Paris, France — Comment assurer un bon diagnostic lors de la prise en charge aux urgences d’une dyspnée chez le sujet âgé ? Au cours du congrès Urgences 2022 , une session a fait le point sur les moyens à utiliser dans cette situation fréquente, en donnant la part belle à l’échographie clinique, qui pourrait bien remplacer le scanner thoracique dans la démarche diagnostique. Avec ou sans l’appui des peptides natriurétiques.
« Il a été clairement démontré que l’échographie clinique, en plus d’améliorer le diagnostic, permet de réduire le temps de passage aux urgences des patients dyspnéiques », a commenté le Dr Tomislav Petrovic (Hôpital Avicenne, AP-HP, Bobigny), modérateur de cette session. En une dizaine de minutes, une échographie pulmonaire complétée d’un examen Doppler peut aider à poser le diagnostic d’insuffisance cardiaque.
La prise en charge de la dyspnée aiguë représente toujours un défi pour les urgentistes, en particulier dans le cas des personnes âgées, en raison des modifications physiologiques liées au vieillissement, à l’origine d’une baisse de la capacité respiratoire, ou de comorbidités, qui rendent plus complexe la recherche des causes de la dyspnée.
Un tiers des patients âgés mal diagnostiqués
L’approche diagnostique standard basée sur l’interrogatoire, l’examen clinique, l’électrocardiogramme (ECG) et la radiographie du thorax apparait peu performante. « On estime que le diagnostic posé et le traitement mis en place sont inadaptés chez un tiers des patients dyspnéiques de 65 ans et plus », ce qui a un impact direct sur le pronostic, a souligné le Dr Patrick Ray (CHU Dijon Bourgogne), lors de son intervention [1].
Dans une étude observationnelle, menée par l’urgentiste et ses collègues au CHU de Dijon, cette prise en charge de la dyspnée aigüe conduisant à un traitement inadapté a été associée à une mortalité hospitalière multipliée par deux chez les patients âgés dyspnéiques. La mortalité est également accrue lorsque le diagnostic est jugé incertain [2].
L’œdème aigu pulmonaire lié à une insuffisance cardiaque représente la première cause de dyspnée dans cette population (40% des cas). Les causes d’origine pulmonaires sont en majorité l’exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), la pneumopathie et l’embolie pulmonaire. Chez le sujet âgé, les causes de dyspnée sont multiples dans près de la moitié des cas.
Tout d’abord, lorsque le patient âgé se présente avec une dyspnée sifflante, le diagnostic de BPCO ne doit plus être systématique, car ce symptôme peut aussi être lié à un œdème aigu dans cette population, a rappelé le Dr Thibaut Markarian (Hôpital de la Timone, Marseille) lors de sa présentation [3]. « Un tiers des patients de plus de 65 ans avec une insuffisance cardiaque présentent une dyspnée sifflante ».
Recherche d’artefact en queue de comète
L’échographie pleuro-pulmonaire est désormais un outil diagnostique de choix pour une exploration pulmonaire rapide afin d’identifier une cause cardiaque par la recherche d’un artefact en queue de comète de type « ligne B », signe de la présence d’un œdème, a souligné l’urgentiste.
Concernant le recours aux peptides natriurétiques BNP et NT-proBNP, des biomarqueurs performants de l’insuffisance cardiaque, leur intérêt est questionné dans la population âgée, a rappelé de son côté le Dr Philippe Le Conte (CHU de Nantes), qui est intervenu lors de cette session pour évoquer les causes cardiaques de la dyspnée [4].
Parmi les inconvénients : les seuils de BNP et NT-proBNP permettant de confirmer ou d’exclure une insuffisance cardiaque diffèrent selon l’âge, ce qui élargi la fenêtre d’incertitude chez le sujet âgé, a rappelé l’urgentiste. Dans le cas du NT-proBNP, chez le patient âgé de 75 ans et plus, l’insuffisance cardiaque est peu probable pour un NT-proBNP< 300 pg/mL et très probable pour un NT-proBNP> 1 800 pg/mL.
De plus, un BNP élevé peut aussi signaler une insuffisance cardiaque chronique ou un sepsis lié à une pneumopathie. « Les taux de BNP les plus élevés que j’ai pu observer étaient associés à une pneumopathie, avec des niveaux atteignant 5 000 à 10 000 pg/mL. Et, des études ont pu montrer qu’un sepsis avec un BNP élevé n’est pas forcément corrélé à une insuffisance cardiaque. »
Le Doppler pour confirmer l’insuffisance cardiaque
Une approche privilégiant l’échographie pulmonaire et l’échographie cardiaque apparait la plus appropriée dans cette situation, estime le Dr Le Conte. La présence de lignes B (queue de comète) bilatérales et diffuses à l’échographie est associée à une spécificité et une sensibilité de plus de 90% dans le diagnostic de l’œdème pulmonaire aigu.
A l’échographie cardiaque, la constatation d’une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée étant insuffisante pour poser le diagnostic de l’insuffisance cardiaque, des examens complémentaires par échographie Doppler sont à envisager en utilisant des algorithmes spécifiques. Selon de récentes études, un paramètre Doppler E/E’>15 permet de confirmer le diagnostic.
« L’échographie a un avantage net en termes de performance dans le diagnostic des causes cardiaques de la dyspnée. L’examen est réalisable en une dizaine minutes et est relativement aisé pour des urgentistes formés », a conclu le Dr Le Conte.
Avec une échographie bien menée, le diagnostic d’insuffisance cardiaque peut être posé sans même avoir le dosage des peptides natriurétiques, estime-t-il.
Des radiographies « difficiles à interpréter »
Dans le cas de la recherche d’une pneumopathie, le Dr Markarian a rappelé que « les signes cliniques habituels sont beaucoup moins fréquents chez le patient âgé » ce qui rend le diagnostic plus difficile. La fièvre, par exemple, se retrouve seulement chez un patient sur deux.
Là encore, l’échographie pleuro-pulmonaire améliore la performance du diagnostic face à la radiographie du thorax, bien souvent « difficile à interpréter ». Lorsqu’elle est complétée d’une échographie cardiaque, elle fait passer la sensibilité de la démarche diagnostique standard dans la recherche d’une pneumopathie infectieuse de 25 à 83% chez le dyspnéique âgé [5].
Pour ce qui est d’une suspicion d’embolie pulmonaire, les recommandations distinguent les patients en état de choc des patients stables. En état de choc, l’échographie cardiaque est à privilégier en urgence pour rechercher les signes du « coeur pulmonaire aigu » (dilatation aiguë du ventricule droit, dyskinésie du septum paradoxal…) et appliquer, le cas échéant, un traitement par thrombolyse.
Chez les patients dyspnéiques stables, « le diagnostic de l’embolie pulmonaire est beaucoup plus compliqué », étant donné que les signes cliniques sont « très variés et peu spécifiques », souligne le Dr Markarian. La radiographie du thorax est peu utile, en dehors d’un diagnostic différentiel, et l’analyse des gaz du sang indique une saturation pulsée en oxygène (SP02) normale dans 40% des cas.
Pour aider au diagnostic, il est recommandé de recourir à des outils prédictifs de l’embolie pulmonaire, comme le score de Wells et le score révisé de Genève. Le niveau de probabilité permet de s’orienter, soit vers un dosage des D-dimères plasmatiques, suivi d’un scanner en cas de résultat positif, soit directement vers un scanner.
Envisager des causes multiples
Etant donné que les causes peuvent être multiples, le Dr Markarian conseille de réévaluer les patients en cas de persistance des symptômes. Par exemple, un nouvel examen par échographie pulmonaire est à envisager si un patient présente toujours une dyspnée sifflante trois heures après avoir reçu des diurétiques à la suite de l’observation de lignes B. « Si ces lignes ont quasiment disparu, une décompensation de BPCO est certainement associée à l’insuffisance cardiaque. »
Autre association fréquente : la BPCO et la pneumopathie. « L’échographie pleuro-pulmonaire a alors un intérêt majeur » dans la détection de la pneumopathie. Si la pneumopathie est exclue, il faut penser à l’embolie pulmonaire associée à la BPCO en cas de persistance des symptômes. L’angioscanner thoracique est alors recommandé.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Dyspnée aiguë du sujet âgé: l’échographie clinique plébiscitée en médecine d’urgence - Medscape - 21 juin 2022.
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