France— Tour à tour, deux décrets ont récemment révolté le monde de la santé mentale. Au Journal officiel du 28 avril paraissait un décret portant sur la base de données Hopsyweb, laquelle recense des informations nominatives sur les patients faisant l'objet de soins sans consentement. Ce décret étend l'accès de cette base de données aux « représentants de l'Etat dans le département, à Paris, au préfet de police et aux services de renseignement ».
Deux jours auparavant, dans le Journal officiel du 26 avril paraissait un autre décret portant atteinte, selon un certain nombre de syndicats et de représentants de professionnels de la santé mentale, aux droits des patients en santé mentale. Le « décret précisant les dispositions de procédure pénale résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure applicables en cas de trouble mental » abolit tout simplement l'irresponsabilité pénale pour les malades mentaux dans certaines situations. Les dispositions de la loi dont découle ce décret avait été prise à la suite de l'affaire dite « Sarah Halimi », au cours de laquelle cette sexagénaire avait été tuée par son voisin, alors sous l'emprise des drogues.
Ce décret abolit l'irresponsabilité pénale lorsque l'auteur des faits se sera « intoxiqué » volontairement, ou lorsqu'il aura omis, volontairement, de suivre son traitement. Et c'est cette dernière mesure qui révolte le monde de la santé mentale, tant il est vrai que le garde des sceaux, Eric Dupont-Moretti avait promis que ne devait pas figurer dans ce décret la notion de traitement médical.
Dans un communiqué commun en date du 29 avril, la SPL (section psychiatrie légale), la CNEPCA (Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d'appel) et l’ANPEJ (Association Nationale des Psychiatres Experts Judiciaires) soulignent que « les personnes avec des troubles psychiatriques graves ne doivent pas être fichées comme des personnes dangereuses à surveiller ».

Dr Marie-José Cortes
La Dr Marie-José Cortes, présidente du syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), nous explique en quoi ces deux décrets menacent les droits des patients en santé mentale, et ce qu'il y a lieu de faire pour les protéger.
Medscape édition française : Quelle est la position du SPH concernant ce nouveau décret sur l'accès élargi à la base Hopsyweb ?
Dr Marie José Cortes : la position du SPH a d'emblée été très claire, puisque nous avons fait partie des syndicats qui ont soutenu un recours au nom des droits de l'homme, face à la logique de sécurité générale, lors de la publication du premier décret Hospyweb.
Hélas, notre recours a eu peu d’impact. Il est tout à fait clair que cette extension de l'accès au fichier Hospyweb au préfet et aux renseignements généraux est tout à fait inadmissible, et pour le SPH, et pour le monde de la psychiatrie et de la santé mentale, sans oublier les patients et les familles. Nous constatons que l'on considère qu'une personne qui a dû bénéficier de soins sans consentement est potentiellement dangereuse pour la société, au-delà de ce que sa maladie peut impliquer ou pas. Cette personne est assimilée à un danger d'État, éventuellement suspecte de comportement terroriste.
Je rappelle par ailleurs que la Cnil (commission nationale informatique et liberté) avait formulé un avis opposé à ce décret. Force est de constater que lorsque des structures et des institutions garantes des droits et devoirs des citoyens, émettent des réserves, elles ne sont pas prises en compte. Le SPH dénonce avec force cette extension exprimée dans un décret qui n'a pas non plus bénéficié de publicité, et a été oublié de manière insidieuse.
Quels sont les composantes du monde de la psychiatrie qui s'est offusqué de la publication de ce décret ? Quelle est la position du Conseil national de l'ordre des médecins, garant du secret médical ?
Dr Marie José Cortes : lors de nos premières démarches contre Hopsyweb, le Cnom était à nos côtés pour dénoncer une violation du secret professionnel. Force est de constater que l'opposition du Cnom n'a pas eu grand effet. Nous constatons que la sécurité d'État, sans que cela fasse l'objet d'un débat au sein des institutions élues, est considérée comme prioritaire par-dessus tout.
Vous avez aussi évoqué des précédents de recours au niveau européen, de quoi est-il question ?
Dr Marie José Cortes : Au moment de la publication du décret sur Hospsyweb, nous avions diligenté un recours auprès du Conseil constitutionnel et du conseil d'État, considérant qu'il y avait violation des droits de l'homme et du secret professionnel. Nous avions également introduit un recours auprès de l'Europe mais la démarche est extrêmement longue et n'a pas encore abouti.
Comptez-vous attaquer ce nouveau décret ?
Dr Marie José Cortes : Nous allons relire très attentivement ce texte, pour voir quel aspect juridique peut retenir notre attention, et, quoi qu'il en soit, énoncer une opposition de principe. Si nous trouvons la possibilité de l'attaquer de manière juridique, nous le ferons.
Deuxième décret paru ces jours derniers concernant la remise en cause de l'irresponsabilité pénale des patients sous addiction. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ce décret remet en cause les droits des patients en santé mentale ?
Dr Marie José Cortes : Nous n'allons pas nous perdre en conjecture. Au-delà de la consommation de substances, nous nous opposons au fait que soit inscrit dans le préambule du décret le fait qu'une suspension du traitement soit considérée comme un acte volontaire de la part du patient, et puisse donc être considérée comme à l'origine des comportements analysés. C'est vouloir ignorer le fait que la maladie mentale se nourrit du fait que la compliance au traitement et ses aléas fait partie de la maladie en tant que telle, car l'ambivalence et le déni des troubles font partie de la maladie en tant que tel.
Par analogie, cela revient aussi à dire qu'un patient diabétique qui pour de multiples raisons ne suit plus son traitement, fait un malaise au volant, provoque un accident de la route, est pénalement totalement responsable. Cela revient aussi à dire qu'un patient épileptique qui n'aurait pas pris son traitement peut être considéré alors comme pénalement responsable. Par extension, on peut aussi craindre que lorsque l'on mange trop de gâteaux et que l'on a des troubles cardio-vasculaires, les soins seront au frais du citoyen car il a été mauvais élève.
C'est une posture que l'on ne peut pas tenir. Mais c'est surtout une manière de méconnaitre le fait que l'ambivalence et le déni du trouble et donc les possibles aléas du traitement, sont des symptômes en tant que tel des maladies mentales que nous traitons.
Deuxième difficulté qui pour moi est d'ordre juridique et constitutionnel : le conseil d'État et le garde des sceaux ont bien stipulé qu'il n'est pas raisonnable de faire figurer dans le préambule quoi que ce soit qui fasse référence au traitement. Pourtant l'exécutif en fait fi. Vous comprenez bien que les patients, l'entourage des patients, les professionnels de la santé mentale, ne peuvent que manifester leur révolte et leur indignation.
Au-delà de l'expression de cette révolte et de cette indignation, quelles sont les procédures que vous comptez lancer contre ce décret ?
Dr Marie José Cortes : Nous avons diffusé des communiqués de presse signés par un nombre impressionnant d'acteurs de la santé mentale. Nous sommes tous vents debout et nous attendons une réaction de l'exécutif qui si elle ne venait pas, nous obligerait à considérer un recours auprès du Conseil d'État.
Vous pensez que l'exécutif va revenir sur sa copie après la publication de ce décret ?
Dr Marie José Cortes : nous allons adopter une posture prudente et attentive et laisser l'exécutif avoir l'opportunité de corriger ce que nous considérons comme une errreur. Néanmoins cela ne peut pas passer.
Pensez-vous que la publication de ces deux décrets quasi simultanément marque l'entrée dans une nouvelle période de criminalisation des patients en santé mentale ?
Dr Marie José Cortes : J'aimerais que ce ne soit pas le cas mais les expressions diverses dans les médias ces derniers mois nous prouvent le contraire. Il y a objectivement un mouvement de stigmatisation et de criminalisation des malades mentaux, à mauvais escient bien évidemment. Il suffit de voir la manière dont les médias se sont déchainés après la sortie sans autorisation de malades mentaux en janvier dernier, à l'hôpital Gérard Marchand à Toulouse, comment on fait fi des jugements des professionnels de santé mais aussi des institutions qui déterminent ce qui est constitutionnel et ce qui ne l'est pas, pour conclure qu'il y a là un sujet de gravité. C'est une alerte à prendre au sérieux.
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Citer cet article: Criminalisation des malades psychiatriques : deux décrets révoltent le monde de la santé mentale - Medscape - 4 mai 2022.
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