Chicago, Etats-Unis — Des chercheurs français mettent en garde contre l'utilisation du paracétamol chez les patients atteints de cancer qui reçoivent des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire.
Dans leur étude, colligeant trois cohortes (CheckMate-25, BIP, PREMIS) regroupant plus de 600 patients atteints de cancers à des stades avancés, les chercheurs bordelais ont observé une forte association entre l'utilisation de paracétamol et une réponse diminuée aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire.
L'étude a été présentée au congrès annuel de l'American Society of Clinical Oncology et publiée simultanément dans la revue Annals of Oncology[1,2].
Les patients qui prenaient du paracétamol au début de l'immunothérapie – l'exposition au paracétamol étant confirmée par des tests sanguins – présentaient une survie globale et une survie sans progression plus faibles que les patients qui ne prenaient pas l’antalgique.
Une analyse multivariée a confirmé cette association, indépendamment des autres facteurs pronostiques. « Il est peu probable que nos données soient le résultat d'un biais ou d'un facteur de confusion non mesuré », ont commenté les chercheurs.
Les résultats appellent à la prudence quant à l'utilisation du paracétamol chez les patients atteints de cancer qui reçoivent des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires, concluent le Pr Antoine Italiano, oncologue médical et coll. (CHU de Bordeaux, France).
« Les patients atteints d'un cancer avancé qui prennent du [paracétamol] pendant une immunothérapie obtiennent de moins bons résultats cliniques, ce qui suggère que le [paracétamol] diminue l'immunité antitumorale médiée par les cellules T », commentent les auteurs.
L’équipe a également mis en avant des études à partir de prélèvements sanguins chez quatre volontaires en bonne santé, qui ont montré une augmentation des cellules T régulatrices (Tregs) immunosuppressives avec le paracétamol, ainsi que d'autres résultats qui, pris dans leur ensemble, suggèrent que le paracétamol nuit aux processus immunitaires antitumoraux par lesquels les inhibiteurs de points de contrôle fonctionnent.

Détails de l'étude
Le Pr Italiano et son équipe ont analysé les échantillons sanguins de 297 participants à l'essai CheckMate 025 sur le nivolumab pour le cancer du rein, de 34 participants à l'étude BIP sur les altérations moléculaires exploitables dans le cancer et de 297 participants à l'étude PREMIS sur les effets indésirables liés au système immunitaire. Les patients de ces deux dernières études étaient atteints de divers cancers et recevaient différents traitements.
Les 628 patients étaient tous sous inhibiteurs de points de contrôle. Les investigateurs les ont divisés en deux catégories : ceux dont les échantillons contenaient du paracétamol ou son métabolite, l'acétaminophène glucuronide, au début de la thérapie par inhibition du point de contrôle et ceux dont les échantillons n’en contenaient pas.
Dans l'étude CheckMate 025, la survie globale était significativement plus faible chez les participants qui avaient du paracétamol ou son métabolite détectable dans le plasma (hazard ratio [HR], 0,67 ; P = 0,004).
Aucun des participants positifs au paracétamol dans l'étude BIP n'a répondu au blocage des points de contrôle, contre près de 30 % des participants négatifs. Les participants positifs au paracétamol ont également eu tendance à avoir une survie sans progression (médiane, 1,87 contre 4,72 mois) et une survie globale (médiane, 7,87 contre 16,56 mois) plus faibles.
Dans l'étude PREMIS, la survie sans progression était d'une médiane de 2,63 mois dans le groupe paracétamol contre 5,03 mois chez les participants négatifs (P = 0,009) ; la survie globale médiane était de 8,43 mois contre 14,93 mois, respectivement (P < 0,0001).
Une analyse multivariée a été réalisée dans PREMIS. L'exposition au paracétamol a été associée à la fois à la survie sans progression (HR, 1,43 ; P = 0,015) et à la survie globale (HR, 1,78 ; P = 0,006) indépendamment du statut de performance, des métastases hépatiques, des métastases osseuses, du nombre de sites métastatiques, du type de tumeur, du nombre de lignes de traitement précédentes, de l'utilisation de corticoïdes/antibiotiques, des niveaux de lactate déshydrogénase et d'autres facteurs.
Reconsidérer le prétraitement par paracétamol
Suite à la présentation des résultats en session, une oncologue polonaise présente dans l'assistance s'est dite préoccupée par le fait que son centre effectue un prétraitement au paracétamol avant l’initiation de toute thérapie par inhibition des points de contrôle immunitaire et a voulu savoir si elle devait cesser de le faire.
« Je ne pense pas que l'induction des Tregs... chez les patients cancéreux soit une bonne approche » et « je ne comprends pas pourquoi, dans plusieurs cas, il est exigé une prémédication obligatoire avec du paracétamol. Je pense... que nous devrions reconsidérer cette approche », a déclaré le Pr Italiano.
Auparavant, certaines études ont montré que le paracétamol limitait la prolifération des cellules immunitaires, la réponse des anticorps dépendant des cellules T et la clairance virale, entre autres. Après un essai randomisé montrant des réponses émoussées aux vaccins chez les personnes qui prenaient du paracétamol, l'Organisation mondiale de la santé a recommandé en 2015 de ne pas utiliser de paracétamol lorsque des vaccinations sont pratiquées.
Il a également été démontré récemment que les corticoïdes, les antibiotiques et les inhibiteurs de la pompe à protons limitaient les résultats obtenus avec le pembrolizumab, a noté la Dr Margaret Gatti-Mays, oncologue médicale à l'Ohio State University, Columbus, invitée à commenter ces données.
« Nous commençons à comprendre que (...) les médicaments couramment utilisés peuvent avoir un impact plus important sur l'efficacité et la toxicité du blocage des points de contrôle immunitaire que ce qui a été observé historiquement avec la chimiothérapie », a-t-elle déclaré.
Cependant, elle a exprimé certains doutes quant aux résultats français, s’inquiétant notamment du fait que l'analyse multivariée n'avait pas complètement exclu que les utilisateurs de paracétamol aient une maladie plus grave au départ (on s'attend donc à ce que les résultats soient moins bons).
Elle s’est également posé la question de la quantité de paracétamol en jeu.
Le paracétamol a une demi-vie d'environ 3 heures, alors que les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire ont une demi-vie d'environ 20 jours ou plus.
Dans ces conditions, « une seule dose d'acétaminophène est-elle suffisante pour annuler les effets bénéfiques de l'inhibition des points de contrôle. L'exposition doit-elle être continue ? », s’est interrogée la Dr Gatti-Mays.
Selon l’oncologue américaine, la prise de paracétamol pourrait être l'un des nombreux « facteurs patient » qui ont été repérés récemment – tels que le stress chronique, le régime alimentaire, la flore intestinale et l'âge physiologique, entre autres – et qui pourraient contribuer à expliquer pourquoi l'inhibition des points de contrôle ne fonctionne que chez environ 20 % des patients cancéreux admissibles.
Ces travaux n'ont bénéficié d'aucun financement. Le Pr Italiano est consultant pour AstraZeneca, Bayer, Chugai, Deciphera, Merck, Parthenon, Roche et Springworks. Il bénéficie également de subventions d'AstraZeneca, Bayer, BMS, Merck, MSD, Novartis, Pharmamar et Roche. Deux auteurs travaillent pour Explicyte et un pour Amgen. La Dr Gatti-Mays est consultante pour Seattle Genetics.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Actualités Medscape © 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: Le paracétamol pourrait diminuer la réponse à l'immunothérapie anticancéreuse - Medscape - 17 juin 2022.
Commenter