POINT DE VUE

« Se former à la médecine de guerre est un challenge pour le système de santé ukrainien » Témoignage

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

17 mai 2022

Dr Igor Deyneka

France, Ukraine— Anesthésiste-réanimateur à Rivne, au Nord-Ouest de l’Ukraine, le Dr Igor Deyneka, 40 ans, a suivi avec huit compatriotes la formation à la médecine de guerre dispensée à Metz par l’UOSSM France (Union des organisations des secours et soins médicaux) (Lire : Ukraine : une ONG française ouvre un centre de formation à la médecine de guerre à Lviv). Le médecin s’est confié à Medscape édition française avant de repartir à Lviv, à l’Ouest de l’Ukraine, où il formera à son tour des confrères au triage et à la prise en charge des blessés.

Trois mois après le début de l’invasion russe, le 24 février, de quoi avez-vous le plus besoin sur le plan médical aujourd’hui en Ukraine ?

Dr Igor Deyneka : Nous ne manquons pas de médecins. Nous en avons sur le front mais aussi à l’arrière. Ce dont nous avons besoin, c’est que les soignants, et pas seulement les médecins, soient entraînés pour exercer en temps de guerre. Savoir comment gérer un « trauma », comment réagir sur un champ de bataille, savoir comment évacuer et où évacuer. Et nous avons besoin de matériels adaptés sur le champ de bataille, lors de l’évacuation et à l’hôpital.

 
Ce dont nous avons besoin, c’est que les soignants, et pas seulement les médecins, soient entraînés pour exercer en temps de guerre.
 

Medscape : Quels sont justement vos besoins en matériel ?

Dr Igor Deyneka : Ce dont nous avons le plus besoin et cela va peut-être vous surprendre, ce sont des tourniquets, ces garrots qui permettent d’arrêter les hémorragies, pour pouvoir stabiliser un patient, éventuellement le déplacer et le prendre en charge. A l’hôpital, nous avons aussi besoin de petits échographes, tels que ceux que nous avions pendant cette formation, qui s’utilisent avec un smartphone, pour repérer les hémorragies internes et savoir plus rapidement ce que nous devons faire, s’il faut emmener le patient au bloc opératoire pour stopper l’hémorragie ou l’évacuer rapidement.

Petit échographe couplé à un téléphone portable

Aviez-vous déjà été personnellement confronté à la médecine de guerre avant le conflit engagé cette année ?

Dr Igor Deyneka : Oui, pendant la guerre du Donbass, en 2015-2016. Je faisais partie d’une équipe avec un chirurgien et une infirmier-anesthésiste à quelques kilomètres de la ligne de front. Nous devions être capables d’agir en urgence, arrêter une hémorragie, évacuer le blessé de la ligne de front.

Que vous a apporté cette formation de l’UOSSM France ?

Dr Igor Deyneka : Cette formation, avec l’expérience sur le front syrien du Pr Raphaël Pitti, responsable formation de l’UOSSM France, nous a donné l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences pratiques que nous utiliserons sur le front ou dans notre combat pour la libération. Mais aussi de voir quel matériel peut nous être utile, comme les échographes dont j’ai parlé.

En tant que médecin, êtes-vous la cible des belligérants russes ?

Dr Igor Deyneka : En 2015, l’endroit où travaillaient nos équipes médicales militaires se trouvait très près du front et cet hôpital a été bombardé. Durant les évacuations sanitaires, nous étions visés à chaque fois. Même quand nous mettions la croix rouge sur nos véhicules, nous étions visés. Depuis le début de l’offensive russe le 24 février, on ne peut se sentir nulle part en sécurité dans le pays. Les 4 principales villes du pays ont été bombardées. Les Russes nient notre existence, ils ne nous considèrent pas comme une nation indépendante mais comme d’autres Russes qui auraient suivi un mauvais chemin. Nous ne nous battons pas seulement pour notre liberté, nous nous battons pour notre existence.

Quelles sont les blessures les plus courantes que les médecins ukrainiens ont à prendre en charge ?

Dr Igor Deyneka : Cela dépend de la situation selon les villes. Les Russes larguent des bombes, nous envoient des missiles ou des shrapnells (obus remplis de balles) mais à l’est du pays, les gens peuvent aussi être blessés par armes à feu. Nous devons faire face à des blessures par déflagration, des « crush syndromes », des blessures par balle. Nous devons composer avec tout cela à la fois. La difficulté est que nous pouvons être tranquilles à un moment et avoir à gérer l’arrivée de 50 ou 80 blessés d’un coup à l’hôpital l’instant d’après. Les soignants doivent savoir comment réagir quand ces situations arrivent. C’est un challenge pour le système de santé ukrainien et c’est la raison pour laquelle il est important que nos équipes soient formées à ces techniques.

 
Nous devons faire face à des blessures par déflagration, des « crush syndromes », des blessures par balle.
 

Est-il possible d’évacuer facilement les blessés ?

Dr Igor Deyneka : A l’Est, les Russes ont la supériorité dans les airs et il faut s’éloigner au moins à 200 kilomètres du front pour pouvoir envisager une évacuation par hélicoptère. Ils ne peuvent décoller ou atterrir plus près du front car ils sont trop vulnérables. Les transferts ont donc lieu le plus souvent par voie terrestre, notamment par train. Nous n’évacuons pas de blessés à l’étranger mais l’Ukraine procède à des transferts intérieurs de l’Est vers l’Ouest du pays pour mettre les blessés dans des endroits plus sûrs. Le plus à l’Est, les Russes bombardent constamment et il est impossible d’évacuer les blessés qui sont contraints de vivre en sous-sol depuis plusieurs mois.

Vous sentez-vous prêt à transmettre la formation à la médecine de guerre que vous venez de suivre ?

Dr Igor Deyneka : J’ai déjà été instructeur en traumatologie mais nous devons développer un cours adapté à la situation en Ukraine. La traumatologie est souvent la même mais nous devons nous familiariser avec les méthodes pédagogiques. Nous devons adapter la formation pour être le plus efficaces possible afin de former le plus grand nombre de soignants, que ces connaissances soient transmises et utilisées au mieux et que nous puissions sauver le plus grand nombre de blessés. Si nous y parvenons, ce sera une réussite et une très grande aide apportée par la France à notre pays.

 
Si nous y parvenons, ce sera une réussite et une très grande aide apportée par la France à notre pays.
 

 

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