POINT DE VUE

Vaccin anti-COVID à base de plantes : pour quels patients ?

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

18 mai 2022

Le premier vaccin anti-COVID produit à base de plantes a été approuvé le 24 février dernier au Canada chez les adultes de 18 à 64 ans. Covirenz®, fabriqué par la compagnie Medicago [NCT04636697], est administrable en 2 doses intramusculaires, à J0 et J21.

L’originalité de ce nouveau vaccin est d’utiliser des particules de spicule recombinantes produites à partir de plantes cousines du tabac (Nicotiana benthamiana). Il est recommandé au Québec « pour les personnes ayant une contre-indication à l’administration d’un vaccin à ARNm ou des craintes par rapport à ce type de vaccin », car il démontre une efficacité plus faible que celles des vaccins à ARN (71% versus 94,1 % pour celui Moderna et 95 % de Pfizer), selon Santé Canada. Les résultats des essais cliniques de phase 3 menés chez près de 3000 individus viennent d’être publiés en mai dans le NEJM , et concluent à une efficacité allant de 69,5 % contre l'infection symptomatique à 78,8 % contre la maladie modérée à sévère.[1]

Fin mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait que la demande d’approbation du vaccin de Medicago était suspendue en raison des liens de l’entreprise avec l’industrie du tabac. [2] La société Medicago, basée au Québec, n’est en effet pas de propriété canadienne, elle appartient à 79% au groupe japonais Mitsubishi Tanabe, et à 21 % au géant de l’industrie du tabac Philip Morris. La décision de l’OMS de suspendre le processus d’approbation de Covirenz ne serait donc pas en lien avec l’efficacité et la sécurité du vaccin. « L’OMS et l’ONU ont une politique très stricte concernant l’engagement avec les industries du tabac et de l’armement », a déclaré la Dr Mariângela Simão, directrice générale adjointe de l’OMS.

Dr Benjamin Davido

Au-delà des aspects éthiques ou de lobbying, ce vaccin anti-covid à base de plantes constitue une première et pourrait ouvrir la voie à d’autres alternatives vaccinales. Nous avons interrogé le Dr Benjamin Davido (hôpital Raymond-Poincaré, AP-HP, Garches) qui souligne cette avancée médicale et s’interroge sur le silence médiatique et la position de l’OMS.

Medscape édition française : Il s’agit du premier vaccin anti-covid à base de plantes. Qu’en pensez-vous ?

Benjamin Davido — Cela fait près de 20 ans que des chercheurs travaillent sur des vaccins à base de plantes ― notamment contre la grippe ― que ce soit à partir de feuilles de maïs, de tabac, de coton ou de pommes de terre. Je trouve l’idée très séduisante. Ici, le principe est la mise en culture et la synthèse par des arbustes d’équivalents de protéines de type VLP (viral-like proteins) qui sont des sortes de leurres ou de copies des protéines cibles, en l’occurrence de la protéine Spike du SARS-CoV-2. Ce qui est surprenant, c’est qu’alors que cette technique de VLP existe depuis longtemps, nous n'avions pas eu encore de vaccin à base de plantes à ce jour, et que tout d’un coup on y arrive ! Ce n’est peut-être pas la même sensibilité de la réponse vaccinale plus facile à mettre en oeuvre. En effet, La cible du vaccin (la protéine Spike), est bien connue désormais, elle est très immunogène et peut-être que les cibles jusqu’alors des vaccins dits « conventionnels » sur la grippe ne sont pas de bons candidats pour ce type de vaccination. En tout cas, personne n’en parle…

Je suis également étonné, positivement, que cela ait fait l’objet d’une publication dans le New England Journal of Medicine.[1]

Aussi, c’est l’un des rares travaux sur les vaccins qui s’intéresse à l’effet des variants sur l’efficacité vaccinale. À ma connaissance il n’y avait rien depuis plusieurs mois sur le sujet, donc c’est un article original. On voit que le vaccin a été testé en fonction de la souche originale, Alpha, Bêta, Gamma, Delta, Lambda... Je n’ai pas bien compris pourquoi ils avaient séparé Mu d’Omicron (parce que pour moi c’est la même chose). Le point discutable est qu’à l’époque de l’étude, ils n’ont évidemmentpas de variant Omicron et très peu de souches Mu. A contrario, il y a beaucoup de variants Delta et, encore une fois, il y a très peu de vaccins qui ont testé Delta avec une telle exhaustivité.

Quels sont les limites de ce vaccin selon vous ?

Benjamin Davido — Il est certain qu’il y a des points négatifs. D’abord l’efficacité globale de 70%, si on la compare aux autres vaccins, est pour moi décevante. De mémoire, Novavax, autre alternative à l’ARNm, a une efficacité globale d’environ 90%. Donc on est vraiment en deçà. De plus, il n’a pas d’indication chez les personnes de plus de 65 ans car il y a un manque de puissance de l’étude, avec un intervalle de confiance très large [-3300 à 97], ce qui est quand même très ennuyeux pour un vaccin, d’autant qu’on sait qu’aujourd’hui les vaccins, et notamment les rappels, sont indiqués chez les personnes ayant des comorbidités et donc âgées. On peut critiquer le fait qu’il n’y a pas de bras étudiant l’utilisation de ce vaccin à titre de rappel, mais c’est le cas de beaucoup d’autres vaccins, donc c’est une critique tout à fait discutable.

Comment se positionne-t-il par rapport aux autres vaccins anti-covid non-ARN ?

Benjamin Davido — Covirenz a une efficacité de 78 % contre les formes sévères, Novavax 100 %. On peut discuter ce 100 %, mais 78 %, c’est plus faible. En revanche, au même titre que Novavax, nous avons ici la perspective d’un deuxième vaccin qui se place en alternative à l’ARNm, et c’est appréciable quand on connait la défiance de certains individus, et cela paradoxalement renforce le bien fondé des vaccins ARNm de par leur puissance inégalée.

D’ailleurs, Novavax et Covirenz utilisent tous les deux un adjuvant, parce qu’ils sont justement peu efficaces. Et je vous renvoie à la polémique antérieure à la vaccination du COVID, et notamment il y a 10 ans avec le H1N1, où les gens et certains scientifiques s’étaient offusqués de la vaccination adjuvantée par les squalènes. Je rappelle que c’est pour cette raison entre autre que les vaccins de la grippe, aujourd’hui, ne sont plus adjuvantés. Novavax est un vaccin à base de protéines Matrix-M adjuvantées, qui est un extrait de bois de Panama, et Covirenz a, en revanche, un adjuvant à base de squalène (comme H1N1). C’est assez ironique car certains ont demandé une alternative à l’ARNm et, en fait, on se rend compte que l’alternative à l’ARNm, c’est souvent un vaccin avec un adjuvant, bien que les adjuvants n’ont pas été associés à plus d’effets indésirables.

Quelle est la proportion de gens qui ne peuvent pas recevoir un vaccin à ARNm ?

Benjamin Davido — Dans ma patientèle, j’en ai très peu. Je n’ai eu que deux patients, depuis les 6 derniers mois, qui m’ont « challengé » sur les vaccins non-ARN, et à qui j’ai proposé Novavax (mais ils ne se sont toujours pas vaccinés...).

Je pense que l’union fait la force : c’est bien d’avoir deux positionnements. Mais il est extrêmement marginal de privilégier le mécanisme d’action à l’efficacité. Aussi, il faudra qu’on arrive sur des vaccins unidose si on veut démocratiser la vaccination.

Que pensez-vous de la décision de l’OMS d’écarter Covirenz en raison de ses liens avec l’industrie du tabac ?

Benjamin Davido — On a beaucoup critiqué le lobbying pharmaceutique, et là on dénonce le lobbying du monde du tabac. Mais si demain Philip Morris, plutôt que de fabriquer des cigarettes, utilise ses plantes de tabac pour fabriquer des vaccins, ce serait plutôt une bonne nouvelle, non ? Je ne comprends pas l’avis défavorable de l’OMS.

Ce qui est amusant, c’est que ce vaccin pourrait être indiqué chez les gens qui ne veulent pas recevoir de vaccins à ARNm pour des raisons idéologiques. C’est d’ailleurs un vaccin qu’on pourrait qualifier d’« écologique », car il est à base de plantes, ce qui va à l’encontre de la polémique habituelle contre les vaccins etc.

Mais je ne comprends pas qu’on ne parle pas plus de ces résultats, encore une fois publiés dans un grand journal comme le New England Journal of Medicine… cela ressemble un peu à une censure scientifique, ce qui n’est pas normal, car c’est la meilleure réponse à ceux qui nous accusaient de fabriquer des vaccins pour l’industrie pharmaceutique. A suivre donc…

 

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