Reconnaître les causes des HVG : une IA fait aussi bien que des cardiologues

Dr Angela Speth

Auteurs et déclarations

13 juin 2022

Los Angeles, Etats-Unis – Lorsque l'échocardiographie révèle une hypertrophie ventriculaire gauche, le médecin se retrouve confronté à une tâche fastidieuse et chronophage : la détermination de son ampleur et de sa cause. L'intelligence artificielle (IA) peut lui faciliter la tâche, comme le démontre une étude américaine qui a non seulement mesuré avec précision les caractéristiques géométriques du ventricule mais a également identifié les affections sous-jacentes, dont la sténose aortique, la cardiomyopathie hypertrophique et l'amylose cardiaque. Le travail a été publié dans JAMA Network[1].

Point fort de cette étude de l’équipe de Grant Duffy (Cedars-Sinai Medical Center à Los Angeles) : un ensemble important de données tirées de vidéos médicales n'avait encore jamais été publié. « Avec près de 24 000 vidéos d'échographies cardiaques, il s’agit d’une publication impressionnante, ne serait-ce que par la quantité énorme de données utilisées par les auteurs – comme l'entraînement, la validation et le test de leurs algorithmes – dans les différentes étapes de leur travail », confirme Dr Jackie Ma, le dirigeant du groupe Apprentissage automatique appliqué à l’Institut Fraunhofer Heinrich-Hertz de Berlin interrogé par Medscape

L'IA permet aux médecins d'économiser beaucoup de temps et d'efforts

Si Jackie Ma voit l'importance de l'IA, le Pr David Ouyang, dernier auteur de l’étude, lui redonne sa place : « Il est important de préciser que les algorithmes laissent la décision aux médecins. Ils leur offrent simplement de l’aide en leur suggérant tel ou tel diagnostic ,» peut-on lire sur le site web de cardiologie tctMD.

Sur le plan international, l'Allemagne occupe une place assez forte dans le domaine de la recherche, du développement et des applications de l'IA, rapporte Jackie Ma. Son groupe de travail utilise cette technologie en cardiologie comme l'équipe de Grant Duffy, mais plutôt pour analyser les ECG. Il a également développé des algorithmes pour l'analyse des protéines et du génome, et celle des EEG et des IRM cérébrales, des radiographies du thorax et le diagnostic de certaines tumeurs. Ces chercheurs se sont également intéressés à la pandémie de Covid-19, au travers de la recherche du risque personnel de contamination en fonction de la distance avec une personne infectée et du temps passé à sa proximité.

Un point critique : l'acquisition des données de référence

« Nous travaillons en étroite collaboration avec différentes cliniques, mais la protection stricte des données rend difficile l'accès à un matériel de base approprié », explique Jackie Ma. Les auteurs de l'étude font part de la même expérience : « L'un des principaux défis de l'utilisation de l'IA dans le secteur de la santé est le manque de repères. »

Les auteurs ont toutefois eu la chance de pouvoir s’approvisionner en données au sein de leur propre clinique ainsi que dans un centre de Stanford, dont l’une des spécialités est l'hypertrophie cardiaque. Ils ont retenu d'une part des vidéos du grand axe parasternal, sur lesquelles on peut voir les deux ventricules, la racine de l'aorte et l'oreillette gauche, et d'autre part, des clichés montrant les 4 cavités à partir de l’apex.

L'échocardiographie, pour un diagnostic de premier choix

Conformément aux recommandations des sociétés savantes, l’échocardiographie est la méthode la plus utilisée pour diagnostiquer une hypertrophie, expliquent les auteurs de l'étude. Jackie Ma souligne les problèmes qui y sont liés : « En raison de la grande quantité d'informations qu’elles délivrent, les échocardiographies sont difficiles à gérer pour les utilisateurs d'IA : elles nécessitent un gros investissement en termes de temps, de capacité de calcul et d’espace de stockage. »

Grant Duffy et ses collaborateurs ont utilisé une partie des vidéos pour entraîner leur algorithme, en lui signalant, après chaque passage, s'il était parvenu au bon ou au mauvais résultat (voir encadré). Les rapports d'analyse et les remarques jointes à chaque fois ont servi de point de référence. « La question est toujours la suivante : d'où proviennent les analyses et les annotations ? L'idéal serait que le plus grand nombre possible de médecins donnent leur avis », estime Jackie Ma.

Ce process serait particulièrement bénéfique pour les patients atteints d'hypertrophie car même les experts ont du mal à faire la différence entre les différentes pathologies qui modifient le cœur de manière morphologiquement similaire. Ce qui est également déroutant, c'est que les symptômes varient d'une personne à l'autre et qu'ils sont parfois plus légers, parfois plus graves. De plus, les valeurs mesurées varient pour cause d'irrégularités dans le temps de remplissage et dans la fréquence cardiaque.

Un examen fiable est néanmoins important, car il détermine la suite de la procédure en raison de son importance pronostique. Il est ainsi possible d'évaluer le risque de mort subite d'origine cardiaque et de déterminer quels patients nécessitent un défibrillateur. De plus, une classification sur la base de différences génétiques serait également possible.

Un algorithme qui renforce le potentiel diagnostique des ultrasons

« Nous avons donc cherché à savoir s'il était possible de faire ressortir le potentiel caché de l'échocardiographie en la combinant avec une variante de l'intelligence artificielle, le deep learning (voir encadré) », expliquent Grant Duffy et son équipe pour justifier l’intérêt de leur étude rétrospective.

 
Dans une comparaison prospective avec deux cardiologues formés, l'algorithme a même affiché des résultats légèrement meilleurs.
 

L’approche a été couronnée de succès : l'algorithme a repéré des écarts, même lorsqu’ils étaient subtils. Pour l'épaisseur de la paroi intraventriculaire, l'erreur moyenne n'était que de 1,2 mm. Elle était de 2,4 mm pour le diamètre du ventricule gauche et de 1,4 mm pour l'épaisseur de la paroi postérieure. Dans une comparaison prospective avec deux cardiologues formés, l'algorithme a même affiché des résultats légèrement meilleurs. Il s'est montré tout aussi performant lors de la saisie de données provenant d'autres cliniques américaines et d'autres pays. Selon les chercheurs, cela démontre que sa pertinence se maintient à travers les continents et des différents systèmes de santé.

Un procédé qui imite le cortex visuel

Les investigateurs ont recherché l’affection primaire à l'aide d'une méthode spéciale de deep learning qui s’inspire du cortex visuel, le Convolutional Neural Network. Ce "réseau neuronal convolutif" a ainsi pu identifier avec un niveau de certitude élevé l'amylose cardiaque, la cardiomyopathie hypertrophique et la sténose aortique séparément des autres causes possibles.

Le point commun de ces affections sous-jacentes est qu'elles génèrent une surcharge chronique que le cœur tente de surmonter par un remodelage.

Chez de nombreux patients, le trouble est d'origine systémique : le muscle cardiaque doit travailler contre une pression accrue, par exemple en cas de sténose aortique, mais surtout en cas d'hypertension artérielle, ce qui initie un remodelage chez 60% des patients.

Des défauts génétiques déclencheurs au niveau des fibrilles musculaires

Mais l'épaississement peut aussi provenir de processus pathologiques au sein même du cœur, comme dans la cardiomyopathie hypertrophique. Cette dernière trouve son origine dans des mutations héréditaires : on en connaît plus de 1500 dans des gènes codant principalement pour des protéines du sarcomère.

Les diagnosticiens doivent également distinguer une autre série de maladies qui affaiblissent directement le tissu cardiaque : les amyloïdoses. Seules quelques-unes d'entre elles se développent en raison de défauts génétiques héréditaires. La plupart sont dues à des maladies de la moelle osseuse ou des glandes lymphatiques, ou à une inflammation chronique comme dans la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse. En conséquence, des fibrilles de protéines mal repliées se déposent entre les cellules. Une trentaine de protéines ont été découvertes à ce jour comme étant à l'origine de tels amyloïdoses.

Enfin, si leur présence est rare, d'autres troubles généralement congénitaux ne sont pas exclus, comme la maladie de Fabry, l'ataxie de Friedreich ou le syndrome de MELAS.

Une maladie rare, mais sans doute plus fréquente qu'on ne le croit

Les médecins peuvent facilement passer à côté de l’affection primaire parce qu'elle se présente comme la conséquence d'une hypertension artérielle "normale" ou d'une maladie rénale "ordinaire", explique David Ouyang sur tctMD. « L'amylose cardiaque mérite sans doute l'appellation paradoxale de ‘maladie rare fréquente’, en ce sens qu'elle est plus répandue que ne le suggèrent les chiffres publiés. »

La cardiomyopathie hypertrophique représente également un défi diagnostique en raison de son manque d'uniformité : elle s'étend parfois de manière diffuse, avec des parois pouvant atteindre 60 mm d'épaisseur mais il arrive que seules des zones circonscrites soient légèrement épaissies.

Les auteurs considèrent leur modèle comme une technologie de plateforme car il convient au dépistage de toutes sortes de maladies, telles que les valvulopathies ou les lésions dues à une chimiothérapie. « Il peut être ajusté finement pour trouver des patients qui n’auraient pas été diagnostiqués en pratique de routine », ajoute David Ouyang.

Le deep learning

Le deep learning constitue un sous-domaine du machine learning. Alors que les algorithmes de ce dernier parcourent des arbres de décision mathématiques, le deep learning plonge pour ainsi dire plus profondément. Il se base en effet sur des réseaux neuronaux dont le fonctionnement s'inspire du cerveau humain. Ces réseaux sont constitués d'un agencement de neurones d'entrée et de sortie, reliés par un nombre variable de couches intermédiaires.

Les algorithmes développent ainsi leur capacité à déterminer de manière autonome les critères d'une identification correcte, en intégrant sans cesse de nouveaux contenus et en empruntant d'autres voies. Contrairement à l'apprentissage automatique, le programmeur n'intervient plus dans ces processus : il se contente de les alimenter avec les informations de base, à partir desquelles les algorithmes font des prévisions et prennent des décisions. Dans la pratique, ils conviennent à la recherche de modèles, par exemple pour l'analyse d'images mais aussi, au-delà de la médecine, pour la reconnaissance des visages, des objets ou de la parole.

Les calculs sont entièrement automatisés et débouchent sur des mesures précises et reproductibles.

Cet article a été publié initialement sur Medscape.de et intitulé „Beindruckend“ – künstliche Intelligenz macht Kardiologen Konkurrenz: Sie erkennt Ursachen einer Hypertrophie mindestens so gut . Traduction/adaptation du Dr Claude Leroy.

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