Mise en garde contre l’augmentation de la frénotomie linguale chez les nourrissons

Anne-Gaëlle Moulun

Auteurs et déclarations

6 mai 2022

France — L’Académie de médecine a publié le 26 avril un communiqué dans lequel elle appelle à mettre un « coup de frein à la frénotomie linguale chez les nouveau-nés et les nourrissons ». Avant elle, en janvier 2022, plusieurs sociétés savantes s’inquiétaient déjà de l’augmentation anormale, en France et dans le monde, des chirurgies du frein de langue chez les enfants après leur séjour en maternité. Les éclairages, pour Medscape, du Pr André Chays, membre de l’Académie nationale de médecine et du Pr Michel Le Gall, membre de la Fédération française d’orthodontie.

Augmentation spectaculaire mais non chiffrée en France

« La section (frénotomie) ou l'exérèse (frénectomie) du frein de la langue chez le nouveau-né ou le nourrisson consiste à couper chirurgicalement (aux ciseaux ou au laser) un frein de langue court et/ou épais pour restaurer l'amplitude du mouvement de la langue mobile, en particulier sa protraction. Cet acte chirurgical rare, jusque récemment, est indiqué devant une ankyloglossie* au retentissement fonctionnel conséquent », explique l’Académie de médecine dans un communiqué publié le 26 avril[1].

*L’ankyloglossie correspond à une limitation des mouvements de la langue causée par un frein lingual dit « restrictif » très antérieur et/ou épais. Il s'agit d'une anomalie congénitale.

« Ce geste n’est pas neuf. Il est ancien et connu », souligne le Pr André Chays, médecin ORL et membre de l’Académie nationale de médecine. Mais ce qui inquiète l’Académie, c’est « l'augmentation spectaculaire, en France et dans le monde, de la frénotomie linguale qui, effectuée très tôt après le séjour en maternité, permettrait ensuite un allaitement à la fois efficace pour le nouveau-né et le nourrisson, et indolore pour la mère ». Ainsi, en Australie, elle a relevé une augmentation de ce geste de plus de 420 % en une dizaine d’années. « En France l’augmentation n’est pas chiffrée », reconnaît le Pr Chays.

En janvier 2021, plusieurs sociétés savantes médicales, chirurgicales et paramédicales, comme la Société française de chirurgie orale, l’Association française d’ORL pédiatrique, la Société française d’odontologie pédiatrique ou la Société française de pédiatrie, s’étaient déjà émues de l’augmentation anormale, en France et dans le monde, des chirurgies du frein de langue chez les enfants après leur séjour en maternité. « Les frénotomies linguales ont toujours été une pratique classique quoiqu’assez rare, en maternité. Elles sont réalisées pour des difficultés de succion après évaluation clinique et échec des mesures d’aide à l’allaitement. Leur augmentation récente et non justifiée, dans les mois qui suivent la naissance justifie d’alerter parents, professionnels de l’enfance et institutionnels », pointaient ainsi les sociétés savantes.

Manque d’études de qualité

« Cette augmentation est d'autant plus surprenante que trois recommandations nationales et internationales récentes ainsi qu'une revue Cochrane[2], ont conclu au manque d'études scientifiques de qualité concernant cette pratique », complète l’Académie de médecine.

 
Il n’y a aucune relation décrite entre l’anatomie du frein de langue et la genèse de la difficulté d’allaitement. Pr André Chays
 

Pour le Pr Chays, il n’existe aucune nouvelle étude démontrant l’intérêt de ce geste pour faciliter la tétée et supprimer les douleurs aux mamelons des mères qui allaitent. « Il n’y a aucune relation décrite entre l’anatomie du frein de langue et la genèse de la difficulté d’allaitement », fait-il remarquer. Malgré cela, « sur les réseaux sociaux et les forums, quand on cherche « difficultés d’allaitement », on trouve tout et son contraire d’une phrase à l’autre, certaines personnes donnent leur avis sans avoir d’expertise », s’alarme-t-il. Pour lui, « l’allaitement est un moment périlleux, qui se joue sur les 72 premières heures. S’il n’y a pas le personnel pour l’encadrer et accompagner la maman, le geste facile c’est de couper le frein de langue du bébé et de renvoyer la maman à la maison en lui disant que ça va aller mieux ! », s’insurge-t-il. Les risques de cette intervention sont très rares et sont en principe bénins. « Mais dans de rares cas il peut y avoir des complications, en particulier une hémorragie qui peut être grave », met-il en garde.

 
Mais dans de rares cas il peut y avoir des complications, en particulier une hémorragie qui peut être grave. Pr André Chays
 

Bon sens thérapeutique

Le Pr Michel Le Gall professeur à l’école de médecine dentaire de Marseille et chef de service d’orthopédie dento-faciale à l’hôpital de la Timone, membre de la Fédération française d’orthodontie, juge que la frénotomie peut être indiquée « si l’enfant a des troubles de l’allaitement, en ayant éliminé toutes les autres causes. Il faut du bon sens thérapeutique. Il ne faut pas que ce soit la solution miracle en cas de problème d’allaitement », note-t-il.

 
Il faut du bon sens thérapeutique. Il ne faut pas que ce soit la solution miracle en cas de problème d’allaitement. Pr Michel Le Gall
 

Pour des enfants plus âgés, après 2 ou 3 ans, la frénotomie peut permettre de résoudre des difficultés à prononcer certains phonèmes ou une déglutition atypique pouvant avoir des répercussions dentaires, alvéolaires et squelettiques sur la bouche de l’enfant.

Néanmoins, là encore il faut poser un diagnostic et différencier ce qui relève d’une rééducation avec un orthophoniste et ce qui relève de la chirurgie. « Il ne faut pas tomber dans une systématisation de la frénotomie dès le plus jeune âge », résume le Pr Le Gall.

Un avis qui rejoint celui de l’Académie de médecine, qui préconise notamment « en présence de difficultés d'allaitement, quelles qu'elles soient, une démarche diagnostique rigoureuse [...] réalisée par des professionnels de formation universitaire, ou ayant une formation agréée officiellement en allaitement, respectant une médecine basée sur des preuves, prenant en compte l'état général global de l'enfant complétée d'une évaluation rigoureuse anatomique et surtout fonctionnelle de la succion/déglutition de l'enfant. La frénotomie, restant exceptionnelle, devra être décidée en lien avec le médecin traitant ou le pédiatre ».

Par ailleurs, l’Académie appelle de ses vœux « des études méthodologiquement rigoureuses, ciblant les indications, l'efficacité et la tolérance de la frénotomie ».

 

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