Chicago, Etats-Unis – Deux essais de désescalade thérapeutique dans le cancer du sein ont été présentés et mis en avant lors du congrès annuel de l' American Society of Clinical Oncology (ASCO) .
Chimio : pas de bénéfice significatif chez les ≥ 70 ans avec indice génomique élevé
Le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante en plus de l'hormonothérapie reste controversé pour les patientes âgées de 70 ans et plus atteintes d'un cancer du sein primaire positif aux récepteurs des œstrogènes (ER+) et HER2-négatif (HER2-) ou en rechute locale isolée.
Dans ce contexte, l’étude ASTER 70s est le premier essai thérapeutique multicentrique basé sur l’analyse de la signature génomique tumorale, reflet du risque de rechute, pour choisir de réaliser ou non une chimiothérapie adjuvante chez des personnes de plus de 70 ans[1]. L’objectif de l’étude était d’évaluer l’apport de la chimiothérapie post-opératoire en sus de l’hormonothérapie versus l’hormonothérapie seule en cas d’agressivité de la tumeur (grade génomique élevé).

Dr Etienne Brain
Les résultats ont été présentés le 7 juin 2022 à l’ASCO par le Dr Etienne Brain, oncologue médical, spécialiste du cancer du sein et de la prise en charge des patients âgés à l’Institut Curie, qui a par ailleurs reçu le prix B.J. Kennedy d'excellence scientifique en oncogériatrie de l’ASCO (voir encadré).
Dans cet essai prospectif, les chercheurs ont d'abord évalué l'indice de grade génomique de la tumeur (GGI) chez toutes les patientes. Puis, les patientes avec un GGI élevé (risque élevé de rechute) ont été randomisées entre chimiothérapie plus thérapie endocrine vs thérapie endocrine seule.
Les patientes avec un faible GGI n’ont pas reçu de chimiothérapie et ont été suivies dans une cohorte d'observation.
Les médecins ont choisi entre 3 régimes de chimiothérapie : 4 cycles de doxorubicine/cyclophosphamide, doxorubicine/cyclophosphamide liposomale non pégylée ou docétaxel/cyclophosphamide, administrés toutes les 3 semaines avec du G-CSF. L'hormonothérapie consistait en 5 ans d'inhibiteur de l'aromatase, de tamoxifène ou d'une séquence liée à la tolérance.
L’objectif principal était de démontrer un bénéfice de survie globale (SG) lié à la chimiothérapie dans la population en intention de traiter.
Entre avril 2012 et mai 2016, 1 969 patientes de 61 centres français et 12 centres belges ont été enrôlées dans l’étude. Parmi elles, 1 089 (55 %) ont été randomisées dans l’un des deux bras de l’étude. Le suivi médian était de 5,8 ans à la date limite des données (17/12/2021). L'âge médian était de 75 ans (70-92). Les tumeurs étaient ≥ pT2, pN+, rechutes locales isolées, de grade histologique III, respectivement dans 56 %, 46 %, 11 % et 39 % des cas.
Aucune différence significative de survie globale n'a été observée entre les bras (RR 0,85 [0,64-1,13], p=0,2538). La SG à 4 ans était de 90,5 % dans le bras chimiothérapie plus thérapie endocrine et de 89,7 % dans le bras thérapie endocrine seule. Les chercheurs n’ont pas pu identifier de sous-groupe tirant un bénéfice significatif de la chimiothérapie.
« C’est la première fois que l’on dispose d’une étude d’une telle ampleur au sein d’une population qui est habituellement exclue des essais cliniques », a commenté le Dr Brain qui ajoute : « Nos résultats interrogent sur la désescalade thérapeutique chez certaines de nos patientes âgées et sur le biais considérable de nos attitudes, recourant par défaut, sans démonstration, aux mêmes standards que chez nos patientes plus jeunes. La masse d’informations recueillies dans Aster 70s va permettre d’étudier les ajustements et les adaptations nécessaires de ces traitements, souvent sur-prescrits comme la chimiothérapie ».
Le prix ASCO B.J. Kennedy Geriatric Oncology Award 2022 décerné au Dr E. Brain
Ce prix récompense un médecin pour ses contributions exceptionnelles à la recherche, au diagnostic et au traitement des cancers chez les personnes âgées, et en reconnaissance de son animation internationale de la thématique sur le plan éducationnel et politique.
« Je suis très fier de ce prix qui m’est décerné aujourd’hui car c’est l’aboutissement de nombreux travaux menés depuis plusieurs années pour la prise en charge des personnes âgée atteintes de cancers, notamment celles présentant un cancer du sein. Il faut poursuivre le développement d’une recherche clinique spécifique pour cette population âgée », a déclaré le Dr Etienne Brain.
Le Dr Brain est l’ancien président du groupe « Cancer du sein » à l’EORTC (European Organization for Research and Treatment of Cancer). Il préside l’Intergroupe DIALOG (GERICO/UCOG) dédié à la recherche clinique pour les patients âgés. Il est aussi ancien président de la Société Internationale d’Onco-Gériatrie (SIOG).
« Je me réjouis de cette prestigieuse reconnaissance outre-Atlantique qui honore aujourd’hui le Dr Etienne Brain pour ses travaux menés depuis des années au sein de l’Institut Curie », a indiqué le Pr Steven Le Gouill, directeur de l’Ensemble hospitalier de l’Institut Curie dans un communiqué[2].
Pourrait-on se passer de radiothérapie post-chirurgie conservatrice dès 55 ans ?
Autre essai de désescalade thérapeutique dans le cancer du sein présenté à l’ASCO, l’essai LUMINA, qui a montré que certaines patientes pourraient être en mesure d'éviter la radiothérapie après une chirurgie mammaire conservatrice[3].
La radiothérapie adjuvante est généralement prescrite après une chirurgie de conservation du sein pour réduire le risque de récidive, mais le traitement est associé à une toxicité à la fois aiguë et sur le long terme.
Les femmes de cet essai qui n’ont pas reçu de radiothérapie et qui ont été traitées par chirurgie mammaire conservatrice suivie d'une hormonothérapie, ont eu un taux de survie global de 97,2 %. Le taux de récidive locale était de 2,3 %, le critère d'évaluation principal de l'étude.

Dr Timothy Joseph Whelan
« Les femmes de 55 ans et plus, atteintes d'un cancer du sein de type A luminal de bas grade, après une chirurgie conservatrice du sein et traitées par hormonothérapie seule, avaient un très faible taux de récidive locale à 5 ans », a commenté l'auteur principal, le Dr Timothy Joseph Whelan lors de sa présentation à l’ASCO [3].
« Plus de 300 000 [personnes] reçoivent un diagnostic de cancer du sein invasif en Amérique du Nord chaque année, la majorité aux États-Unis », a déclaré le Dr Whelan. « Nous estimons que ces résultats pourraient s'appliquer à 10 à 15 % d'entre elles, soit environ 30 000 à 40 000 femmes par an qui pourraient éviter la morbidité, le coût et les désagréments de la radiothérapie ».
Auparavant, des études ont montré que chez les femmes de plus de 60 ans atteintes d'un cancer du sein de type A luminal de bas grade qui n'avaient subi qu'une chirurgie mammaire conservatrice, le taux de récidive locale était faible. Chez les femmes de plus de 70 ans, le risque de récidive locale était d'environ 4 à 5 %. Cette nouvelle étude montre que cette option peut être considérée encore plus tôt.
L’étude LUMINA a porté sur des patientes atteintes d'un cancer du sein avec un sous-type luminal A associé à des facteurs cliniques pathologiques (définis comme : ER ≥ 1 %, PR > 20 %, HER2-négatif et Ki67 ≤ 13,25 %).
L’étude de cohorte prospective multicentrique a inclus 501 patientes âgées de 55 ans et plus ayant subi une chirurgie mammaire conservatrice pour un cancer T1N0 de grade 1-2.
L'âge médian des patientes était de 67 ans, dont 442 (88 %) étaient âgés de plus de 75 ans. La taille médiane de la tumeur était de 1,1 cm.
Le suivi médian était de 5 ans. La cohorte a été suivie tous les 6 mois pendant les 2 premières années puis annuellement.
A cinq ans, il y a eu 10 récidives locales, soit un taux de 2,3 % (critère primaire) ; huit cancers du sein controlatéraux (1,9 %), un taux de survie sans récidive de 97,3 %, un taux de survie sans maladie de 89,9 % et une survie globale de 97,2 % (critères secondaires).
« Il s’agit d’une étude extrêmement bien conçue et importante », a commenté la Pre Penny R. Anderson (Service de radio-oncologie, Fox Chase Cancer Center, Philadelphie) avant d’ajouter que cet essai est « un ajout significatif et une contribution très pertinente à la littérature démontrant que la radiothérapie mammaire adjuvante peut ne pas être réalisée en toute sécurité dans ce sous-groupe particulier de patientes atteintes d'un cancer du sein ».
Commentant l'étude, la Dr Julie Gralow, vice-présidente exécutive d'ASCO, a indiqué à Medscape Medical News : « Je pense qu'il y aura une discussion sur la manière optimale d'identifier ce groupe », car dans cette étude, les patientes ont été dépistées pour Ki67, un marqueur de prolifération. Or, le test de Ki67 n'est pas pratiqué en routine. « Avons-nous besoin de ce test Ki67 ? Avons-nous besoin d'élaborer des directives sur la manière de procéder ? Est-ce mieux que si vous avez déjà effectué un test Oncotype ou MammaPrint pour voir si la patiente a besoin de chimiothérapie ? », interroge-t-elle. « C'est là que se situera la discussion ».
Commentant également l'étude, la Dr Deborah Axelrod (Perlmutter Cancer Center de NYU Langone, New York), a salué les caractères prospectif et multicentrique de l’étude LUMINA tout en soulignant quelques limites : « Le suivi est de 5 ans et la récidive locale des cancers ER-positifs continue d'augmenter après 5 ans, donc un suivi à plus long terme serait important ». En outre, elle a précisé qu'il s'agissait d'une étude à un seul bras, et donc sans bras de comparaison.
Elle a ajouté qu’en pratique, les patientes pouvaient préférer une semaine d'irradiation partielle accélérée du sein, plutôt que de s'engager dans 5 ans d'hormonothérapie comme le fait cette étude.
« Dans l'ensemble, le message à retenir pour les patientes est que se passer de la radiothérapie devrait être considéré comme une option pour les femmes âgées atteintes d'un cancer du sein localisé avec des caractéristiques favorables et qui reçoivent une hormonothérapie », conclut la Dr Axelrod.
L'étude LUMINA a été parrainée par la Fondation canadienne du cancer du sein et la Société canadienne du cancer. Le Dr Whelan a signalé des financements de recherche par Exact Sciences (Inst). Les Drs Axelrod et Anderson n'ont pas rapportés de liens d'intérêts. Le Dr Gralow a signalé des liens d'intérêt avec Genentech, AstraZeneca, Hexal, Puma BioTechnology, Roche, Novartis, Seagen et Genomic Health.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Crédit image de Une : Dreamstime
Crédits portraits : DR
Actualités Medscape © 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: Deux essais de désescalade thérapeutique concluants dans le cancer du sein - Medscape - 9 juin 2022.
Commenter