolérance est rédhibitoire.

Identifier les facteurs de risque modifiables de l’intolérance

Ce mémento a été publié en ligne dans le Journal of Clinical Lipidology le 8 juin [1].

Il y est précisé que, bien que les statines soient généralement bien supportées, leur intolérance est rapportée chez 5 à 30% des patients, contribuant à la diminution de l’adhésion, ainsi qu’au risque élevé de survenue de complications cardiovasculaires.

Ce document reconnait l’importance d’identifier les facteurs de risque modifiables de l’intolérance aux statines et reconnait la possibilité d’un effet ‘’nocebo’’ : le patient s’attend à l’effet secondaire et à son préjudice.

Afin de mettre en place un traitement tolérable, il est recommandé aux médecins d’avoir recours à différentes stratégies (changer de statine, modifier la posologie ou la fréquence des prises) Pour déclarer un patient intolérant aux statines, le texte indique qu’il faudra qu’au moins deux statines aient été testées en incluant au moins l’une à la plus faible posologie quotidienne approuvée.

Problème de sous-utilisation des statines

Le guide précise qu’un traitement autre qu’une statine s’avère nécessaire chez les patients qui ne peuvent pas atteindre l’objectif thérapeutique malgré l’adaptation de leur mode de vie et la dose maximum de statine tolérée. Dans ces cas, il faut instaurer des traitements qui ont été évalués dans des essais randomisés et qui ont montré une diminution des événements cardiovasculaires.

Chez les patients à haut risque ou très haut risque, intolérants aux statines, les cliniciens devraient débuter un traitement autre qu’une statine et, dans le même temps, initier des tentatives complémentaires ayant pour but d’identifier une statine tolérable, afin de limiter dans le temps l’exposition à des taux élevés de lipoprotéines athérogènes, mentionne le document.

« Il y a des preuves solides montrant que les statines réduisent le risque de complications cardiovasculaires notamment chez les patients ayant une maladie cardiovasculaire athérosclérotique déclarée (MCAS) mais une recherche récente montre que seulement la moitié des patients ayant une MCAS reçoit une statine », déclare, Kevin C. Maki, PhD, co-auteur du papier et actuel président du National Lipid Association, à theheart.org | Medscape Cardiology.

« Il existe un problème critique de sous-utilisation des statines et d’insuffisance du traitement de la MCAS. Et nous le savons, c’est la perception des effets secondaires associés aux statines qui est la cause habituelle de l’arrêt de ces produits dont la conséquence est la carence de la prise en charge des MACS de façon adéquate », insiste-t-il.

 
Il existe un problème critique de sous-utilisation des statines et d’insuffisance du traitement de la MCAS. Kevin C. Maki
 

Kevin Maki indique que le premier message de la NLA [National Lipid Association] est que lorsque surviennent les premiers symptômes au cours du traitement, une large majorité des patients peuvent encore tolérer une statine.

« Ils peuvent essayer un autre produit à une dose différente. Mais pour ceux qui ne peuvent vraiment pas supporter de statine nous recommandons un autre traitement pour lequel il y a des preuves d’efficacité émanant d’essais randomisés ».

Effet nocebo 

Il souligne le fait que de nombreux patients croient avoir souffert des effets secondaires liés à la prise de statine alors qu’ils continuent à avoir les mêmes effets avec le placebo : c’est l’effet nocebo.

« Plusieurs études ont montré que l’effet nocebo est très commun et rend compte pour plus de la moitié des effets secondaires perçus des statines. Aussi on estime que la plupart des plaintes d’intolérance aux statines ne sont probablement pas directement en relation avec les conséquences pharmacodynamiques des produits », mentionne le chercheur.

 
Plusieurs études ont montré que l’effet nocebo est très commun et rend compte pour plus de la moitié des effets secondaires perçus des statines. Kevin C. Maki
 

Une étude récente concernant l’effet nocebo : l’essai SAMSON suggère que 90% des symptômes attribués aux statines ont été aussi mentionnés au cours du traitement avec les comprimés placebo [2].

Mais Kevin Maki ajoute que la bataille peut tout de même être perdue si les patients pensent que leurs symptômes sont liés à la statine.

« Nous suggérons que les médecins informent les patients sur le fait que la plupart des gens peuvent tolérer une statine – cela peut-être avec un produit différent ou une dose/fréquence différentes – et qu’il est primordial de réduire le LDL cholestérol pour diminuer le risque d’infarctus du myocarde (IdM) et d’accident vasculaire cérébral, aussi nous avons besoin de trouver un régime qui marche pour chaque individu », déclare-t-il.

« Pour la plupart des gens ont peut trouver un régime qui fonctionne. Si cela suppose une diminution de la dose de statine, qu’ils prennent un traitement complémentaire. C’est une meilleure solution que de cesser de prendre une statine et de permettre à la MCAS de progresser ».

Sur le conseil de réduire les doses

Kevin Maki persiste : les statines doivent rester le premier choix car elles sont efficaces, administrées par voie orale et peu coûteuses.

« Les autres médicaments n’ont pas tous ces avantages. Par exemple les inhibiteurs de PCSK9 sont très efficaces mais ils sont chers et injectables », note-t-il.

« Et bien que l’ézétimibe existe sous forme générique donc bon marché, son effet est plus modeste sur la diminution du LDL comparativement aux statines. Aussi seul, il ne suffit pas généralement à obtenir à l’objectif du LDL chez de nombreux patients. En revanche, l’utilisation en association avec une statine est une option ».

Il ajoute que le message de la NLA est de faire tout ce qui est possible pour garder le patient sous statine, surtout chez les patients ayant une MCAS préexistante.

« Nous aimerions que ces patients reçoivent une forte dose de statine. Si vraiment ils ne peuvent pas la tolérer, alors ils peuvent prendre une dose plus modeste en association avec un autre produit. »

 
Nous aimerions que ces patients reçoivent une forte dose de statine. Si vraiment ils ne peuvent pas la tolérer, alors ils peuvent prendre une dose plus modeste en association avec un autre produit. Kevin C. Maki
 

Commentant le point de vue de la NLA pour theheart.org/Medscape Cardiology, le co-auteur de l’essai SAMSON, le Dr James Howard de l’Imperial College of London (Royaume Uni), émet quelques réserves au sujet de ces nouvelles recommandations.

« Alors que j’estime important que l’effet nocebo soit de plus en plus reconnu par les recommandations et déclarations internationales, je crois qu’on doit être extrêmement prudents en conseillant des doses et des fréquences réduites de statines », avertit Howard.

 
On doit être extrêmement prudents en conseillant des doses et des fréquences réduites de statines. Dr James Howard
 

Des études comme SAMSON et StatinWISE [3]  indiquent que la vaste majorité des effets secondaires signalés par les patients traités par une statine ne sont pas en rapport avec la molécule mais plutôt avec un effet nocebo ou à des symptômes sous-jacents déjà présents attribués à tort aux statines, » commente-t-il.

« Par conséquent, préconiser que l’approche correcte, chez un patient ayant eu un IDM recevant 80mg d’atorvastatine et ayant des symptômes, est de réduire la dose ou d’essayer une posologie un jour sur deux, cela renforce le point de vue que ces médications ont des effets secondaires et nécessitent une titration soigneuse ».

Le Dr Howard suggère que les patients soient informés de la possible survenue d’un effet nocebo ou de symptômes classiques et encouragés à réessayer la statine à la même dose. « Si cela ne marche pas alors une notification formelle sur un journal de bord peut aider les patients à reconnaître les symptômes de fond », ajoute -t-il.

Déclaration « raisonnable et réfléchie »

Le Dr Howard indique que si les symptômes persistent encore, le patient peut effectuer plusieurs périodes de rotation entre statine et placebo, mais il reconnait que c’est une stratégie coûteuse, notamment en termes de temps. [Une nouvelle étude [4]aux caractéristiques similaires à celles de l’étude SAMSON, confortant l’effet nocebo vient d’être publiée, et commentée par le Dr John Mandrola ].

Commentant également pour theheart.org/Medscape Cardiology, le Dr Steve Nissen (Cleveland Clinic Cleveland, Ohio), trouve que la déclaration de la NLA est « raisonnable et réfléchie. »

« Que les symptômes soient dus à l’effet nocebo ou non, certains patients ne voudront tout simplement pas prendre une statine quelle que soit la manière dont vous vous y prendrez pour essayer de les convaincre de persévérer, aussi nous avons besoin d’alternatives », constate le Dr Nissen.

 
Que les symptômes soient dus à l’effet nocebo ou non, certains patients ne voudront tout simplement pas prendre une statine quelle que soit la manière dont vous vous y prendrez pour essayer de les convaincre de persévérer, aussi nous avons besoin d’alternatives. Dr Steve Nissen
 

Il note que les options actuelles font appel aux inhibiteurs du PCSK9 et à l’ézétimibe mais que le bempedoic pourrait constituer un futur candidat par voie orale (Nexletol). Il fait actuellement l’objet d’une évaluation dans un grand essai CLEAR Outcomes[5].

Le commentaire du Dr Usdin, cardiologue

Les traitements hypocholestérolémiants sans-statine qui « ont fait leurs preuves au cours d’essais randomisés » restent à trouver. Les hypocholestérolémiants actuels ont été testés en association avec une statine ou bien ils n’ont pas montré de réduction des événements cardiovasculaires ou bien ils ont provoqué des effets néfastes importants contrairement aux statines.

Les experts de la NLA mentionnent une étude avec ézétimibe seul [6], deux anciennes avec le fibrate gemefibrozil [7,8] et l’essai en cours avec une nouvelle classe de produit sans effet sur les muscles : le bempedoic [5]. Quant aux oméga 3 (Icosapent Ethyl) ils font l’objet d’une polémique.

Les cliniciens sont en effet démunis en cas de refus catégorique et ce n’est pas la levure de riz rouge chère aux récalcitrants qui nous satisfait. La suggestion du N-sur-1 serait cocasse dans ce cas.

Le document ne mentionne pas les cas rares où il existe une contre-indication aux statines, la grossesse et l’allaitement en font partie. La cholestyramine n’est pas contre indiquée à ma connaissance. JP Usdin

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre New National Lipid Association Statement on Statin Intolerance. Traduit par le Dr Jean-Pierre Usdin.

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