Les formations sur les qualités humaines ou « soft skills » sont encore peu légion en médecine

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

18 mai 2022

France — Les soft skills, ou compétences non techniques, sont de plus en plus demandées dans le monde de l’entreprise. Mais dans le secteur de la santé, l’offre en la matière, à part de rares initiatives, est peau de chagrin.

C'est par un communiqué enthousiaste que l'assureur des praticiens exerçant sur plateau dans les cliniques, Branchet, a annoncé le lancement d'un nouveau programme de gestion des risques « intégrant les compétences non techniques liées aux facteurs humains », dites « soft skills ». Mais que recouvre donc ce nouvel anglicisme ? Les « soft skills » sont des compétences non techniques extra-scolaires, très recherchées par les entreprises actuellement. La liste de ces compétences est longue, mais parmi celles qui sont les plus recherchées sur le marché actuellement, le Forum économique mondial en retient trois :

  • la résolution des problèmes, le sens critique, la créativité ;

  • la capacité à faire face à des situations complexes ;

  • la communication.

« Les compétences non techniques ne se réduisent pas à la communication et au management. Ces compétences comprennent le travail d'équipe, la communication, la conscience de la situation, la prise de décision, et la gestion des tâches », résume le Pr Julien Picard, du CHU de Grenoble, l'un des concepteurs de la formation « soft skills » de Branchet. De fait, si ses compétences sont actuellement très recherchées dans le monde de l'entreprise, le secteur de la santé semble avoir un train de retard sur le sujet.

 
Ces compétences comprennent le travail d'équipe, la communication, la conscience de la situation, la prise de décision, et la gestion des tâches. Pr Julien Picard
 

Interrogé par Medscape, l'agence nationale du DPC nous a répondu que le développement des compétences non techniques ne faisait pas partie des orientations prioritaires du DPC. De côté de l'association nationale de formations hospitalière (ANFH), l'Opca (organisme paritaire de collecte agréé), qui gère le financement de la formation de la fonction publique hospitalière, on semble tout ignorer des soft skills. Ils n'apparaissent pas, dans tous les cas, dans les actions de formation nationale pour les personnels médicaux.

Interrogé par Medscape, l'ANFH botte en touche. « Nous avons peu de demandes de formations en soft skills », nous répond l'Opca. Chez d'autres assureurs, là aussi, les compétences non techniques ne suscitent pas d'intérêt. Ainsi, la SHAM, qui assure en responsabilité civile les praticiens et les établissements publics n'a pas lancé ou encouragé de programme de formation en soft skills, selon nos investigations.

Soft skills à l’hôpital Necker

Il n'y a guère que l'hôpital Necker qui propose un programme de formation en soft skills à destination de ses équipes d'ORL. Une première session a été organisée en février dernier et assuré par AviaSim, une « société française spécialisée dans la simulation aéronautique ».

« Ce stage, animé par un co-pilote et un formateur permet, en s'appuyant sur le simulateur professionnel de vol en Airbus A320, d'étudier et d'analyser les réactions de l'équipe médicale face à de nombreux stimuli sensoriels inconnus mais également lots de situation de stress (vol en conditions difficiles) pour améliorer la qualité et la sécurité de prise en charge des patients en bloc opératoire », détaille le communiqué de presse d'AviaSim. Car l'optimisation des soft skills vise un objectif : la diminution des risques et des événements indésirables grave en médecine.

 
Ce stage, animé par un co-pilote et un formateur permet, en s'appuyant sur le simulateur professionnel de vol en Airbus A320, d'étudier et d'analyser les réactions de l'équipe médicale...pour améliorer la qualité et la sécurité de prise en charge des patients en bloc opératoire. AviaSim
 

Éviter les plaintes des patients

« Les chiffres français et américains montrent que l’ignorance des soft skills est en cause dans 38% des déclarations à l'encontre de leurs médecins », informe Philippe Auzimour, directeur général de Branchet.

Et d'ajouter : « En 2012 nous avions une déclaration, soit une plainte de patients, tous les trois ans, toutes spécialités confondues. Grâce à des formations techniques nous sommes arrivés à une déclaration tous les quatre ans en moyenne pour nos 16 000 adhérents. Pour les dix prochaines années nous voulons passer à une déclaration tous les cinq ans en moyenne. » La formation en soft skills doit permettre à l'assureur d'atteindre cet objectif.

 
L’ignorance des soft skills est en cause dans 38% des déclarations à l'encontre de leurs médecins  Philippe Auzimour
 

En pratique

Pour ce qui est de la conceptualisation de la formation, le Pr Picard détaille les différentes étapes du processus : « Nous avons emprunté aux domaines de l'aviation civile et au domaine militaire des outils d'amélioration des pratiques pour développer ces compétences non techniques. Nous avons ensuite publié une étude dans une revue internationale Anesthesia critical care and pain medicine en décembre 2021. Cette étude a cherché à évaluer, en analysant 150 opérations, les communications entre soignants, et de classer ces communications entre celles conformes et non conformes. Nous avons ensuite organisé des simulations pour des équipes pluri-professionnelles où il fallait utiliser la communication, le travail d'équipe, la culture sécurité, pour résoudre des scénarios de crise. Nous avons par exemple monté un scénario autour d'un problème me d'identito-vigilance d'un patient, où il fallait notamment déterminer de quel côté nous allions l'opérer, et la seule manière de résoudre ce problème était de favoriser la communication au sein de l'équipe. »

Formation pour toute l’équipe

Particularité de la formation en soft skills : elle s'adresse à toute l'équipe soignante et non pas aux seuls médecins, comme l'explique le Pr Picard : « Nous visons une formation de toute l'équipe car nous avons une vision systémique de l'erreur. J'explique : lorsqu'une erreur se produit, ce n'est pas le fait d'un individu mauvais ou méchant, mais d'un système où il y a des pièges qui provoquent l'erreur. Si l'on veut avoir une approche systémique de l'erreur, il faut avoir une approche systémique de la formation. »

 
Lorsqu'une erreur se produit, ce n'est pas le fait d'un individu mauvais ou méchant, mais d'un système où il y a des pièges qui provoquent l'erreur  Pr Julien Picard
 

Plusieurs formats

Dans les faits, la formation en soft skills proposée par Branchet, outre qu'elle ne s'adresse qu'à ses « clients » médecins dans les cliniques privées et à leurs équipes soignantes, se décline sous plusieurs formats : réunions en présentiel, unité mobile de formation en tournée dans toute la France, podcast, émission TV. « Nous allons au contact des équipes, explique le Dr Emmanuel Briquet, qui dirige le développement médical de Branchet. Nous allons nous installer dans le bloc opératoire de nos clients pour une simulation in situ. La maquette de la formation dure environ une heure et demie. Quand nous sommes sur des formations non technique mais aussi techniques, nous consacrons une demi-heure à du débriefing à chaud. Donc en gros, les formations durent deux heures, et parfois nous essayons de mettre en place un parcours sur deux jours. Sur place, nous sommes accueillis par un « ambassadeur » ce qui nous permet de créer un lien avec les équipes pédagogiques. »

Sélection des équipes et des praticiens

Comment sont sélectionnés les établissements et les équipes soignantes qui peuvent participer à ces formations ? « Nous répondons à trois types de demandes. En premier lieu, nous nous déplaçons à la demande de nos adhérents. Mais nous proposons aussi une action de formation en direction de groupes de médecins, selon des signaux d'alarmes que nous recevons. À chaque fois qu'il y a une mise en cause, nous faisons une analyse, et nous pouvons conseiller ce genre de formation. C'est bien sûr incitatif. Mais s'ils suivent le programme, nous diminuons la prime d'assurance. Quand nous pensons que le problème est très aigu, nous faisons du coaching en envoyant un spécialiste en soft skills passer une demi-journée ou une journée entière avec le praticien en face à face. Nous mesurons ensuite l'efficacité de cet accompagnement et nous nous revoyons une année plus tard », explique Philippe Auzimour.

La Sfar en pointe sur le sujet

Si les organismes de formation comme l'ANFH ou l'OGPDC n'ont pas encore pris toute la mesure de l'intérêt de ces formations, la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) considère avec sérieux les soft skills.

 
Il y a une véritable demande car la plupart des soignants prennent conscience de l'importance de ces formations  Pr Julien Picard
 

« Avec le professeur Pierre Albaladejo, nouveau président de la SFAR, nous visons un développement académique et institutionnel des compétences non techniques », informe le Pr Picard. Même intérêt pour les soft skills du côté de la Haute autorité de santé (HAS), qui a fait de la communication au sein de l'équipe l'un des indicateurs prioritaires de la dernière certification des établissements de santé. Reste que ces compétences ne sont pas encore intégrées avec suffisamment d'importance dans le cadre de la formation initiale : « Dans le cadre des réformes de la formation médicale, ces compétences ne sont à mon goût pas suffisamment prises en compte, mais la conférence des doyens a bien pris conscience de l'importance de ces compétences et elle contribue à l'intégrer de plus en plus tôt dans le programme de formation, analyse le Pr Picard. Mais tout cela demande des moyens à la fois humains et financiers et dans ce sens nous attendons des décisions très importantes de nos décideurs politiques pour développer ces compétences. » Quoi qu'il en soit, si l'offre de formation pêche, la demande, selon le Pr Picard, est exponentielle : « Il y a une véritable demande car la plupart des soignants prennent conscience de l'importance de ces formations. Nous faisons par exemple des formations concernant l'annonce de diagnostic difficile, comme le diagnostic d’un cancer. Il y a un lien fort et étroit entre ces compétences non techniques, le service rendu aux patients et la qualité de vie des soignants. Communiquer ça s'apprend, ça s'enseigne, y compris pour des gens à bac +12. »

 
Communiquer ça s'apprend, ça s'enseigne, y compris pour des gens à bac +12  Pr Julien Picard
 

 

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