Paris, France — En 50 ans, la consommation d’alcool par habitant a diminué de plus de moitié en France. Néanmoins, les consommations à risque restent importantes puisque 1,9 millions de Français ont eu, en 2021, une consommation moyenne au-delà du seuil des 20 g d’alcool pur/jour (équivalent à deux verres de vin), associée à un risque de cirrhose, selon une étude basée sur une modélisation. Les résultats ont été présentés lors des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (JFHOD 2022) [1].
C’est la première fois que des données de prévalence et d’incidence de la consommation à risque hépatique sont estimées en population générale. La modélisation mise au point par les chercheurs « constitue une aide pour définir et optimiser les politiques de santé publique visant à diminuer la mortalité par cirrhose », a précisé Claire Delacôte (Inserm, Unité 995, CHRU Lille), l’une des auteurs de l‘étude, lors d’une conférence de presse.
En France, la consommation d’alcool a nettement diminué depuis une cinquantaine d’années. Selon Santé publique France, le volume d’alcool consommé est passé de 26 litres d’alcool pur en moyenne par an et par habitant âgé de 15 ans et plus, en 1961, à 11,6 litres d’alcool en 2018, ce qui correspond tout de même à 97 litres de vin ou 232 litres de bière [2].

Tester l’impact des stratégies de prévention
Cette tendance à la baisse s’est toutefois ralentie depuis le début des années 2010. La part des 18-75 ans consommant de l’alcool quotidiennement est passée de 24% en 1992 à 11% en 2011, 9% en 2014 et 10% en 2017. Parallèlement, les ivresses semblent être de plus en plus fréquentes. En 2017, 21% des personnes interrogées ont déclaré une ivresse dans l’année, contre 14% en 2005.
Si les enquêtes successives permettent de connaitre la prévalence et l’évolution de la consommation d’alcool en population générale, « il n’est pas possible d'estimer le nombre annuel de nouveaux consommateurs d’alcool à risque hépatique », a expliqué Claire Delacôte, au cours de sa présentation aux JFHOD 2022. « Or, anticiper les conséquences [de la consommation d’alcool] est essentiel », avant d’envisager de nouvelles mesures de prévention.
Avec son équipe, la chercheuse a élaboré un modèle pour prédire la population à risque de cirrhose liée à l’alcool à partir des données des enquêtes, avec l‘objectif de « tester et évaluer l’impact de différentes stratégies de prévention », « estimer le nombre de maladies hépatiques évitables » et « aider à optimiser les politiques visant à diminuer la mortalité par cirrhose ».
Pas plus de dix verres par semaine
Un verre « standard » d’alcool correspond à 10 g d’alcool pur, soit un ballon de vin à 12° (10 cL), un verre de whisky à 40° (2,5 cL) ou un demi de bière à 5° (25 cL).
Il n’y a pas de consommation d’alcool sans risque. Un avis d’experts de Santé publique France (SPF) et de l’Institut national du cancer (Inca) propose toutefois une valeur repère associée à un risque considéré comme acceptable. Cette valeur est établie depuis 2017 à 10 verres d’alcool standard maximum par semaine, sans dépasser deux verres standards par jour et en ayant des jours dans la semaine sans alcool. Après 65 ans, il est recommandé de ne pas dépasser un verre standard par jour.
En reprenant les résultats des enquêtes ESPS (enquête santé et protection sociale) menées depuis 2002, les chercheurs ont « reconstruit le passé d’alcoolisation des Français » et simulé l’évolution des consommations à risque hépatique. Le risque hépatique est considéré comme intermédiaire pour une consommation de 20 à 50 g d’alcool pur par jour et élevé pour 50 g et plus par jour.
Baisse de 42% des consommations à risque
« Ce modèle quantifie pour la première fois l’incidence d’une consommation d’alcool à risque », précisent les chercheurs. Selon leurs estimations, la prévalence de la consommation à risque hépatique (> 20 g d’alcool/jour) serait passée de 8,8% en 1960 à 5,1% en 2014 chez les 15-64 ans, soit une baisse de 42%. Le nombre de nouveaux consommateurs à risque intermédiaire et élevé aurait diminué respectivement de 35% et 65%.
En tenant compte de l’évolution des consommations, les chercheurs estiment que près de 5% des 15-64 ans ont eu, en 2021, une consommation d’alcool à risque, ce qui représente 1,9 millions de personnes, dont 310 000 qui auraient une consommations associée à un risque élevé de cirrhose (≥ 50g d’alcool brut/jour).
Parmi les consommateurs à risque, huit sur dix sont des hommes. La prévalence de cette consommation à risque augmente avec l’âge (1,8% chez les moins de 35 ans, contre 8,7% chez les 55-64 ans). Malgré tout, « les moins de 45 ans sont quatre fois plus susceptibles d’initier une consommation d’alcool à risque hépatique élevé que les plus de 45 ans », a indiqué Claire Delacôte.
« Aujourd’hui, encore près de 60 000 individus deviennent annuellement consommateurs à risque hépatique intermédiaire, et 9 500 consommateurs à risque hépatique intermédiaire deviennent consommateurs à risque hépatique élevé », précisent les chercheurs.
Prédictions pour les cinq prochaines années
Pour prédire l’évolution des consommations à risque, deux scénarios ont été appliqués. Dans le premier, la légère diminution de la consommation annuelle d’alcool constatée actuellement se poursuit pour atteindre 10,6 litres d’alcool pur par habitants en 2026 (-4,5% en cinq ans). En cinq ans, on compterait alors 350 000 nouveaux consommateurs à risque hépatique en plus, selon la modélisation.
Dans le deuxième scénario, les chercheurs anticipent une baisse plus importante de la consommation d’alcool, qui atteindrait 10 litres d’alcool par habitants en 2026 (-10%). « On éviterait alors que 7 400 personnes démarrent une consommation d’alcool à risque hépatique chronique de 20 à 50 g d’alcool par jour. En même temps, 1 200 consommateurs à risque intermédiaire ne basculeraient pas dans une consommation à risque élevé », indique Claire Delacôte.
Cette baisse plus prononcée de la consommation d’alcool n’aurait toutefois qu’un effet léger sur l’incidence de la consommation à risque, puisque le nombre de nouveaux consommateurs à risque hépatique chronique serait réduit uniquement de 2%, a précisé la chercheuse. « Agir uniquement sur la consommation individuelle d’alcool ne sera pas suffisant pour diminuer le nombre d’individus à risque hépatique ».
Quel impact du binge drinking?
Pour améliorer la prévention, les stratégies pourraient s’appuyer sur une meilleure identification des individus à risque. « Il faut réussir à identifier ceux qui seraient prêts à basculer vers une consommation à risque hépatique », en ciblant plus particulièrement les individus avec une consommation quotidienne d’alcool, a commenté le Dr Alexandre Louvet (CHRU de Lille), l’un des auteurs de l’étude, lors de la conférence de presse.
Dans leur modélisation, les chercheurs se sont également intéressés à l’impact du binge drinking, défini par la consommation d’au moins six verres d’alcool par occasion, soit 60 g d’alcool pur. La prévalence du binge drinking a augmenté au passage des années 2010 pour atteindre 35% en 2014. Chez les 15-24 ans, la prévalence s’est stabilisée autour de 45%.
Chaque année, 500 000 personnes expérimenteraient pour la première fois le binge drinking, rapporte l’étude. « Le binge drinking à un âge jeune est associé de manière très claire au risque de devenir consommateurs quotidiens d’alcool », a précisé le Dr Louvet.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Près de 2 millions de Français auraient une consommation d’alcool à risque de cirrhose - Medscape - 22 avr 2022.
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