Etats-Unis ― Après avoir publié un document préliminaire l’an passé, le groupe de travail américain spécialisé dans les questions de prévention (USPSTF) a sorti ses recommandations finales sur l'utilisation de l'aspirine pour prévenir les maladies cardiovasculaires [1].
Ce document actualisé déconseille d’initier l'aspirine pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires chez les personnes âgées de 60 ans ou plus.
Pour les personnes âgées de 40 à 59 ans, l'USPSTF suggère que l'aspirine peut être envisagée chez les personnes présentant un risque accru de maladie cardiovasculaire (risque à 10 ans de 10 % ou plus), mais que la décision doit être individualisée.
Il note que dans le groupe d'âge 40-59 ans, les preuves indiquent que le bénéfice net de l'utilisation de l'aspirine est faible, et que les personnes qui ne sont pas à risque accru de saignement sont celles qui sont le plus susceptibles d'en bénéficier.
Il ajoute que ces recommandations ne s'appliquent qu'aux personnes qui n'ont pas d'antécédents de maladie cardiovasculaire et uniquement à celles qui ne prennent pas déjà de l'aspirine quotidiennement.
La déclaration de l'USPSTF a été publiée en ligne dans le Journal of the American Medical Association [1]. Elle est accompagnée d'un examen des données, d'une étude de modélisation, d'une page pour les patients et d'un éditorial [2].
Léger avantage avec l'aspirine mais augmentation du risque de saignement
Le groupe de travail conclut qu'il existe des preuves suffisantes que l'aspirine à faible dose présente un léger avantage pour réduire le risque d'événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde non fatal et accident vasculaire cérébral) chez les adultes de 40 ans ou plus qui n'ont pas d'antécédents de maladie cardiovasculaire mais qui présentent un risque cardiovasculaire accru.
Les données montrent que l'ampleur du bénéfice absolu augmente avec l'accroissement du risque cardiovasculaire à 10 ans et que l'ampleur des bénéfices à vie est plus grande lorsque l'aspirine est initiée à un plus jeune âge.
Mais les recommandations mentionnent aussi qu'il existe également des preuves suffisantes pour montrer que l'utilisation de l'aspirine chez les adultes augmente le risque de saignements gastro-intestinaux, de saignements intracrâniens et d'accidents vasculaires cérébraux hémorragiques. L'USPSTF a déterminé que l'ampleur des risques est faible dans l'ensemble mais qu'elle augmente dans les groupes d'âge plus élevés, en particulier chez les adultes de plus de 60 ans.
Pour les patients qui sont éligibles et qui choisissent de commencer à prendre de l'aspirine, les bénéfices diminuent avec l'âge, et les données suggèrent que les cliniciens et les patients devraient envisager d'arrêter son utilisation vers l'âge de 75 ans, indique le communiqué.
L'USPSTF indique également que les preuves ne sont pas claires quant à savoir si l'utilisation de l'aspirine réduit le risque d'incidence du cancer colorectal ou de mortalité.
Le vice-président de l'USPSTF, le Dr Michael Barry, directeur de l'Informed Medical Decisions Program au Health Decision Sciences Center du Massachusetts General Hospital, à Boston, a déclaré à theheart.org | Medscape Cardiology que ces recommandations ne s'appliquent qu'aux patients qui ne prennent pas déjà de l'aspirine et qui ne présentent aucun signe de maladie cardiovasculaire existante.
« Chez les adultes de 60 ans ou plus, nous ne recommandons pas d’initier l'aspirine en prévention primaire. En effet, dans ce groupe d'âge, le risque d'hémorragie l'emporte sur le bénéfice cardiovasculaire », a-t-il déclaré.
« Pour les adultes âgés de 40 à 59 ans présentant un risque prédictif de maladie cardiovasculaire supérieur à 10 %, il semble y avoir un bénéfice net à prendre de l'aspirine, mais ce bénéfice net est relativement faible et varie en fonction d'autres facteurs tels que l'ampleur du risque cardiovasculaire et hémorragique. Les gens devraient parler à leur médecin de ces facteurs et de la nécessité de prendre de l'aspirine ou non », a-t-il ajouté.
Le Dr Barry a noté que ces recommandations ne s'appliquent pas aux personnes qui prennent déjà de l'aspirine en prévention primaire. « Ces personnes doivent discuter avec leur médecin pour savoir si elles doivent continuer. Elles doivent revoir les raisons pour lesquelles elles ont commencé à prendre de l'aspirine et demander à ce que l’on ré-évalue leur risque de saignements. Une personne qui a pris de l'aspirine à long terme sans complications hémorragiques a un risque plus faible de complications hémorragiques futures », a-t-il déclaré.
Le groupe de travail recommande une dose d'aspirine de 81 mg par jour pour les personnes qui décident de prendre de l'aspirine en prévention primaire.
« Il existe pléthore de preuves que moins de 100 mg par jour est suffisant. Plus la dose est faible, plus le risque de saignement est faible. Ainsi, la dose la plus pratique est le comprimé d'aspirine pour bébé dosé à 81 mg, largement disponible », a noté le Dr M. Barry. « Bien que les produits gastro-résistants soient censés réduire l'irritation gastrique, les données ne montrent pas de différence dans le risque de saignements entre les diverses formulations d'aspirine », a-t-il ajouté.
Le Dr Barry a souligné que l'aspirine n'est qu'un outil parmi d'autres pour réduire le risque cardiovasculaire.
« Les gens peuvent réduire leur risque de manière significative par de nombreux autres moyens, notamment en faisant régulièrement de l'exercice, en suivant un régime alimentaire sain, en contrôlant leur pression artérielle et leur diabète, et en prenant des statines s'ils présentent un risque cardiovasculaire accru. »
Il a noté que des essais récents ont suggéré que l'aspirine n'a qu'une valeur marginale par rapport à tous ces autres facteurs. Et la réduction du risque avec l'aspirine est plus faible qu'avec certaines autres interventions.
« Par exemple, l'aspirine est associée à une réduction de 12 % des infarctus du myocarde, alors que les statines sont associées à une réduction de 25 à 30 %. Les statines sont un outil plus puissant pour réduire le risque cardiovasculaire que l'aspirine, donc les gens devraient peut-être envisager de prendre des statines en premier. Le bénéfice de l'aspirine peut être plus faible chez les personnes prenant déjà une statine, et les cliniciens doivent tenir compte de l'ensemble du tableau clinique », a déclaré le Dr Barry.
Il a expliqué que les médecins doivent évaluer le risque cardiovasculaire et hémorragique de chaque patient. « Bien qu’il y ait des outils largement disponibles pour estimer le risque cardiovasculaire, il n'existe pas encore d'outils faciles à utiliser pour évaluer le risque hémorragique, les médecins doivent donc tenir compte de facteurs cliniques tels que les antécédents d'ulcères gastro-duodénaux. »
Pour les nombreuses personnes qui ont un risque hémorragique moyen, alors la préférence personnelle peut entrer en jeu, suggère-t-il. « Dans la tranche d'âge 40-59 ans, les avantages et les inconvénients de l'aspirine sont assez bien équilibrés. Pour la personne qui se situe dans la moyenne, nous pensons qu'il peut y avoir un petit bénéfice net, mais il est suffisamment faible pour que la préférence personnelle soit également prise en compte. »
Pas d'aspirine préventive de routine pour quiconque
Dans un éditorial accompagnant la publication de la déclaration du groupe de travail dans le JAMA [2], le Dr Allan S. Brett, professeur de médecine interne à la faculté de médecine de l'Université du Colorado, à Aurora, rappelle que les recommandations de l'USPSTF sur l'utilisation de l'aspirine pour la prévention primaire des maladies cardiovasculaires ont changé de nombreuses fois au cours des 30 dernières années, la dernière mise à jour en 2016 ayant réduit la population éligible.
Dans la nouvelle mise à jour des recommandations, « la balance penche moins vers la prophylaxie en prévention primaire : le consensus ne recommande pas l'aspirine préventive de routine pour quiconque », note le Dr Brett.
Il souligne qu'entre la version 2016 et la version actuelle, il y a eu la publication en 2018 de trois grands essais cliniques randomisés contrôlés par placebo sur la prévention primaire avec l'aspirine – ARRIVE, ASPREE et ASCEND – qui, pris ensemble, « ont jeté le doute sur le bénéfice net de la prophylaxie à l'aspirine dans la pratique actuelle. »
Interrogé sur la façon dont les médecins devraient s'y prendre pour "individualiser" la décision d’utiliser l'aspirine dans le groupe d'âge 40-59 ans à risque cardiovasculaire accru, le Dr Brett suggère que certains patients adopteront plutôt une philosophie du type « ne me prescrivez pas de médicaments à moins qu'il n'y ait des preuves solides pour le soutenir », tandis que d'autres préféreront favoriser des interventions préventives même dans en l’absence de preuves déterminantes.
Mais il note néanmoins que de nombreux patients n'ont pas de préférences générales fortes et demandent souvent au médecin de confiance de décider pour eux. « Pour ces patients, la meilleure approche consiste à ce que les praticiens connaissent les données sur la prévention primaire par l'aspirine. Une lecture attentive de la nouvelle directive de l'USPSTF et de l'Evidence Review qui l'accompagne, ainsi qu’une familiarisation avec les trois essais les plus récents sur l'aspirine, constituent un bon moyen de se préparer pour dialoguer avec le patient », conclut-il.
L'avis d'un cardiologue
Invité à commenter le document de l'USPSTF pour theheart.org | Medscape Cardiology, le Dr Andrew Freeman, cardiologue au National Jewish Health, Denver, Colorado, a noté que les sociétés de cardiologie font déjà des recommandations similaires sur l'utilisation de l'aspirine en prévention primaire. « Les directives de prévention de l'American College of Cardiology donnent des conseils similaires depuis quelques années maintenant. Il faut quelques années pour que les sociétés professionnelles s’alignent sur le même discours », a-t-il déclaré.
« Ces dernières années, il est devenu évident que le bénéfice de l'aspirine n'est pas vraiment évident tant que le patient n'a pas fait d'événement cardiovasculaire. En prévention primaire, l'aspirine ne devient bénéfique que si le risque d'événement est assez élevé », a noté le Dr Freeman.
« En général, la plupart des cardiologues disent maintenant aux gens, qu’en dépit de ce qui leur a peut-être été dit dans le passé, ils n'ont pas besoin de prendre de l'aspirine à moins d'avoir eu un événement cardiovasculaire », a-t-il ajouté. « Notre compréhension a évolué au fil des ans et le poids des preuves montre désormais clairement que le risque de saignements n'est pas négligeable. »
Le Dr Freeman approuve, par ailleurs, la proposition de prise de décision partagée préconisée pour les patients de la tranche d'âge 40-59 ans. « Si un patient est particulièrement préoccupé par des antécédents familiaux de maladie cardiaque, prendre de l'aspirine peut avoir un certain sens, mais pour la plupart des personnes qui n'ont pas eu d'événement cardiovasculaire, le bénéfice net est très faible et diminue avec l'âge à mesure que le risque de saignement augmente », a-t-il déclaré.
L'USPSTF est un organisme indépendant et bénévole. Le Congrès américain a mandaté l'Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ) pour soutenir les activités de l'USPSTF.
L’article a été publié initialement sous le titre USPSTF Final Recommendation on Aspirin for Primary CV Prevention. Traduit par Stéphanie Lavaud.
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Citer cet article: Prévention primaire des MCV par l’aspirine : les recommandations définitives de l’USPSTF - Medscape - 30 mai 2022.
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