Paris, France-- Une méta-analyse des essais portant sur les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes chez l’enfant et l’adolescent conclut au bénéfice des thérapies cognitivo-comportementales et de l’hypnose à visée antalgique[1].Cette publication confirme les données de la littérature ainsi que les pratiques, comme l’explique le Dr Marc Bellaïche, gastro-pédiatre à l’hôpital Robert Debré (Paris) dans cet article.
Troubles fonctionnels intestinaux pédiatriques
Selon les critères actuels (ROME IV[2]), les troubles fonctionnels intestinaux du grand enfant et de l’adolescent regroupent le syndrome des vomissements cycliques, la constipation, les nausées fonctionnelles, et l’ensemble constitué des « douleurs abdominales fonctionnelles » où cohabitent les syndromes dyspeptiques et de l’intestin irritable, la migraine abdominale et les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes.
Les douleurs abdominales fonctionnelles sont fréquentes chez les enfants. Plus de 50 % des visites de nouveaux patients dans les consultations de gastroentérologie pédiatrique répondent aux critères d’un ou de plusieurs troubles gastro-intestinaux fonctionnels et les douleurs abdominales fonctionnelles représentent une grande partie de ces consultations[3].
« La première étape de la prise en charge est de distinguer une dyspepsie fonctionnelle - douleur épigastrique qui s’accentue lorsque l’enfant s’alimente - d’une migraine abdominale ou d’un syndrome de vomissements cycliques dont le traitement s’apparente aux migraines céphalalgiques, précise le Dr Marc Bellaïche. Ce diagnostic d’exclusion aboutit aux « douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes » (ou non-spécifiques), une part importante des consultations de gastro-pédiatrie. Elles peuvent gravement affecter la vie des enfants et de leur famille ; les symptômes se prolongeant souvent à l’âge adulte ».
La TCC réduit la fréquence et l’intensité des douleurs
Une méta-analyse vient de paraître[1] sur l’intérêt des interventions psychosociales dans les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes chez les enfants.
Pour ses auteurs : « la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est associée à un meilleur succès du traitement et à une fréquence et une intensité de la douleur plus faibles dans la prise en charge de la douleur abdominale fonctionnelle récurrente chez les enfants ».
D’après cet examen systématique et cette méta-analyse de 33 essais cliniques randomisés portant sur 2 622 enfants (âge médian 12 ans (7-17 ans) ; 67,3 % de filles), il existe une certitude modérée indiquant que le fait de recevoir une thérapie cognitivo-comportementale est associé à :
un succès accru du traitement (n = 324 enfants ; RR, 2,37 ; IC à 95 % 1,30-4,34 ; nombre de personnes à traiter [NNT] = 5) ;
à une fréquence de la douleur plus faible (n = 446 enfants ; RR, -0,36 ; IC à 95 %, -0,63 à -0,09) ;
à une intensité de la douleur plus faible (n = 332 enfants ; RR, -0,58 ; IC à 95 %, -0,83 à −0,32) qu’aucune intervention ;
ainsi qu’à des abandons similaires en raison d’événements indésirables par rapport à l’absence d’intervention.
L’hypnothérapie peut également être associée à de meilleurs résultats par rapport à l’absence d’intervention.

Des douleurs bien réelles à ne surtout pas négliger
Cette publication ne concerne pas le syndrome de l’intestin irritable où un trouble du transit (constipation, diarrhées ou mixte) à l’origine des douleurs ressenties par l’enfant et sur lequel il est possible d’agir, notamment de manière pharmacologique.
« En revanche, dans le cas de ces douleurs abdominales récurrentes (ou « non spécifiques »), l’absence d’accroche thérapeutique (en dehors des douleurs abdominales fonctionnelles des enfants « avaleurs d’air ») nous laisse démunis, souligne Marc Bellaïche. Or, les douleurs sont bien réelles et il ne s’agit pas de les négliger, au risque qu’elles perdurent voire s’aggravent ».
Les mécanismes derrière les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes ne sont pas totalement compris. La principale théorie suggère une dérégulation de l’axe de communication cerveau-intestin. L’interaction et la rétroaction d’une variété de facteurs génétiques, physiologiques, psychologiques et environnementaux affecteraient ainsi le système nerveux central et la motilité gastro-intestinale.
Dans ces troubles dits somatoformes, plus que les symptômes, il faut traiter la(les) cause(s). Celles-ci sont bien décrites depuis une dizaine d’années et surviennent sur un terrain particulier façonné soit par la génétique, soit au cours du temps.
« Un évènement traumatisant, même modeste, pourra déclencher une douleur abdominale fonctionnelle chez un enfant ayant une hypersensibilité viscérale », poursuit le spécialiste.
Ces évènements peuvent prendre la forme d’une gastro-entérite (syndrome post-infectieux, en témoigne l’explosion des douleurs abdominales fonctionnelles post-Covid-19), d’un épisode allergique, d’un choc physique, d’un stress lié à un évènement de vie (déménagement, séparation, voire abus sexuel).
Mais finalement, la prise en soins ne dépend pas de la nature de l’évènement déclencheur. Si les médicaments symptomatiques peuvent a minima faire office de placebo (il a en effet été montré que, dans ce cas précis, le placebo fonctionnait dans un tiers des cas), la « polarité positive » a montré son intérêt, sur le modèle de la « théorie du glaçon » (il s’agit de ne pas attaquer la douleur de front (le glaçon) mais d’instaurer un climat propice à son amenuisement (la chaleur)).
Pratiquer la « polarité positive »
« La prise en soins de type « polarité positive », signifie reconnaître la pathologie et ses symptômes, prescrire un médicament symptomatique qui agira au moins dans un bon tiers de cas, et expliquer à l’enfant, comme à ses parents, que la meilleure des manières de lutter contre sa douleur est de ne pas la subir mais de s’investir dans un projet de thérapeutique antalgique, explique le Dr Bellaïche.
L’enfant ou l’adolescent peut ainsi espérer rompre le cercle vicieux de la douleur, identique quelle que soit la nature du déclencheur : lorsque la douleur se manifeste, la hantise la fait grandir, etc. L’idée est de couper court à cette appréhension de la douleur, au moyen de la distraction. Mais il ne s’agit pas d’une simple distraction passive mais d’une implication active, qui vient de l’individu lui-même.
A ce jour, comme le confirme cette méta-analyse, les phénomènes distractifs ayant démontré une certaine efficacité sont l’autohypnose, qui requiert une éducation thérapeutique, la méditation, qui nécessite le plus souvent une tierce personne surtout chez l’enfant, et la thérapie cognitive et comportementale à visée antalgique. Elle est adaptée à l’enfant ».
La TTC constitue le traitement du stress post-traumatique par excellence et les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes sont, elles aussi, une sorte de stress post-traumatique, survenant sur un terrain particulier d’hypersensibilité et même en cas de stress minime.
« Cette hypersensibilité doit être comprise comme une qualité et une compétence plutôt qu’une damnation qui rend les douleurs insupportables, ajoute-t-il. Il faut ensuite convaincre l’enfant qu’il est le seul à être compétent pour rompre le cercle vicieux de la douleur, ceci au plus tôt dès qu’elle se manifeste, au moyen d’un état de transe et de méditation, soit d’autohypnose, soit de distraction à l’aide d’outils adaptés et enseigné lors de séances de TCC. Il est important que l’enfant enlève « son manteau de la douleur » pour se concentrer sur lui-même ».
Bien qu’utile, cette technique est difficile à mettre en œuvre faute de temps de consultation disponible (45-50 minutes la séance), d’une certaine connaissance de la TCC pour accompagner les enfants ou d’un réseau formel ou non de ressources (psychologues, algologues, hypnothérapeutes, soignants formés en TCC...).
Des applications de méditation grand public peuvent aider (initiation à une méditation antalgique). Les livres pour l’enfant et ses parents du Pr Tu Anh TRAN (CHU de Nîmes) conjuguent la méditation à la situation vécue*.
« Cette publication validant les TCC et l’hypnose dans les douleurs abdominales fonctionnelles récurrentes est importante dans le sens où elle confirme l’intérêt de ces techniques et précise ce qui figure dans la littérature à ce sujet, indique Marc Bellaïche, et ce même si le niveau de preuve n’est pas maximal. C’est notamment dû à la difficulté de mener ce genre d’études (identifier des profils d’enfants identiques, etc.), à la subjectivité de l’échelle d’évaluation de la douleur, à la rareté des structures ou des professionnels de santé s’y intéressant, ainsi qu’à l’effet placebo considérable ».
*Le Pr Tran, chef de service de pédiatrie au CHU de Nîmes, utilise depuis plus de dix ans la méditation pour soigner ses jeunes patients.

Maladies chroniques, douleurs, phobies, troubles alimentaires, hyperactivité, anxiété, difficultés scolaires, troubles du sommeil... Dans toutes ces situations, la méditation abaisse le stress et ramène le calme intérieur. Méditasoins - Petites méditations pour grands maux de l'enfant Thierry Souccar EDITIONS.
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Citer cet article: Douleurs abdominales récurrentes chez l’enfant : les thérapies cognitivo-comportementales validées - Medscape - 16 mai 2022.
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