Changement de pratique : une thérapie anti-HER2 même pour les tumeurs du sein avec peu de HER2 !

Jim Kling, Marine Cygler

Auteurs et déclarations

8 juin 2022

Chicago, Etats-Unis – Alors qu'elles sont considérées comme non-éligibles aux thérapies ciblées anti-HER2, des patientes atteintes d'un cancer du sein métastatique avec un faible niveau d'expression de récepteurs HER2, ont quand même eu des résultats tout à fait prometteurs avec le traitement anti-HER2 trastuzumab-deruxtecan (Enhertu®).

Ce traitement a doublé la survie sans progression par rapport à une chimiothérapie seule chez des patientes dont la tumeur exprime peu de récepteurs HER2 et également donné de bons résultats en survie globale. C'est ce qu'a montré l'étude DESTINY Breast04 dont les données ont été annoncées au cours du congrès annuel de l' American Society of Clinical Oncology (ASCO) et publiées simultanément dans le NEJM[1].

Réduction du risque de progression et de la mortalité

« Le traitement trastuzumab-deruxtecan est le standard thérapeutique de première ligne de cancers du sein avec amplification du gène HER2. Mais, comme dans les phases premières de développement de cette molécule, il a été objectivé une réponse chez les patientes qui avaient une expression faible, voire très faible de la protéine HER2, cela a justifié cet essai prospectif de plus grande taille », a expliqué la Dr Esma Saada-Bouzid, oncologue médical au Centre Antoine Lacassagne à Nice lors d’une conférence de presse Unicancer en direct de Chicago.

Cet essai de phase 3, l'étude DESTINY Breast04 a inclus 557 femmes en Asie, en Europe et en Amérique du Nord atteintes d'un cancer du sein inopérable et/ou métastatique HR+ ou HR - / HER2 faible qui avaient déjà reçu au maximum deux lignes de chimiothérapies.

Les patientes ont été randomisées pour recevoir soit le trastuzumab-deruxtecan soit une chimiothérapie choisie par le prescripteur parmi les différentes chimiothérapies standard. Après un suivi médian de 18,4 mois, les patientes HR+ (n=494) du bras « trastuzumab-deruxtecan » présentaient une réduction de risque de progression de la maladie de 49% et une réduction de la mortalité de 36 % par rapport au groupe « chimiothérapie ». Dans ce groupe, la survie sans progression et la survie globale étaient plus longues, respectivement 10,1 mois vs 5,4 mois et 23,9 mois vs 17,5 mois, que dans le groupe « chimiothérapie ».

« La bonne surprise, même s’il s’agit d’une analyse post-hoc, c’est que dans le sous-groupe des patientes triples négatives (HR-, n=63), nous avons observé un gain en termes de survie sans progression et de survie globale qui est d’une amplitude similaire, même si les chiffres sont un peu inférieurs puisque ce sont des patientes de moins bon pronostic. Ces patientes pourront donc aussi bénéficier de cette nouvelle molécule », a commenté la Dr Saada-Bouzid.

 
La bonne surprise, c’est que dans le sous-groupe des patientes triples négatives (HR-, n=63), nous avons observé un gain en termes de survie sans progression et de survie globale qui est d’une amplitude similaire. Dr Esma Saada-Bouzid
 

Quelle tolérance ?

Bien que les effets indésirables aient été similaires dans les deux groupes (52,6% dans le groupe «trastuzumab deruxtecan», 67,4% dans le groupe «chimiothérapie»), une toxicité pulmonaire a touché 12% des participantes du groupe «trastuzumab deruxtecan», 3 d'entre elles en sont décédées d’une pneumopathie interstitielle (0.8%). La survenue d'une pneumopathie interstitielle a déjà été associée au trastuzumab : selon une méta-analyse, sa fréquence est de 2,4% avec une issue fatale pour 0,2% des cas.

« Le profil de tolérance n’est pas du tout anodin. Mais, malgré tout, le gain en efficacité dans cette population de patientes surpasse de façon écrasante ces effets secondaires qui sont, la plupart du temps, gérables par les oncologues médicaux. Ces données devraient révolutionner la prise en charge de l’une des tumeurs les plus fréquentes », précise la Dr Saada-Bouzid.

 
Le profil de tolérance n’est pas du tout anodin. Mais, malgré tout, le gain en efficacité dans cette population de patientes surpasse de façon écrasante ces effets secondaires. Dr Esma Saada-Bouzid
 

« Ces résultats établissent que les femmes atteintes d'une tumeur du sein métastatique exprimant peu de HER2 sont désormais une population cible pour le trastuzumab-deruxtecan » a indiqué la Dr Shanu Modi (oncologue, Memorial Sloan Kettering Cancer Center, New York, Etats-Unis) lors d'une conférence de presse à Chicago.

Une (r)évolution du « standard of care » 

« Je pense que les résultats de cet essai vont clairement faire évoluer notre façon de faire », a confirmé la Dr Jane Lowe Meisel, spécialiste du cancer du sein et porte-parole de l'ASCO. « Ce que cet essai apporte de nouveau est une extension de l'utilisation de ce médicament à tout un groupe de patientes habituellement difficile à traiter. C'est une nouvelle option fantastique pour ces patientes et fondamentalement cela devrait nous pousser à changer notre regard sur le statut HER2 et comment nous stratifions nos patientes avec un cancer métastatique ».

 
Je pense que les résultats de cet essai vont clairement faire évoluer notre façon de faire. Dr Jane Lowe Meisel
 

Environ 60 % des patientes traditionnellement classées HER négatives pourraient en fait être classées HER2 faible, d'après la Dr Modi. Aujourd'hui, des études sont en cours afin de déterminer le minimum d'expression HER2 nécessaire pour que le traitement trastuzumab-deruxtecan soit efficace.

Aussi, interrogée par Medscape édition française sur une éventuelle utilisation de cet anticorps conjugué à un stade plus précoce dans les cancers du sein exprimant de faibles niveaux d’HER2, la Dr Saada-Bouzid a indiqué que des essais étaient en cours sur cette question.

L'effet probable de l' inhibiteur de la topoisomérase I

Enhertu® est formé de deux composants actifs qui sont liés ensemble : le trastuzumab, un anticorps monoclonal anti-HER2, et le deruxtecan, un inhibiteur de la topoisomérase I. Son efficacité a été démontrée chez les patientes atteintes d'un cancer du sein HER2+ qui ont déjà reçu une thérapie anti-HER2. En revanche, jusque-là, les thérapies ciblées anti-HER2 n'avaient jamais apporté de bénéfice chez les patientes dont la tumeur exprime peu de récepteurs HER2 ( classée 1+ ou 2+ en immunohistochimie).

Interrogée sur le fait que le trastuzumab-deruxtecan a réussi là où les autres anti-HER2 ont échoué, l'oncologue américaine a souligné qu'à la différence de Enhertu, peu de médicaments contre le cancer du sein utilisaient un inhibiteur de la topoisomérase I. Une fois détaché de l'anticorps, celui-ci est toujours capable de traverser les membranes cellulaires et de pénétrer le microenvironnement tumoral. Aussi peut-il ainsi atteindre des cellules qui pourtant n'expriment pas les fameux récepteurs membranaires HER2. « Nous savons que l'expression des récepteurs HER2 est très hétérogène. Je pense que c'est pourquoi nous observons pour la première fois une activité pour une thérapie ciblée dans cette population de patientes », a détaillé Shanu Modi.

L'étude a été financée par Daiichi Sankyo et AstraZeneca. La Dr Shanu Modi a déclaré des liens d'intérêt avec Daiichi Sankyo et AstraZeneca. La Dr Jane Meisel a déclaré des liens d'intérêt avec Medscape et AstraZeneca.

 

L’article a été publié initialement MDedge.com , sous l’intitulé “Enhertu Benefit in HER2-Low Breast Cancer: 'Practice Changing' ».  Traduit/adapté par Marine Cygler.

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