L’IA basée sur la reconnaissance de « signaux vocaux » pour détecter le risque de maladie coronaire

Washington DC, Etats-Unis – Une nouvelle étude prospective suggère que des caractéristiques vocales actuellement inaudibles, discernables uniquement par l’ordinateur, aideraient à identifier les sujets ayant une affection cardiaque confirmée ou suspectée, à haut risque de futures complications cardiovasculaires (CV).

Enregistrements vocaux de 108 patients

Les auteurs précisent que cette recherche est seulement la dernière en date suggérant un rôle potentiel des « voice biomarkers » – particularités acoustiques discernables avec des algorithmes de la machine-learning – dans l’évaluation du risque CV, avec des implications dans le dépistage, dans la stratification non invasive du risque et la télémédecine.

Les enregistrements vocaux des 108 patients de l’étude ont été analysés, des scores ont été attribués basés sur la façon dont ils s’exprimaient. Les patients ayant des scores dans le tiers supérieur comparés aux scores des deux-tiers inférieurs, avaient un risque 2,6 fois supérieur de souffrir d’un syndrome coronarien aigu (SCA) ou d’aller à l’hôpital pour une douleur thoracique dans les 24 mois suivants. De même, leur risque d’avoir un test d’effort positif ou une maladie coronarienne athérosclérotique (MCAS) confirmée par la coronarographie était triplé.

« Je dirais que cette technologie d’analyse vocale n’est pas un outil diagnostique à utiliser seul, précise Jaskanwal Deep Singh Sara, interne à la Mayo Clinic (Rochester), pour theheart.org| Medscape Cardiology. Après avoir sélectionné les personnes peu susceptibles d’avoir la maladie, nous pourrions identifier ceux qui ont un prétest de haute probabilité, l’utiliser comme un outil de dépistage puis aller vers les méthodes conventionnelles. Ou bien cela pourrait servir pour suivre les gens de façon longitudinale », propose le scientifique. « Mais peu importe la manière dont vous vous en servirez, cela deviendra un ajout aux stratégies existantes. »

Jaskanwal Deep Singh Sara a présenté ses résultats le 2 avril à la Session Scientifique virtuelle et présentielle du congrès 2022 de l’American College of Cardiology à Washington DC [1], il est l‘auteur principal de l’étude publiée le 24 mars dans Mayo Clinical Proceedings [2].

Des études antérieures avec des biomarqueurs vocaux identiques ou similaires ou encore des décrypteurs du signal vocal, ont montré une association significative avec une MCAS sous-jacente, une hypertension pulmonaire et, chez les patients ayant une insuffisance cardiaque, un lien avec la mortalité et le risque d’hospitalisation.

Mais cette étude est la première qui utilise des techniques d’analyses vocales pour prédire de façon prospective la survenue d’événements en rapport avec la MCAS, observe l'orateur.

 
Mais cette étude est la première qui utilise des techniques d’analyses vocales pour prédire de façon prospective la survenue d’événements en rapport avec la MCAS. Jaskanwal Deep Singh Sara
 

Méthode

Le biomarqueur vocal testé est issu – en utilisant des techniques d’intelligence artificielle (IA) appartenant à Vocalis Health – des signaux vocaux de plus de 10 000 patients ayant des maladies chroniques, insiste-t-il. Les algorithmes produits ont été développés pour analyser les particularités de 80 signaux-vocaux, telles que la fréquence, l’amplitude, la tonalité et la cadence.

Les patients de cette étude, qui avaient été adressés pour réaliser une coronarographie pour différentes raisons – douleur thoracique évocatrice d’angor, test d’effort positif, hospitalisation pour SCA ou évaluation préopératoire – ont chacun effectué 3 enregistrements vocaux de 30 secondes, qui ont permis d’isoler les caractéristiques du signal vocal.

Les scores assignés, basés sur la prévalence de zones d’intérêts sur le plan vocal, étaient classés entre -1 et 1. Dans l’analyse multivariée le rapport de risque (HR) du critère principal, défini par la survenue d’un SCA, l’admission ou consultation au service d’urgence pour douleur thoracique, pendant une période médiane de 24 mois était de 2,61 (Intervalle de confiance de 95% : 1,42-4,80 ; P=0,002) chez les patients ayant un score dans le tiers supérieur comparés à ceux dans les deux tiers inférieurs.

Le rapport de risques (HR) pour les critères secondaires – à savoir, un test d’effort positif ou une MCAS confirmée par la coronarographie au cours du suivi – était de 3,13 (IC 95% : 1,13-8,68 ; P=0,03).

Hypothèses mécanistiques

Les méthodes pour démasquer les maladies ou encore stratifier le risque s’appuyant sur l’IA, tendent à être mystérieuses, notamment quand il s’agit de déterminer ce qui est si informatif dans ce qu’elles captent. Dans cette étude, on ne sait absolument pas ce qu’il peut y avoir de commun entre la voix du patient et la MCAS ou le risque futur de SCA. « Tout ce dont nous disposons actuellement ne sont que des hypothèses basées sur la compréhension de la physiopathologie », reconnait le chercheur.

« Une hypothèse est que ce biomarqueur soit le témoin d’un processus systémique plutôt que la maladie coronaire proprement dite. Il se pourrait qu’il tire parti de modifications qui interviennent par exemple au niveau du système nerveux autonome », par exemple, propose-t-il, qu’il s’agisse d’une « interconnexion dynamique » entre différentes fonctions physiologiques qui sont sous la dépendance du nerf vague.

 
Une hypothèse est que ce biomarqueur soit le témoin d’un processus systémique plutôt que la maladie coronaire proprement dite. Jaskanwal Deep Singh Sara
 

« Cela pourrait être le cas », dit-il, parce que le champ d’action du vague est vaste, il innerve directement le larynx et les cordes vocales. Et des manifestations de la MCAS, telles l’angor et l’infarctus du myocarde peuvent avoir des expressions en rapport avec le système nerveux autonome vagal, par exemple les nausées, les sueurs ou les modifications de la pression artérielle.

L’autre hypothèse serait que la liaison entre la voix et le système CV témoigne de l’inflammation systémique associée à la MCAS, ajoute encore l'intervenant. Peut-être que le processus inflammatoire associé à l’athérosclérose « affecterait également les organes de la phonation et c’est cette pathologie parallèle que nous détecterions. ».

Mais il déclare prudemment « Nous avons besoin de plus de preuves avant de commencer à présenter ce type de concepts plus concrètement. Nous ne voulons pas surestimer nos affirmations. »

Et les algorithmes dérivés de l’IA « ne doivent pas devenir un objet que tout un chacun peut télécharger » en vue de l’utilisation privée à des fins diagnostiques ou pour l’estimation d’un risque, insiste-t-il. « Cela doit être employé d’une façon ciblée et être sous la supervision d’un praticien qui en connait les limites, et sait qu’il doit s’en servir comme un complément aux méthodes cliniques existantes ».

L'étude a été en partie soutenue par Vocalis Health, l’un des auteurs y est consultant. Les autres auteurs, y compris Sara, ont dit n’avoir aucun conflit d'intérêts.

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous le titre ‘Voice Biomarker' Shows Progress in CAD Risk Assessment. Traduit par le Dr Jean-Pierre Usdin.

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