Décès de Marthe Gautier, découvreuse « oubliée » de la trisomie 21

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

4 mai 2022

Marthe Gautier

France – Marthe Gautier, médecin française co-découvreuse du chromosome surnuméraire responsable de la trisomie 21, est décédée samedi 29 avril, à l'âge de 96 ans. L’occasion de revenir sur l’histoire de cette découverte et du rôle-clé qu’y a joué cette chercheuse, victime comme d’autres femmes de sa génération, de l’effet Matilda (voir encadré).

Trisomie 21

Il y a cinquante-cinq ans, Marthe Gautier était cosignataire avec Jérôme Lejeune et Raymond Turpin d’une communication à l’Académie des sciences (Les chromosomes humains en culture de tissus, 1959), établissant la présence d’un chromosome surnuméraire dans un syndrome individualisé par Langdon Down en 1866. C’était la première aberration chromosomique autosomique reconnue dans les cellules de l’espèce humaine ; elle reçut en 1960 le nom de trisomie 21. Si l’histoire a retenu le nom de Jérôme Lejeune, celui de la jeune chercheuse est longtemps passée aux oubliettes, voici comment les choses se sont déroulées.

Effet Matilda

Nombreuses sont les femmes non reconnues pour le rôle souvent décisif qu’elles ont joué dans une découverte scientifique – quand elles ne sont pas purement et simplement évincées des récits d’histoire des sciences, et bien entendu exclues des remises de prix, même des plus prestigieux. On pense, entre autres, à l’astronome britannique Jocelyn Bell Burnell, découvreuse des pulsars radios et à la biologiste Rosalind Franklin, pionnière de la biologie moléculaire avec la découverte de la structure en double hélice de l’ADN pourtant attribué à trois hommes, James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, lesquels seront récompensés d’un prix Nobel en 1962. Le fait que beaucoup de ces scientifiques femmes n'aient accédé à la reconnaissance qui leur était due que – dans le meilleur des cas – bien des années après leurs découvertes, a été théorisé dans les années 80 par une historienne des sciences, Margaret Rossiter sous le nom d’effet Matilda. 

Un an à Harvard

Née en 1925 et issue d'une longue lignée de laboureurs du pays de Brie, Marthe Gautier s’engage dans des études de médecine en visant la pédiatrie. « En 1955, je soutiens une thèse en cardiologie pédiatrique, sous la direction de Robert Debré », raconte-t-elle dans le magazine La recherche qui vient de republier à l’occasion de son décès le récit qu’elle a fait en 2009 des circonstances de la découverte [1]. A l’époque, Robert Debré est, en effet, responsable de la pédiatrie en France. Alors qu’elle réussit brillamment l’Internat des Hôpitaux de Paris où les filles ne sont pas légion (2 sur 80 nommés), il lui propose une bourse d'études à l'université Harvard, aux États-Unis, où elle va passer un an pour approfondir ses connaissances.

Mais fait inattendu, son séjour américain prévoyait dans son contrat « un mi-temps de technicienne dans un laboratoire de culture cellulaire, afin obtenir, à partir de fragments d'aortes, des cultures in vitro de fibroblastes, cellules peu différenciées », raconte-t-elle. L’occasion pour l’étudiante d’acquérir une nouvelle compétence.

À son retour, elle prend un poste de chef de clinique dans le service de cardiologie infantile à l'hôpital Trousseau, chez Raymond Turpin. Ce dernier étudie les syndromes dits polymalformatifs dont le plus fréquent est le « mongolisme », caractérisé par un retard mental et des anomalies morphologiques. Il lui confie la responsabilité de développer des cultures cellulaires. Marthe Gautier, y met à profit ses connaissances acquises aux Etats-Unis, et entreprend le dénombrement des chromosomes. Ce n’est pas chose facile car, selon elle, dans les années 50, « nous sommes en France à l'an zéro de la culture cellulaire ». La jeune chercheuse choisit « de travailler sur des fibroblastes issus de tissu conjonctif, car celui-ci est facile à obtenir sous anesthésie locale ». Elle met au point son propre protocole expérimental – en donnant de sa personne, parfois même au sens propre quand elle utilise son propre sérum et même à ces frais pour acquérir du matériel de laboratoire.

Quand elle réussit enfin à cultiver du tissu conjonctif, elle adapte une technique récente permettant de provoquer un « choc hypotonique » suivi du séchage de la lame après fixation, afin de bien disperser les chromosomes des cellules en division et de rendre leur comptage plus facile. Mais elle y ajoute une touche bien à elle : « la coloration que j'emploie est une recette personnelle », précise-t-elle dans son récit de la découverte [1]. Elle constate alors ce qui vient tout juste d’être démontré, à savoir que les cellules des enfants normaux ont 46 chromosomes, mais s’aperçoit que les cellules des personnes atteintes de « mongolisme » ont 47 chromosomes.

En deuxième position dans la publication

Mais voilà, Marthe Gautier ne peut identifier ce chromosome surnuméraire avec son vieux microscope à faible résolution. C’est alors que Jérôme Lejeune, jeune chercheur au CNRS et élève du Professeur Raymond Turpin, lui propose de faire photographier les préparations de cellules dans un laboratoire mieux équipé. La chercheuse accepte de lui confier ses lames. On est en mai 1958. La jeune femme s'attend alors à la rédaction d'une publication. Mais, rien ne se passe. « Je ne vois pas les photos : elles sont, me dit-on, chez le patron, qui est peu communicatif, écrit Marthe Gautier des années après [1]. J'ai la sensation étrange et amère de devenir gênante ». Et pour cause…En août, Jérôme Lejeune assiste à un séminaire de génétique à Montréal où il fait état oralement de la « découverte française », photos à l’appui.

Cerise sur le gâteau, la première publication en janvier 1959 dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences [2], dont Marthe Gautier n’a pas été informée, voit son nom (mal orthographié et avec un mauvais prénom) apparaître en deuxième position après celui de Jérôme Lejeune, « contrairement à l'usage qui veut que le chercheur qui a imaginé et réalisé les manipulations soit le premier signataire », précise la chercheuse [2].

Par la suite cette découverte sera associée à Jérôme Lejeune, devenu entretemps Professeur de génétique, qui fera la promotion de cette découverte en se présentant sur la scène scientifique internationale comme le « découvreur » de la première trisomie humaine – laquelle est renommée trisomie 21 à Denver, en 1960. Le chercheur consacrera ensuite toute sa carrière à cette maladie génétique, y consacrant sa thèse en 1961. Il recevra la médaille d’argent du CNRS la même année, puis le prix Jean-Troy, avec Raymond Turpin et découvrira la trisomie 16 en 1962. En 1969, il est lauréat du prix William Allan, une des plus hautes distinctions pour un généticien.

Marthe Gautier, elle, abandonne la génétique pour consacrer sa vie professionnelle à la clinique pédiatrique cardiologique. « Quant à moi, en dette d'honneur et suivant mes convictions, conclut-elle sobrement son récit, je quitte ce chemin pour retourner à celui des soins envers l'enfant atteint de cardiopathie, domaine dans lequel j'avais, avant cette aventure, tout investi » [1].

Sans revendiquer à corps et à cri la paternité de la découverte du chromosome surnuméraire, la spécialiste de cardiologie pédiatrique n’a cependant pas été totalement effacée de l’histoire.

Réaffirmation de son rôle par l’Inserm

Il y a d’abord le récit publié par La Recherche en 2009 et dont des extraits sont rapportés ici [1], qui, 50 ans après les faits, amorce une controverse. Puis alors qu’en 2014, Marthe Gautier doit obtenir le Grand Prix de la Société française de génétique humaine lors d’un congrès scientifique à Bordeaux, la Fondation Jérôme Lejeune dépêche alors des huissiers pour s’assurer que les propos tenus par la chercheuse ne portent pas atteinte à l’honneur du Dr Lejeune, rapporte France Culture [3]. Les organisateurs annulent l’intervention de Marthe Gautier, alors âgée de 88 ans, et lui remettent la médaille plus tard, lors d’une cérémonie privée, apprend-on.

Mais il faudra l’intervention de l’Institution française qu’est l’Inserm, via son comité éthique, saisi par des biologistes indignés par la pression exercée par la Fondation Lejeune – aussi connu pour ses arguments anti-IVG – pour confirmer le rôle déterminant de Marthe Gautier dans la découverte. Dans un avis publié en 2014 [4], l’Institut de recherche va très clairement prendre fait et cause pour la chercheuse en écrivant noir sur blanc que « vu le contexte à l’époque de la découverte du chromosome surnuméraire, la part de Jérôme Lejeune dans celle-ci, a peu de chance d’avoir été prépondérante, sauf à ne pas porter crédit à la formation des personnes, (ici Marthe Gautier), dans l’acquisition d’une expertise (ici la culture cellulaire), a fortiori quand associée à un séjour hors de France (ici aux USA) ». Nul doute ne remet en cause que Jérôme Lejeune ait fait la promotion de la découverte, « ce qui, rappelle l’Inserm, est différent de la découverte elle-même ». Mais « l’approche technique est une condition nécessaire à la découverte » et Marthe Gautier y a joué un « rôle clé ».

Enfin, enfonçant le clou, l’avis stipule que « la découverte de la trisomie n’ayant pu être faite sans les contributions essentielles de Raymond Turpin et Marthe Gautier » et qu’ « il est regrettable que leurs noms n’aient pas été systématiquement associés à cette découverte tant dans la communication que dans l’attribution de divers honneurs » [4].

Curriculum Vitae [5]

Marthe Gautier est née 10 septembre 1925 à Montenils (Seine-et-Marne). Elle a mené ses études supérieures aux facultés de médecine et des sciences de Paris.

  • Externe (1946), puis interne (1951) des hôpitaux de Paris.

  • Diplôme d’anatomo-pathologie (1952).

  • Thèse en cardiologie pédiatrique sous la direction de Robert Debré. Sujet de thèse « Etude clinique et anatomopathologique des formes mortelles de la maladie de Bouillaud ou rhumatisme articulaire aigu, due à l'infection par le streptocoque bêta-hémolytique (1955).

  • Research Fellow, bourse d’étude de la Fulbright Foundation, à l’université Harvard, Harvard Medical School, Boston, Etats-Unis (1955-1956).

  • Chef de clinique dans le service de Raymond Turpin, chef de l'unité pédiatrique de l’hôpital Trousseau (1957-1960), crée le premier laboratoire de culture cellulaire (1957).

  • Attachée médicale dans le service de cardiologie infantile nouvellement créé du professeur Nouaille à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (1958).

  • Fondatrice et directrice du département d’anatomo-pathologie des maladies hépatiques de l’enfant à la demande de Daniel Alagille, directeur de l’unité de recherche Inserm 56 “Hépatologie infantile”, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (1966).

  • Créatrice et directrice du département de culture cellulaire (1966).

  • Maître de recherche (1967), puis directrice de recherche à l’Inserm.

  • Attachée consultante des hôpitaux de Paris (1978).

Distinctions et prix

  • Grand prix de génétique humaine de la Société française de génétique humaine et de la Fédération française de génétique humaine pour la mise en évidence des 47 chromosomes dans la trisomie 21 (2014).

  • Officier de la Légion d’honneur (2014).

 

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