Paris, France — Selon un bilan de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), seuls 20% des patients qui participent à l’expérimentation sur l’usage du cannabis médical actuellement menée en France ont un médecin généraliste pour assurer leur suivi et le renouvellement des prescriptions [1]. Les réserves émises par les académies de médecine et de pharmacie sont parfois évoquées pour justifier certaines réticences.
« On travaille actuellement sur les moyens d’augmenter la participation des médecins généralistes, en rappelant que cette expérimentation a été mise en place à la demande de nombreux professionnels de santé et dans l’intérêt des patients », a précisé auprès de Medscape édition fran çaise Nathalie Richard, directrice de l’expérimentation du cannabis médical à l’ANSM.
L’objectif est également d’adapter le circuit de prescription et de délivrance du cannabis médical en vue d’une éventuelle généralisation de son usage en fin d’expérimentation.
Près de 1 600 patients inclus en un an
Lancée en mars 2021 pour une durée de deux ans, l’expérimentation du cannabis médical a été mise en place suite aux travaux du comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) de l’ANSM qui, en se basant sur une analyse de la littérature, mais aussi sur les expériences menées à l’étranger, ainsi que sur les auditions des associations de patients et de sociétés savantes, a considéré l’usage du cannabis à visée médicales comme pertinent dans certaines situations cliniques.
Pour ce test en situation réelle, qui prévoit d’inclure un maximum de 3 000 patients sur deux ans, le cannabis médical peut être prescrit en cas d’impasse thérapeutique pour traiter :
les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies disponibles ;
certaines formes d'épilepsie pharmaco-résistantes ;
certains symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou au traitement anticancéreux ;
les situations palliatives ;
la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou autres pathologies du système nerveux central.
Objectif principal de l’expérimentation: « évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis médical » avant une éventuelle généralisation, précise l’ANSM. L’expérimentation vise également à « recueillir les premières données françaises sur l’efficacité de l’utilisation du cannabis dans un cadre médical », selon les indications, l’âge et le sexe des patients, ainsi que les doses de cannabidiol (CBD) et de delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) prescrites.
Plus d’un an après le lancement de l’expérimentation, près de 1 600 patients ont été inclus, en passant par l’un des 287 centres de référence prenant en charge les indications retenues pour l’usage du cannabis médical. La moitié d’entre eux sont traités pour des douleurs neuropathiques, avec des doses variables de CBD et de THC.
Tous les patients ont un traitement personnalisé, avec un ajustement progressif des doses de CBD et de THC administrées, selon l’effet attendu et la tolérance envers les produits prescrits.
Un circuit sécurisé
Le cannabis utilisé pour l’expérimentation se présente sous forme d’huile ou de fleurs séchées avec des teneurs variables en CBD et en THC. Ces produits sont classés comme stupéfiants. En conséquence, le circuit de de prescription et de délivrance est sécurisé: le cannabis est stocké en pharmacie dans des coffres fermés à clé et la prescription se fait avec des ordonnances sécurisées.
Le cannabis médical sous forme de sommités fleuries ne peut être prescrit qu’à des patients déjà inclus dans l’expérimentation et ayant commencé un traitement de fond avec de l’huile. Les fleurs séchées sont délivrées obligatoirement avec un vaporisateur, la vaporisation étant le mode d’administration de cette forme de cannabis thérapeutique. L’inhalation par combustion est strictement proscrite.
Pour cette expérimentation, le cannabis médical est importé de l’étranger, dans des pays où il est autorisé. L’ANSM se penche actuellement sur les caractéristiques des futurs médicaments à base de cannabis dans le cadre de la création d’une filière de production française, le Conseil d’Etat ayant autorisé sa production en France par décret en février dernier.
La méthodologie employée est toutefois vivement critiquée par les académies de médecine et de pharmacie. « L’expérimentation en cours visant à justifier l’usage thérapeutique du cannabis déroge aux exigences méthodologiques, sécuritaires et éthiques qui régissent l’évaluation de tout candidat médicament », ont souligné les deux académies dans un récent communiqué. Elles reprochent notamment l’absence d’essais cliniques et le manque de données sur l’efficacité du cannabis médical.
Des risques avec les autres cannabinoïdes?
« Le niveau de preuve rapporté dans la littérature a été jugé suffisant pour mettre en place l’expérimentation et ainsi utiliser le cannabis à visée thérapeutique en conditions réelles », rappelle Nathalie Richard, auprès de Medscape édition française.
« Les contours de cette expérimentation ont été définis en conseil d’Etat. Elle ne vise pas à mesurer l’efficacité ou le rapport bénéfice/risque du cannabis médical comme le ferait un essai clinique. L’utilisation du cannabis médical dans de nombreux pays, parfois depuis plus de 20 ans, a été aussi un argument pour mettre en place cette expérimentation ».
Au cours d’une audition organisée par l’ANSM portant sur la future filière de production de cannabis à usage médical en France, des représentant des deux académies ont exprimé à nouveau des réserves sur l’expérimentation, en évoquant « les dangers liés à l’usage de cannabis », « ses effets addictifs » et les différents cannabinoïdes que contient la plante, « dont les effets sont difficiles à évaluer » [2].
Les représentants de l’Académie de médecine ont d’ailleurs appelé à définir des méthodes précises pour le contrôle de la teneur en THC par les autorités de santé, mais aussi de l’ensemble des principes actifs présents dans la plante, en particulier des cannabinoïdes autres que le THC et le CBD.
L’expérimentation prévoit, en plus d’une pharmacovigilance et d’une addictovigilance habituelles, un suivi pour tous les patients inclus grâce à un registre de suivi spécifique, rappelle Nathalie Richard. Lors de chaque consultation, le médecin doit rapporter dans le registre les informations sur le patient et les éventuels effets indésirables. Il en est de même lors de la délivrance du cannabis par les pharmaciens.
« Tous les patients traités par cannabis médical sont suivis grâce à ce registre. C’est assez exceptionnel, en comparaison avec d’autres pays qui ont autorisé ce traitement. Les effets indésirables sont signalés et, jusqu’à présent, le cannabis médical présente un profil de sécurité attendu, sans signal d’alerte ».
Formation en ligne obligatoire
Il n’empêche, des réticences s’expriment de la part notamment des médecins généralistes, comme a pu le constater la responsable du projet, lors de congrès de médecine générale où elle est intervenue pour présenter l’expérimentation et inciter les praticiens à y participer. Des médecins font notamment référence à la position de l’Académie de médecine sur le manque de données scientifiques concernant le cannabis médical.
La durée de la formation en ligne que doivent suivre les médecins généralistes avant de prescrire le cannabis médical est également évoquée pour justifier la faible adhésion des praticiens. « Certains médecins estiment que la formation et le suivi sont très chronophages, surtout lorsque l’expérimentation concerne seulement un seul de leurs patients », souligne Nathalie Richard.
D’une durée de 2h30, la formation élaborée par l’ANSM a été adaptée en conséquence. Une fois désigné par le patient après une première consultation dans un centre spécialisé, le médecin généraliste qui souhaite prendre le relai peut désormais se restreindre aux chapitres concernant la prescription par indication et la délivrance des produits. La validation de la formation permet l’accès au registre de suivi des patients.
D’autres praticiens se montrent également réticents à prendre le relai d’une prescription hospitalière qu’ils pensent ne pas pouvoir modifier, a indiqué la responsable. Or, « les médecins généralistes peuvent tout à fait changer le traitement initié par un confrère hospitalier », en adaptant notamment les doses de THC et de CBD administrées, conformément aux enseignements de la formation.
Alléger la charge des centres spécialisés
La participation des médecins généralistes apparait essentielle dans la perspective d’une généralisation de l’usage du cannabis médical, notamment pour alléger la charge des centres spécialisés. « Certains centres hospitaliers indiquent qu'ils ne peuvent plus prendre de nouveaux patients en raison de l'absence de relai par les médecins généralistes », rapporte l’ANSM, dans l’un de ses derniers compte-rendus.
Sans le relai de leur médecin, certains patients qui résident loin des hôpitaux se retrouvent également dans des situations contraignantes, d’autant plus que la conduite automobile est interdite pour ceux qui y participent. Or, le suivi implique de se rendre chaque mois en consultation.
La proximité et le lien entre le patient et son médecin traitant sont ainsi avancés par l’ANSM comme argument en faveur du relai que peuvent assurer les médecins généralistes pour améliorer la prise en charge des patients participant à l’expérimentation.
Pour trouver des moyens de renforcer la participation des médecins généralistes, l’agence du médicament a initié des échanges avec les associations et les syndicats de médecins. « Si les médecins généralistes ne souhaitent pas s’impliquer davantage, la situation pourrait s’avérer problématique pour les patients que le cannabis médical pourrait soulager, en particulier en cas d’impasse thérapeutique », a souligné Nathalie Richard.
En septembre prochain, un rapport sera remis au Parlement, six mois avant la fin de l’expérimentation. Il doit évoquer les suites à apporter à cette première mise à disposition du cannabis médical en France.
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Citer cet article: Expérimentation du cannabis médical : l’ANSM peine à convaincre les médecins généralistes - Medscape - 30 mai 2022.
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