POINT DE VUE

Médecin, notre consœur s’est rendue à la frontière de l’Ukraine pour une opération de bénévolat : elle témoigne

Daniela Ovadia

Auteurs et déclarations

6 mai 2022

Italie, Pologne – Rédactrice en chef d’Univadis Italie, notre consœur Daniela Ovadia est médecin neurologue de formation. Elle n’a plus d’activité clinique depuis 4 ans mais travaille comme chercheuse en neurosciences à l'hôpital Niguarda. Bien que n’ayant jamais exercé comme bénévole sur le terrain dans un contexte comme celui de la guerre en Ukraine mais a tenu à se rendre sur place lorsqu’elle a su qu’une ONG recherchait des personnes ayant des compétences médicales pour faire face à l’afflux de patients arrivant à la frontière de l’Ukraine avec la Pologne. Voici son récit.

« En partant, je n’avais pas d’attentes particulières. Tout ce que je voulais en fait, c’était lutter contre ce sentiment d’impuissance que j’avais en regardant, assise sur mon canapé, les images de la guerre en Ukraine tourner en boucle sur toutes les chaines de télévision. Je n’avais aucune expérience de bénévolat dans un contexte auparavant, et la consœur neurologue de l’hôpital Niguarda (Milan) qui était partie avec moi pas plus. Mais nous avions entendu dire, que le nombre de réfugiés augmentait de jour en jour et que toutes les personnes qui avaient quelques compétences médicales, étaient les bienvenues. Nous disposions d’une semaine de vacances et de quelques jours de congés à l’occasion des fêtes de Pâques que nous avons décidé d’utiliser pour nous lancer dans une opération de volontariat. Nous avions le sentiment que nous pouvions être utiles, même s’il s’agissait juste de distribuer des vêtements et de la nourriture.

Nous sommes parties de Milan en voiture avec un membre de l’équipe paramédicale de la Protection civile dans le but de nous rendre en Pologne à Przemysl (que l’on prononce Pshemishl), pour apporter un stock de médicaments récolté par l’université de Padoue et des donateurs privés, au centre de triage de réfugiés. Le voyage jusqu’à la frontière ukrainienne a duré environ 19 heures – pauses comprises – car il a fallu traverser l’Autriche, la Hongrie, la République Tchèque et une grande partie de la Pologne.

 
Je n’avais aucune expérience de bénévolat dans un contexte auparavant.
 

La citadelle du volontariat 

Arrivés à la frontière avec l’Ukraine, nous nous sommes enregistrées comme volontaires au centre de réfugiés via l’association de scoutisme locale et nous avons été rapidement contactées par Rescuers without borders qui gère la tente médicale installée à Medyca, une petite commune située à la frontière avec l’Ukraine. L’ONG franco-israélienne cherchait en effet des médecins disposés à faire des gardes. Nous avons immédiatement accepté et nous nous sommes rapidement retrouvées sous une tente militaire installée sur une plateforme en bois juste à côté de la frontière. Juste à côté de nous, également gérée par cette ONG, se trouvait une grande tente pour les réfugiés, hébergeant essentiellement des femmes et des enfants en transit. Ils restent en général ici un ou deux jours.

Tente où sont effectués les soins (DR)

Constitué de plusieurs tentes et de structures temporaires, le centre de soins ambulatoires de Medyca fait office de « citadelle du volontariat ». Les personnes qui arrivent d’Ukraine à pied avec leurs valises et leurs animaux, passent automatiquement par là. Une partie des bénévoles distribuent des vêtements chauds car, à cette époque, les températures sont encore glaciales malgré le soleil. Les réfugiés y attendent parfois 8 heures durant avant de passer les contrôles. D’autres bénévoles travaillant pour l’ONG américaine World Central Kitchen qui fait un travail extraordinaire dans les centres de réfugiés, mais aussi sur le terrain en Ukraine, distribuent des boissons et de la nourriture. D’autres encore, donnent aux réfugiés des cartes Sim gratuites offertes par les grands opérateurs téléphoniques européens pour qu’ils puissent contacter leur proches.

Femmes, enfants, personnes âgées

Les professionnels de santé sur place ont accès à une pharmacie de base contenant des médicaments de première nécessité selon les critères des Nations Unies : des anti-inflammatoires, des antihypertenseurs, de l’insuline, des antidiabétique oraux, des antibiotiques à large spectre, des pommades désinfectantes et antibactériennes. Mais aussi, des antiépileptiques (phénobarbital et carbamazépine), stéroïdes, anxiolytiques et des spécialités pédiatriques. Etaient également à disposition, un kit d’urgence, que nous n’avons jamais eu à utiliser, et un défibrillateur semi-automatique.

La plupart des personnes qui traversent la frontière sont des femmes, des enfants en bas-âge, la plupart du temps, et des personnes âgées. La plupart des patients que nous avons soignés, sont atteints de pathologies chroniques. Des personnes diabétiques ou hypertendues parties sans leurs médicaments. Pour les patients qui arrivent en provenance de zones de guerre, la situation est plus compliquée car ils ont souvent dû interrompre leurs traitements pendant plusieurs jours. Les troubles du comportement sont fréquents. Certains patients sont atteints de dyspnée ou souffrent de crises d’angoisse. C’est souvent lorsqu’elles passent la frontière que la plupart des femmes réalisent qu’elles ont perdu leur maison tandis que leurs maris ou leurs compagnons qui ont été appelés sous les drapeaux, sont restés de l’autre côté en Ukraine. Se projeter dans l’avenir est alors très compliqué.

 
Les troubles du comportement sont fréquents. Certains patients sont atteints de dyspnée ou souffrent de crises d’angoisse.
 

File d'attente à la frontière (DR)

Soigner des blessures de guerre

Les structures d’hébergement se veulent accueillantes et bien équipées mais les réfugiés dorment sur des lits de fortune dans des draps et sous des couvertures qui ont déjà servi. Les personnes âgées qui ont passé plusieurs jours ou plusieurs semaines dans des abris humides pour échapper aux bombardements, souffrent de douleurs articulaires et musculaires. Elles sont souvent déshydratées et souffrent aussi de décompensation. Nous avons soigné deux blessés de guerre. Une femme qui était à la gare de Kramatorsk bombardée par les Russes, est arrivée avec un pied infecté et œdémateux probablement à cause d’un fragment de métal car nous avons trouvé d’autres fragments plus ou moins identiques collés sur son manteau. Nous lui avons administré un antibiotique par voie intraveineuse et nous l’avons envoyé à la Croix Rouge polonaise en espérant que les médecins de cette organisation pourraient au moins lui faire une radiographie. L’autre cas concernait un jeune homme avec un œdème provoqué par une explosion. Le personnel paramédical lui avait posé un bandage compressif.

Soigner des blessures de guerre est toujours compliqué et encore plus lorsqu’on n’a pas été formé. Tous les médecins qui travaillent dans les structures gérées de façon temporaire par les ONG, sont spécialisés dans des domaines différents. La plupart sont des internistes et viennent des quatre coins du monde. J’ai rencontré un Indien, deux Américains, deux Israéliens et une Française. Ils sont là pour des périodes courtes, entre dix jours et trois semaines. Leur équipement de base est souvent rudimentaire et peu adapté compte tenu du contexte.  Cette expérience m’a permis de comprendre que les médecins italiens ne sont pas suffisamment formés pour répondre à l’urgence. Une formation adéquate serait précieuse et pas seulement dans un contexte extrême comme une situation de guerre.

Des médicaments introuvables

Le manque de médicaments et un problème récurrent. Les kits recommandés par les Nations-Unies contiennent des produits de base. Mais ils sont souvent largement insuffisants. Remplacer un médicament par un autre n’est pas toujours possible car, pour bien faire, il faudrait garder le patient en observation, noter ses réactions et nous manquons de temps. Je me souviens d’un cas en particulier, celui d’une jeune femme épileptique qui avait eu une crise en faisant la queue à la frontière. Nous n’avions pas le  médicament qu’elle prenait en cas de crise mais nous avons eu de la chance. Des  volontaires ont fait le tour des structures sanitaires voisines  et ils ont finalement trouvé quelques doses. Cette femme voyageait avec son fils âgé de dix ans. Après avoir passé la nuit en observation sous la tente médicale, elle est repartie en direction de l’Allemagne.

Intérieur d'une tente médicalisée (DR)

Pour choisir les traitements, nous avons souvent dû tenir compte de différents éléments, notamment de la responsabilité parentale des patients. Je pense par exemple, aux mères seules qui arrivaient dans le centre avec un ou plusieurs enfants. On ne pouvait pas leur donner des médicaments susceptibles d’altérer leur état de conscience ou provoquer une certaine somnolence comme la benzodiazépine, notamment parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’opérateurs spécialisés dans le centre d’accueil pour s’occuper des enfants pendant que la mère se reposait.

Le manque de médicaments et un problème récurrent.

Autre problème : les médicaments de niche ou vitaux, introuvables. Par exemple, nous avons dû aider un patient atteint de myasthénie dont l’état empirait de jour en jour et qui avait des problèmes de déglutition. Pour éviter de l’intuber en cas de faiblesse des muscles respiratoires, nous l’avons fait hospitaliser en ville en espérant que cette structure aurait de la physostigmine. Depuis, nous n’avons pas eu de nouvelles de ce patient mais le traducteur qui l’a accompagné, nous a parlé du manque d’empathie du personnel local et des conditions d’accueil plutôt expéditives. Tout cela est compréhensible quand on sait que le système de santé polonais situé à proximité de la frontière avec l’Ukraine est quasiment saturé et que les professionnels de santé sont menacés par le burn-out et de plus en plus vulnérables.  

En temps normal, quelques 60 000 personnes vivent à Przemysl. Depuis le début de la guerre, plus de 3000 réfugiés passent la frontière tous les jours et la plupart ont besoin d’une prise en charge médicale.

 
Le système de santé polonais situé à proximité de la frontière avec l’Ukraine est quasiment saturé.
 

Covid-19 : un problème ignoré

Le coronavirus est un problème mais on ne s’en occupe pas. Quelque 4000 personnes sont hébergées dans un grand centre commercial désaffecté transformé en centre d’accueil. Les réfugiés sont triés et répartis dans les anciens magasins en fonction du pays où elles iront.  Pas de fenêtres, de lumière naturelle et encore moins de systèmes d’aération efficace. Les lits de camps occupent toute la place. Les bénévoles sont testés une seule fois (tests antigéniques) dès leur arrivée dans le centre mais pas les réfugiés. Personne ne porte de masque ce qui serait quasiment impossible dans un tel contexte. Presque tous les bénévoles ont été contaminés ou devraient l’être rapidement compte tenu de la situation.

 
Le coronavirus est un problème mais on ne s’en occupe pas.
 

Globalement, cette expérience a été très intense beaucoup plus que je ne le croyais en partant. Je ne sais pas si nous avons réussi à aider les gens sur place. Une chose est certaine : il faut améliorer la situation sur le terrain en ce qui concerne au moins la prise en charge médicale de base. Il faudrait par exemple, réorganiser toute la chaine pour améliorer la collaboration entre les différentes organisations, les ONG, le système sanitaire local et les pays qui accueilleront les réfugiés. Cela permettrait de mieux répondre aux besoins des personnes en situation de fragilité. 

 
Il faut améliorer la situation sur le terrain en ce qui concerne au moins la prise en charge médicale de base.
 

Autre aspect important : les conditions psychologiques des réfugiés. Les volontaires se sont mobilisés pour leur venir en aide et éviter une dégradation de l’état des patients atteints de troubles de stress post-traumatique (TSPT) mais leurs compétences sont insuffisantes. Il faudrait là encore améliorer le système, coordonner les activités des équipes en les plaçant sous la direction de spécialistes des situations d’urgence ».

 

Traduction : Alexandra Bakchine

 

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