Paris, France – La décroissance thérapeutique, plus précisément l’arrêt de l’infliximab, est-il envisageable chez les patients atteints d’une maladie de Crohn en rémission soutenue sous traitement combiné par infliximab-antimétabolite sans corticoïdes ? C’est possible, sans risque ni perte de bénéfice, selon l’essai académique international SPARE[1] coordonné par le Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (GETAID) : les 40 % de rechute à deux ans sont en large majorité récupérables très rapidement avec la reprise de l’infliximab. Ces résultats étaient présentés en session plénière au congrès de la Société nationale française de gastroentérologie ( JFHOD2022 ) par son investigateur principal, le Pr Édouard Louis (gastro-entérologue au CHU de Liège).
Stratégies de décroissance thérapeutique à l’étude
La décroissance thérapeutique est-elle envisageable dans la maladie de Crohn en rémission prolongée sous combothérapie (association immunothérapie – immunosuppresseur, azathioprine, principalement) ? Cette question est d’importance car le standard dans la maladie de Crohn modérée à sévère, à savoir le traitement combiné infliximab (IFX)-antimétabolite (thiopurines ou méthotrexate) et ses conséquences possibles à long terme posent question. C’est la raison d’être de SPARE, un essai qui a été conduit sur une période de deux ans dans plusieurs pays (Belgique, Allemagne, Grande-Bretagne, Suède, Australie, France). Intitulé « Arrêt de l’anti- TNFα infliximab ou de l’antimétabolite dans la maladie de Crohn en rémission soutenue sans corticoïdes sous traitement combiné par infliximab-antimétabolite », il a testé les stratégies de décroissance thérapeutique en divisant les 205 patients recrutés en trois bras : infliximab-antimétabolite (Combo), infliximab seul (Stop antimet), antimétabolite seul (Stop IFX), pendant deux ans.
Pour être considérés en rémission, les patients inclus devaient avoir un score d’activité (Crohn’s Disease Activity Index ou CDAI) inférieur à 150 depuis au moins six mois et être traités par la combothérapie depuis au moins un an (IFX administré à 5 mg/kg/8 semaines depuis au moins six mois).

Pr David Laharie
« Deux co-objectifs primaires avaient été définis, présente le Pr David Laharie (gastro-entérologue, CHU de Bordeaux) et membre de l’équipe de coordination : tester l’hypothèse que l’arrêt de l’infliximab entraînerait un taux de rechute à deux ans* plus élevé que si l’on poursuit la combothérapie (ou lorsque l’on poursuit la combothérapie), et que le temps passé en rémission sur deux ans** n’allait pas être inférieur en cas d’arrêt de l’infliximab (et retraités par infliximab-antimétabolite en cas de rechute) ».
* La rechute était définie par : CDA1≥ 250 ou entre 150 et 250 avec un accroissement d’au moins 70 points lors de deux visites consécutives séparées d’une semaine, avec une CRP> 5 mg/l ou une calprotectine fécale > 250 µg/g ; nouvelle fistule anale ou entéro-cutanée ; abcès intra-abdominal (au moins 3cm) ou abcès péri-anal (au moins 2 cm) ; épisode d’obstruction intestinale confirmée par imagerie et nécessitant une hospitalisation.
** Le temps moyen restreint en rémission sur les deux ans : pour les patients rechuteurs, le temps était pris en compte depuis le premier jour de la rechute ajouté aux temps suivant après avoir retrouvé la rémission.
Échec de la stratégie thérapeutique : pas de rémission malgré l’optimisation en accord avec le protocole ; effets secondaires du traitement justifiant un arrêt ; abcès intra-abdominal (au moins 3cm) ou abcès péri-anal (au moins 2 cm) ; épisode d’obstruction intestinale requérant une résection chirurgicale ou une dilatation endoscopique.
Traitement combiné ou stopper l’IFX ou l’antimétabolite ?
Les résultats ont confirmé ces hypothèses : le taux de rechute dans les deux ans est supérieur en cas d’arrêt de l’infliximab (40 % ; CI 95 % : 4-23), ce qui correspond aux données de la littérature, par comparaison aux taux de rechute des deux autres groupes (10 % (CI 95 % :28-51 %) et 14 % (CI 95% : 2-18 %) respectivement Bras Combo et Stop antimet), en sachant qu’il n’y avait pas de différence significative entre ces deux derniers groupes.
« A deux ans, dans le bras Stop IFX, 60 % des patient n’avaient pas rechuté en dépit d’un traitement allégé. L’arrêt de l’IFX, mais pas de l’antimétabolite, était associé à un taux de rechute à deux ans significativement plus élevé qu’avec la poursuite de la combinaison thérapeutique, a résumé David Laharie. De plus, la grande majorité des patients, lorsqu’ils étaient traités à nouveau par IFX après une rechute, obtenaient la rémission assez facilement. Quant aux taux d’échec de la stratégie (complications, rémission non atteinte), ils étaient similaires dans les trois bras (10,4 % dans le bras Combo ; 8,4 % dans le bras Stop IFX, 16,4 % dans le bras Stop antimet) ».
Différences minimes vis-à-vis du temps passé en rémission
Le temps passé en rémission sur la période de deux ans est très proche dans les trois bras, avec un différentiel de quelques jours, indiquant une faible perte de bénéfice. « Sur les deux années de l’étude, chez les patients ayant stoppé l’IFX, le temps passé en rémission était inférieur de six jours (IC 95 % : -33 ; -44 jours) à celui du traitement combiné, annonçait le Pr Édouard Louis, et inférieur à 14 jours (IC 95 % : -22 ; -69 jours) à celui des patients stoppant l’antimétabolite ; des différences ne remplissant pas les conditions de la non-infériorité. »
« Le taux de rechute est de 40 % à deux ans en cas d’arrêt de l’infliximab chez des patients en rémission prolongée sous bithérapie infliximab-immunomodulateur sans corticoïdes, mais avec une rémission rapide avec la reprise du traitement, pour la quasi-intégralité des patients » indique le Pr Édouard Louis (gastro-entérologue, CHU de Liège).
Le temps moyen passé en rémission – second co-objectif primaire – était de 1,91 ans (1,83-1,99) dans le bras Combo, 1,89 ans (1,82-1,96) dans le bras Stop IFX et 1,93 ans (1,86-2,0) dans le bras Stop antimet.
Quant à la tolérance, 31 évènements indésirables sérieux (rechute de la maladie, infections) ont été rapportés chez 20 patients (10 dans le bras Combo, 8 dans le bras Stop IFX et 13 dans le bras Stop antimet). Aucun cas de cancer n’a été observé, une tuberculose est apparue dans le bras Stop antimet et deux infections sévères (pneumonie et péricardite virale) dans le bras Stop IFX.
« Ces résultats ouvrent la porte à des allègements thérapeutiques et nous permettent de discuter d’un arrêt de l’anti-TNF chez les patients qui en font la demande, souvent des malades jeunes (âge médian 36, 32 et 31 ans dans les bras Combo, Stop IFX et Stop antimet chez les malades inclus dans SPARE). Vouloir leur épargner – au moins temporairement – la contrainte des thérapeutiques, leurs effets secondaires potentiels, donne du sens à la question de l’allègement thérapeutique. SPARE nous permet de les rassurer en leur démontrant que 60 % des malades ne rechutent pas dans les deux ans et que, s’ils se trouvent dans ce cas, la restauration de la bithérapie anti-TNF-immunosuppresseur permet d’atteindre une rémission en quelques jours et dans 95 % des cas. Le temps passé en rémission sur deux ans n’aura alors été amputé que de deux semaines tout au plus, en moyenne ».
Un point de vigilance est l’apparition d’anticorps anti-TNFα. En effet, l’arrêt de la biothérapie (puis sa reprise) peut favoriser la synthèse d’anticorps-anti-médicaments. « Dans SPARE, le fait de pouvoir traiter avec succès 22 patients rechuteurs sur 23 nous laisse penser que maintenir systématiquement l’immunosuppresseur au cours des deux ans réduit l’immunogénicité de manière efficace, fait remarquer le Pr David Laharie. De plus, la pause thérapeutique est d’une durée relativement courte pour induire ce mécanisme ».
« Concernant l’échec en cas de remise sous traitement, l’échappement aux anti-TNFα est habituellement considéré comme étant de 5 % par an. Les résultats de SPARE (10 % d’échappement à deux ans) sont cohérents avec la littérature. On ne fait donc a priori pas courir de risque aux patients en leur proposant cette pause thérapeutique avec l’IFX » conclut le Pr David Laharie
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Citer cet article: Comment alléger le traitement de la maladie de Crohn ? - Medscape - 21 avr 2022.
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