Intoxication à la chimiothérapie 5-fluorouracile : une association de victimes porte plainte

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

24 mai 2022

France – L'Association de victimes du 5-FU a décidé de porter plainte contre l'ANSM[1]. Elle reproche à l’agence sanitaire de ne pas avoir réagi pendant des années alors que des dizaines de patients atteints de cancer décédaient chaque année d’une intoxication à la chimiothérapie 5-fluorouracile. Des morts qui auraient peut-être pues être évitées par la réalisation d’un test biologique montrant la difficulté des victimes à dégrader le 5-FU.

Précisément, l'association attaque l'ANSM « pour le délit d'abstention de prendre des mesures pour combattre un sinistre en application de l'article 223-7 du Code pénal ». « La finalité poursuivie par cette association est de briser le silence qui perdure depuis plus de 20 ans face à ce nouveau scandale sanitaire », indique le communiqué du cabinet Barok Avocats représentant les victimes, fondé par Maître Fabrice Di Vizio.

Un délai de réaction trop long

Le cabinet rappelle qu’en France dès 1999, trois professionnels de santé – Michèle Boisdron-Celle, pharmacienne biologiste, Erick Gamelin, cancérologue et Alain Morel, spécialiste en biologie moléculaire – avait alerté les autorités de santé de la toxicité de ce médicament en présence d'un patient souffrant d'un déficit en DPD.

En 2002, des chercheurs de l'Institut de Cancérologie de l'Ouest (ICO) Paul Papin à Angers procédaient déjà à un double test phénotypage et génotypage en amont afin d'évaluer le taux d'incidence en DPD dans le corps humain des patients et ainsi leur administrer la dose adéquate de 5-FU, précisent les juristes.

« Malgré ces multiples alertes, l'Agence Nationale de Sécurité et du Médicament ne s'est enquis de ce problème que depuis 2014, de façon très timide, pour imposer en 2018 – soit 20 ans plus tard – un test préalable avant d'administrer ce médicament. C'est à cause de considérations financières – un test onéreux, pouvant coûter entre 40 euros à 200 euros – que l'ANSM a été inerte face à ce danger », accuse le cabinet d’avocats.

Notons que depuis septembre 2021, l’ANSM impose que les logiciels certifiés d’aide à la prescription ou à la dispensation intègrent un message d’alerte rappelant aux médecins et aux pharmaciens que la recherche d’un éventuel déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) est obligatoire pour permettre l’initiation d’un traitement par fluoropyrimidines (5-FU et capécitabine).

Un test qui reste sous utilisé

Ce n’est pas la première fois que des proches de victimes portent plainte. En février 2019,  quatre familles de patients décédés alors qu’ils avaient débuté une chimiothérapie par 5-fluorouracile (5-FU) avaient porté plainte contre X [2].

La revendication reste la même, selon les proches des victimes, les décès auraient probablement pu être évités si un test avait été réalisé.

Ce test, est réalisé en routine par certains, à l'instar du CHU de la Timone à Marseille qui teste systématiquement les patients atteints d'un cancer avant de leur administrer une dose de 5-FU ou de la prodrogue qu'est la capécitabine depuis 2009, mais « la plupart des établissements hospitaliers administrent une dose standard de fluoropyrimidines sans procéder à ce test », indique le cabinet d’avocats.

Le cœur du problème

Chaque année, en France, autour de 100 000 personnes sont traitées par le 5-FU et sa principale prodrogue orale, la capécitabine. Ces molécules, de la famille des fluoropyrimidines, sont prescrites principalement pour des cancers du sein, des cancers digestifs ou ORL. Ces traitements sauvent la vie de nombreux patients mais induisent aussi des toxicités sévères et des toxicités létales chez respectivement 10 à 40 % et 0,2 à 0,8 % des patients.

Certains individus présentent, notamment, un déficit enzymatique en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD), une enzyme qui dégrade le 5-FU. On estime que les déficits complets touchent 0,1–0,5 % des patients traités, et les déficits partiels 3–10 % d’entre eux. Chez ces patients, une dose standard de fluoropyrimidine induit une surexposition en 5-FU pouvant entraîner des toxicités graves, notamment hématologiques et digestives, voire engager le pronostic vital.

La recherche d’un déficit en DPD avant initiation des fluoropyrimidines est possible, alors pourquoi alors n’a-t-elle pas été systématiquement proposée aux patients ?

Plusieurs pistes d’explications 

La fiabilité des tests est-elle en question ?

Dans un blog posté sur notre site en 2019, le Dr Manuel Rodrigues (oncologue médical à l’Institut Curie) expliquait : « tous les centres ne sont pas d’accord sur cette démarche parce qu’on peut argumenter que ce test peut avoir des faux positifs et, donc, faire penser qu’un patient a un risque de toxicité à une fluoropyrimidine, baisser la dose en conséquence et diminuer l’efficacité de la chimio à tort, ce qui diminue les chances pour les patients. »

Avant d’ajouter préconiser, pour sa part, ce dépistage systématique : « Puisqu’on a une médecine personnalisée qui est basée sur la sensibilité aux drogues des tumeurs, il faut que l’on avance logiquement vers une médecine personnalisée qui s’appuie sur le contexte génétique constitutionnel du patient, ce qui permettra de prédire si le patient est à risque ou non de telle ou telle toxicité ».

Du côté des autorités sanitaires, et notamment de l'ANSM, les questionnements autour des méthodes de dépistages se sont aussi longtemps posés. 

Dans un point d’information émis le 28 février 2018[3], l’agence soulignait qu’il existait différentes modalités de dépistage des déficits en DPD avant l’initiation d’un traitement par 5-FU (génotypage/phénotypage) mais qu’il n’existait « pas de consensus européen » sur celles à utiliser, ajoutant même que « la performance de ces tests à diminuer le risque de toxicité précoces aux fluoropyrimidines chez les patients présentant un déficit en DPD restait à confirmer. »

Au final, les premières recommandations en faveur d’un dépistage systématique préconisant une méthode précise ont vu le jour au printemps 2018.

Il s’agissait de celles du Groupe de Pharmacologie Clinique Oncologique (GPCO)-UNICANCER et du Réseau National de Pharmacogénétique hospitalière (RNPGx), publiées dans le Bulletin du Cancer [3], qui recommandent :

-de rechercher un déficit en DPD avant la mise en route de tout traitement à base de 5-FU ou capécitabine ;

-de réaliser ce dépistage par phénotypage en dosant en première intention l’uracile plasmatique (U) (éventuellement complété par le rapport dihydrouracil/U) et en y associant le génotypage des variants *2A, *13, p.D949V et HapB3 ;

-de réduire si nécessaire la posologie en fonction du statut DPD dès la première cure et d’envisager une augmentation de dose aux cures suivantes en fonction de la tolérance.

Quelques mois plus tard, en décembre 2018, l’Institut national du cancer (INCa) et la Haute Autorité de Santé (HAS) ont publié des recommandations officielles préconisant aussi la recherche systématique du déficit par la réalisation de la mesure de l’uracilémie plutôt que par les tests de génotypage « en raison des incertitudes persistant sur leur fiabilité »[4]. En parallèle, la HAS s’est prononcée en faveur de l’inscription au remboursement de la mesure de l’uracilémie.

La HAS et L’INCa préconisent un délai d’obtention des résultats ne dépassant pas 10 jours pour éviter les pertes de chance liées à la mise en route retardée du traitement.

En cas d’uracilémie supérieure ou égale à 150 ng/ml (évocatrice d’un déficit complet en DPD), le traitement par fluoropyrimidines est contre-indiqué, compte tenu du risque de toxicité très sévère. En cas d’absence d’alternative thérapeutique, le recours aux fluoropyrimidines ne peut être envisagé qu’à dose extrêmement réduite et sous surveillance très étroite. Dans ce cas, un suivi thérapeutique pharmacologique (dosage sanguin du médicament) est fortement recommandé ;

En cas d’uracilémie comprise entre 16 ng/ml et 150 ng/ml (évocatrice d’un déficit partiel en DPD), et sur la base d’un dialogue entre le laboratoire et l’équipe médicale, la posologie initiale des fluoropyrimidines doit être adaptée en tenant compte du niveau d’uracilémie mesuré, en plus des autres facteurs de risque de toxicité déjà pris en compte (protocole de traitement, âge, état général du patient…). Un réajustement thérapeutique doit être envisagé dès le deuxième cycle de chimiothérapie en fonction de la tolérance au traitement et/ou du suivi thérapeutique pharmacologique s’il est disponible.

A noter que depuis 2019, la dispensation en pharmacie hospitalière ou de ville, et l’administration du 5-FU ou de la capécitabine sont subordonnées aux trois conditions suivantes : 1/ la recherche d’un déficit en DPD, « au travers d’un dosage du taux d’uracile présent dans le sang des patients », 2/ la présence de la mention « Résultats uracilémie pris en compte » sur la prescription et 3/ au fait que le pharmacien s’est assuré de la présence de cette mention avant la dispensation.

L’EMA a recommandé le dépistage systématique du déficit en DPD en juillet 2020, soit pratiquement deux ans après la France.

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