L'administration d'antibiotiques chez le jeune enfant pourrait diminuer la protection vaccinale

Nadine Eckert

Auteurs et déclarations

18 mai 2022

Etats-Unis -- L'administration d'antibiotiques chez le jeune enfant pourrait entrainer une protection vaccinale plus faible, d'après des chercheurs américains qui ont examiné la réponse humorale chez 560 enfants âgés de 6 à 24 mois et qui l'ont mise en relation avec les traitements antibiotiques prescrits.

« La plupart des enfants se voient souvent prescrire des antibiotiques au cours des deux premières années de la vie, pendant lesquelles ils reçoivent des vaccins », écrivent le Dr Timothy Chapman (Centre d'Immunologie et des Maladies Infectieuses, au Rochester General Hospital Research Institute) et ses collègues dans la revue Pediatrics[1] .

Or, dans cette étude, les chercheurs constatent que chez les enfants qui reçoivent des antibiotiques, les titres d'anticorps induits par les vaccins sont inférieurs à ce qui est généralement considéré comme suffisant pour une protection immunitaire. « Ils seraient donc à risque accru de contracter des infections provoquées par les agents pathogènes contre lesquels ils ont été vaccinés », commente le Pr Ulrich Schaible, qui dirige le programme Infections du Centre de recherche Borstel, à Leibniz (Allemagne).

Timothy Chapman et ses co-auteurs expliquent que la cohorte d'enfants inclus de manière prospective a d'abord été examinée sur le plan des infections respiratoires aiguës, dont l'otite moyenne aiguë. Ils ont ensuite analysé rétrospectivement des échantillons de sang prélevés à l'âge de 6, 9, 12, 15, 18 et 24 mois et lors de l'apparition d'une otite moyenne aiguë.

Les réponses en anticorps contre 10 antigènes de 4 vaccins administrés à ces enfants ont été analysées. Il s'agissait des vaccins :

  • contre la diphtérie-tétanos-coqueluche (DTaP),

  • antipoliomyélitique inactivé (VPI),

  • contre l'Haemophilus influenzae type b (Hib) et

  • antipneumococcique conjugué (VPC).

Les chercheurs ont comparé ces mesures avec les données des dossiers médicaux et ont interrogé les parents sur les maladies et les prescriptions d'antibiotiques. Il s'est avéré que sur les 560 enfants examinés, 342 avaient reçu des antibiotiques au cours des 24 premiers mois de leur vie. Les antibiotiques les plus fréquemment prescrits étaient :

  • l'amoxicilline,

  • le cefdinir,

  • l'amoxicilline/acide clavulanique

  • le ceftriaxone.

Les 218 enfants qui n'avaient pas été traités par antibiotiques constituaient le groupe contrôle.

Les titres chutent à chaque administration d'antibiotiques

Les chercheurs ont pu observer que les titres d'anticorps des enfants traités par antibiotiques étaient en moyenne plus faibles que ceux des enfants non traités par antibiotiques. Ces titres étaient souvent inférieurs au seuil de protection lorsqu'un traitement antibiotique avait été administré entre 9 et 12 mois. C'était notamment le cas pour la réponse contre les antigènes du DTaP et contre le sérotype 14 du pneumocoque.

La répétition de l'administration d'antibiotiques a également renforcé l'effet négatif sur les taux d'anticorps. A chaque traitement antibiotique, les titres baissaient :

  • de 5,8% pour les antigènes du DTaP,

  • de 6,8% pour les antigènes du Hib,

  • de 11,3% pour les antigènes du VPI,

  • et de 10,4% pour les antigènes du VPC.

« Pour savoir si une vaccination de rappel modifiait cette association, nous avons mené une analyse portant sur les prescriptions d'antibiotiques jusqu'à l'âge de 15 mois », rapportent les auteurs. Ils ont observé que les réponses humorales étaient toujours plus basses chez les enfants ayant reçu un traitement antibiotique. Les titres après le rappel vaccinal étaient réduits :

  • de 18,1% pour le DTaP,

  • de 21,3% pour le Hib,

  • de 18,9% pour le VPI,

  • et de 12,2% pour le VPC.

Le microbiome intestinal pourrait être impliqué

Le fait que la prise d'antibiotiques puisse réduire l'efficacité des vaccins préventifs a déjà été décrit, mais cette étude le montre pour la première fois chez les jeunes enfants. On suppose que le phénomène passe par un effet sur le microbiome intestinal. « L'administration d'antibiotiques chez un jeune enfant peut modifier son microbiome, dans la mesure où la variété des espèces bactériennes présentes y diminue - même pendant une longue période, et surtout après une administration prolongée d'antibiotiques », explique Ulrich Schaible. Cela conduit à une dysbiose, dont il a été démontré dans des études chez la souris qu'elle peut entrainer non seulement une plus grande sensibilité aux infections mais également un état inflammatoire plus prononcé, ce qui peut avoir un impact négatif sur le système immunitaire.

 
L'administration d'antibiotiques chez un jeune enfant peut modifier son microbiome. Pr Ulrich Schaible
 

Des différences d'effets entre antibiotiques

Pour Ulrich Schaible, il est intéressant de noter que l'amoxicilline seule n'a eu aucun effet significatif dans cette étude, contrairement à sa combinaison avec l'acide clavulanique : pour tous les antigènes vaccinaux concernés et en comparaison avec l'absence d'antibiothérapie, la proportion d'enfants présentant un niveau de protection insuffisant était de 16,4 % avec l'amoxicilline contre 13,5 % sans antibiotique (p = 0,22). En revanche, ils étaient 19,8% dans le cas après un traitement par amoxicilline/acide clavulanique (OR : 1,58; p < 0,001 versus sans administration d'antibiotiques). « L'acide clavulanique est un inhibiteur de la bêta-lactamase, qui clive les antibiotiques bêta-lactamines tels que l'amoxicilline, la ceftriaxone et le cefdinir », explique Ulrich Schaible.

Des schémas de traitement plus courts ?

Cependant, l'association amoxicilline/acide clavulanique a eu moins d'effets sur la production d'anticorps après 5 jours qu'après une administration pendant 10 jours. « Donner des antibiotiques moins longtemps serait donc préférable », avance Ulrich Schaible. « Il faudrait développer des schémas thérapeutiques plus courts mais restant efficaces, et des méthodes diagnostiques qui puissent indiquer en temps réel l'efficacité des antibiotiques, de sorte que leur durée d'administration puisse être raccourcie. »

 
Il faudrait développer des schémas thérapeutiques plus courts mais restant efficaces, et des méthodes diagnostiques qui puissent indiquer en temps réel l'efficacité des antibiotiques. Pr Ulrich Schaible
 

L'effet des probiotiques devrait être testé

L'administration de probiotiques pourraient être une autre méthode pour limiter l'effet des antibiotiques sur le système immunitaire : « En donnant des probiotiques (plus précisément des bactéries qui pourraient être bénéfiques pour la flore intestinale), on viserait à favoriser la récupération de la flore intestinale », explique le Dr Claudius Meyer, responsable du groupe de travail Immunologie pédiatrique au Centre de médecine pédiatrique de l'université de Mayence.

Limiter l'utilisation des antibiotiques au strict nécessaire

Selon l'immunologiste, l'étude présentée met en évidence des effets secondaires problématiques des antibiotiques. Conjugués au développement de résistances, « ces effets physiologiques doivent nous inciter à utiliser les antibiotiques avec précaution et à les limiter au strict nécessaire pendant l'enfance. »

Ulrich Schaible pense lui aussi que l'hypothèse d'un effet protecteur des probiotiques devrait être testée, ajoutant qu'une autre piste « pourrait consister à suspendre les vaccinations pendant l'antibiothérapie, puis effectuer un rattrapage. »

D'autres vaccinations seront peut-être nécessaires

Claudius Meyer rappelle que « les anticorps ne sont qu'une partie de la réponse immunologique à la vaccination. On peut supposer qu'elle induit une immunisation médiée par les cellules T, et que cette dernière offre un certain de degré de protection. En outre, il se pourrait qu'une protection immunitaire réduite puisse être compensée par un rappel, mais il n'est pas possible de l'affirmer sur base de cette étude. Il serait peut-être utile d'effectuer un contrôle à l'âge de 3 ou 5 ans afin de repérer l'éventuelle nécessité d'un rappel. Dans certains pays, une partie des vaccins concernés font de toute manière l'objet d'une nouvelle dose au cours de l'enfance. Seule une étude de suivi avec les mêmes enfants pourra montrer si, après un rappel, ceux qui ont pris des antibiotiques pourraient encore être distingués du groupe témoin. »

 
Seule une étude de suivi avec les mêmes enfants pourra montrer si, après un rappel, ceux qui ont pris des antibiotiques pourraient encore être distingués du groupe témoin. Dr Claudius Meyer
 

 

Cet article est une traduction/adaptation par Claude Leroy d'un article de Nadine Eckert publié initialement sur Medscape édition allemande et intitulé Schlechter Impfschutz bei Kleinkindern nach Antibiotika-Gabe beobachtet – sollte man dann nachimpfen?

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