Paris, France – A l'occasion du 17ème congrès francophone d'allergologie (CFA), le Pr Pascal Demoly (CHU Montpellier) est revenu sur les cas d’anaphylaxie aux vaccins anti-Covid ARN recensés depuis fin 2020 et sur la manière dont, en pratique, les allergologues ont pris en charge les patients susceptibles de développer une réaction d’hypersensibilité immédiate[1].
Vaccins anti-Covid ARN : évolution des recommandations
Depuis les premiers cas d’hypersensibilité immédiate aux vaccins ARN, l’appréciation du problème et les solutions proposées ont fortement évolué.
Pour rappel, le jour même du démarrage de la campagne de vaccination par le vaccin à ARN Comirnaty en Angleterre, le 8 décembre 2020, deux professionnelles de santé ont développé un choc anaphylactique traité par adrénaline qui a été mis sur le compte du polyéthylène glycol présent dans le vaccin. Les patientes n’ont pas eu de séquelles.
Le NHS s’est rapproché immédiatement de la société savante d’allergologie du Royaume-Uni qui a préconisé d’exclure tous les allergiques des campagnes de vaccination. « Ce qui représente tout de même un tiers de la population générale ! », précise le pneumologue-allergologue qui ajoute que « les CDC américains ont fait des recommandations initiales allant dans le même sens, de même que la Haute Autorité de Santé, tout comme d’autres agences de santé européennes ».
La fédération française d’allergologie a, en revanche, émis, dès 11 décembre 2020, de premières recommandations pour les non-allergologues à contre-courant de la pensée dominante.
« Les allergologues français ont appelé à la raison en expliquant que l’allergie au PEG n’était pas prouvée et que les cas étaient mal documentés. Un deuxième texte est paru en janvier 2021 à l’intention des allergologues où nous recommandions de réaliser des tests allergologiques chez les patients possiblement allergiques, de vacciner immédiatement lorsque les tests étaient négatifs et lorsque les tests étaient positifs de reproposer la vaccination contre le Covid en fractionnant les doses », explique l’orateur.
Le premier rapport de cas d’anaphylaxies post-vaccination Covid a été publié en janvier 2021 par les Centers for Disease Control (CDC) montrant qu’entre le 14 et le 23 décembre 2020, 21 cas ont été notifiés au Vaccine Adverse Event Reporting System (VAERS) après administration du vaccin Comirnaty sur 1 893 360 doses injectées (11,1 cas/million de doses). 17 des victimes avaient des antécédents d’allergies (7 anaphylaxies). Dix-neuf ont reçu de l’adrénaline. Les cas sont survenus entre 2 minutes et 150 minutes après l’injection (13-15 minutes en moyenne). Aucune séquelle n’a été constatée.
Suite à ces premières observations, les CDC sont revenus sur leurs recommandations en proposant de ne pas exclure les patients allergiques, d’explorer et d’équiper les centres de vaccination d’adrénaline (ce qui est déjà une obligation des centres), et de surveiller 15-30 minutes.
Exemples de réactions d’hypersensibilité immédiate
« L’anaphylaxie aux vaccins touche 1 à 20 personnes pour un million, selon les vaccins. Les explorations allergologiques permettent très souvent à l’industrie de changer la composition du vaccin si l’agent est identifié », a indiqué le Pr Demoly qui a donné quelques exemples :
DT polio 3,6/million : réaction à l’agent infectieux anatoxine tétanique
Grippe 0,8/ million : réaction à un contaminant, l’ovalbumine
ROR 1,8/million : réaction à un excipient : la gélatine porcine qui a été retirée au fur et à mesure par tous les fabricants. L’œuf a été innocenté.
Vaccinations anti-Covid : les polyéthylènes glycols suspectés
Dans les cas rapportés avec les vaccins ARN, le suspect identifié a très vite été le polyéthylène glycol. « Dans nos pratiques, on a tous vu des patients allergiques au PEG. Dans notre consultation à Montpellier, nous avons eu 5 ou 6 cas en 20 ans, indique le Pr Demoly, principalement au laxatif Colopeg ou au corticoïde injectable Dépo-medrol ».
Les composants des vaccins ARN :
Substance active : ARNm
Pas d’adjuvant.
Pas de contaminant
Des excipients : lipides qui sont des nanoparticules (PEG…), trométanol (seulement dans le Moderna) et autres électrolytes non connus pour donner des allergies
Les polymères d’oxyde d’éthylène (PEG) sont très présents dans notre environnement. Dans l’industrie textile, du papier, du cuir, dans l’alimentation, certains cosmétiques et dans 25-30 % de la pharmacopée. Il s’agit de stabilisateurs, qui servent à allonger la demi-vie des produits, faciliter la pénétration cutanée, augmenter la solvabilité dans l’eau et comme principe actif dans les laxatifs osmotiques. Leurs poids moléculaires varient de 200 à 35 000 daltons. Il existe des dérivés des PEG, notamment les polysorbates qui peuvent aussi induire des réactions allergiques. Des réactions croisées ont été rapportées entre les polysorbates et les PEG.
« Ce que nous savons, c’est que les PEG de petits poids moléculaires ne sont pas très allergisants, et que les très gros PM ne sont pas absorbés car ils ne passent pas la barrière muqueuse. Ceux qui posent problème font entre 1500 et 4000 daltons, comme ceux utilisés dans les vaccins ARN », a précisé l’allergologue qui ajoute que « la voie d’administration est fondamentale. On a des gens qui font des réactions quand le produit est injecté mais qui n’en font pas quand ils l’avalent. On sait aussi qu’il y a les seuils peuvent varier d’une personne à l’autre. On peut observer une réaction anaphylactique à l’occasion de tests cutanés. C’est extrêmement rare, mais cela peut être très grave.»
A noter : les personnes allergiques au trométanol, excipient présent dans le vaccin Moderna, ne doivent pas recevoir ce vaccin mais peuvent recevoir le Comirnaty.
Si la personne est allergique au PEG, peut-on injecter un vaccin ARN ?
A cette question l’expert a répondu par l’affirmative. « Il existe une série de 10 patients, avec antécédents d’anaphylaxie, dont l’allergie au PEG a été démontrée et qui ont reçu le vaccin ARN. Ils n’ont pas présenté de réaction », indique l’orateur.
Il a rappelé que les explorations en cas d’allergie suspectée à un vaccin sont standardisées :
reprise de l’histoire clinique,
tryptasémie avant 2 heures pour le diagnostic d’anaphylaxie par dégranulation mastocytaire (IgE médiée),
test des désinfectants (la chlorexhidine est un agent majeur d’anaphylaxie),
test du latex si la vaccination a été réalisée avec des gants,
prick tests (tests cutanés) aux vaccins et à ses composants,
les IDR sont inutiles dans la plupart des cas.
« On sait vacciner en fractionné quand on a une suspicion d’allergie et on sait désensibiliser les gens dont les tests sont positifs », a souligné le Pr Demoly.
Il a aussi tenu à rappeler que vacciner était un facteur d’exacerbation des maladies atopiques sous-jacentes : « Nous n’allons pas vacciner un asthmatique qui n’est pas contrôlé, ni une dermatite atopique qui est en poussée ou une urticaire chronique spontanée. On va attendre une semaine ou deux, le temps de contrôler la maladie ».
En ce qui concerne spécifiquement la vaccination avec l’un des deux vaccins ARNm contre le Covid, le Pr Demoly a indiqué qu’avant de commencer le bilan allergologique, il était possible de poser trois questions simples aux patients pour savoir s’ils tolèrent des médicaments qui contiennent des PEG. Ont-ils utilisé des laxatifs ? Eu une coloscopie ? Ont-ils déjà fait des infiltrations à base corticoïdes ? S’ils ont toléré ces produits, on sait qu’ils tolèrent les PEG de poids moléculaires similaire à celui du vaccin.
Ensuite, il est possible de réaliser un prick test au Colopeg 3500 DA et une IDR au dépo-medrol 4000 DA. En cas de résultats négatifs, il est possible de vacciner.
Si le résultat est positif, un prick test au vaccin peut être réalisé. Mais il est délicat de fractionner un vaccin qui a un si petit en volume et qui est relativement fragile (nanoparticules).
« Si le prick test au vaccin est positif, la plupart des collègues ont vacciné en fractionné et tout s’est bien passé. » On a toutefois le cas d’une jeune fille belge qui a fait un arrêt cardiorespiratoire pendant la vaccination, montrant qu’ « il peut y avoir des cas mais on est dans l’exception », conclut le Pr Démoly.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Réactions anaphylactiques et vaccination anti-COVID : ce que l’on a appris - Medscape - 19 mai 2022.
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