L’antivaccinisme, un phénomène pas si contemporain

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

13 avril 2022

France ― A l’occasion du 15ème congrès de Médecine Générale organisé par le Collège de Médecine Générale[1], l’historien des sciences Laurent-Henri Vignaud, co-auteur avec Françoise Salvadori de l’ouvrage ANTIVAX, la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours – paru très opportunément en janvier 2019, mais rédigé bien avant la pandémie de Covid-19 – a rappelé, exemples à l’appui que l’antivaccinisme qui est apparu au grand jour pendant l’épidémie de Covid n’est pas un phénomène récent, ni même spécifiquement français. Détour par l’histoire.

Si l’on veut replacer l’antivaccinisme qui a émergé pendant l’épisode Covid dans un contexte historique, il faut savoir que les arguments critiques vis-à-vis de la vaccination n’ont rien de très nouveau, et « qu’il y a eu un discours anti-vaccin dès qu’il y a eu des vaccins », a résumé l’orateur. Dans l’ouvrage co-écrit avec Françoise Salvadori, docteure en immunologie et en virologie mais aussi maître de conférence à l'université de Bourgogne, les chercheurs ont établi quatre types d’arguments antivax : religieux, naturaliste, politique et alterscientifique, dont voici des exemples.

 
Il y a eu un discours anti-vaccin dès qu’il y a eu des vaccins  Laurent-Henri Vignaud
 

Risque de « minautorisation »

« Ce sont généralement chez les adeptes d’une religion que l’on retrouve l’antivaccinisme le plus total, avec certaines personnes refusant toute sorte de vaccins, mais cela reste souvent ultra-minoritaire, note Laurent-Henri Vignaud. Au XVIIIème au moment du débat sur l’inoculation variolique, certains théologiens se sont opposés à cette pratique au nom de la providence divine et du fait que l’on ne pouvait pas aller à l’encontre du dessin voulu par Dieu.

Le 8 juillet 1722, Edmund Massey, pasteur du Sussex, dénonce ainsi dans son sermon « une opération diabolique, qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur celles de la religion, une augmentation du vice et de l’immoralité ». A cette même époque, les médecins sont, quant à eux, partagés sur la question de l’inoculation.

 
Une opération diabolique, qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur celles de la religion  Edmund Massey
 

Dans les années qui suivent, la technique employée par le médecin anglais Edward Jenner qui inocule, non plus du pus de la variole mais celui de la vaccine issue d’une vache atteinte de la variole bovine, autrement dit la variola vaccina ou la « vaccine », constitue un véritable progrès. Beaucoup moins dangereuse et protégeant tout autant, cette nouvelle pratique se répand alors vite dans le monde entier. Mais non sans heurts !

« Ce transfert d’humeur animale à l’homme pourrait, dit-on, engendrer une transformation, une brutalisation de ce dernier », risquant ainsi de l’ensauvager, voire de le « minotauriser », comme le montrent certaines illustrations de l’époque (voir ci-dessous).

Publiée en 1802, la caricature de James Gillray « The cox pock », littéralement « la pustule de vache », illustre parfaitement cette peur d’une « vachisation jennérienne ».

Des craintes plus banales se répandent également. Par exemple, on redoute l’empoisonnement, suite à des contaminations diverses provoquées par la technique dite du « bras à bras », laquelle consiste à prélever une pustule chez un sujet vacciné plutôt que directement sur la vache atteinte.

Certaines craintes liées à cette nouvelle technique sont cependant justifiées. « S’il était rare que la vaccine transmette la « bovitude », il ne l’était pas que cette vaccination s’accompagne d’une contamination syphilitique », concède l’historien.

Des ligues contre la « tyrannie vaccinale »

Les résultats en demi-teintes de la vaccination – la variole est toujours présente au XIXème siècle – va conduire les Etats à mettre en place les premières lois d’obligation vaccinale contre la variole. « Quand la vaccination se politise, la résistance devient elle aussi politique et des ligues anti-vaccin – dont les premières apparaissent en Angleterre – vont se constituer dans les années 1860-70 ». La création de ces ligues contre la « tyrannie vaccinale » fait suite au « vaccination act » voté en 1853 au Royaume-Uni et qui prévoit que les enfants soient vaccinés au cours des trois premiers mois de leur vie – en France, le vaccin antivariolique ne devient, lui, obligatoire qu’en 1902, « assez tardivement ».

Entre 1880 et 1914, ces ligues vont fleurir à travers le monde et des manifestations –  tournant parfois à l’émeute – ont lieu dans divers pays du monde anglo-saxon mais pas seulement.

En 1885, une manifestation à Leicester en Angleterre aurait réuni près de 100 000 personnes et à Rio de Janeiro, en 1904, eut lieu la revolta de la vacina qui mobilisa les populations ouvrières noires contre l’obligation vaccinale. « Les politiques prennent le sujet à bras-le-corps et, en Angleterre, un grand débat au Parlement va aboutir à l’abolition de la loi de 1853, et à l’adoption d’une clause de conscience sur la vaccination à partir de 1907 » pour permettre aux récalcitrants de se soustraire à l'obligation vaccinale. « C’est l’autre période – avec les manifestations anti pass sanitaire récentes – où les vaccins ont mis des gens dans la rue », remarque l’historien.

Convergence des luttes contre la théorie des germes

La fin du XIXème- début XXème correspond aussi à la naissance de la théorie des germes ou bactériologie représenté par Joseph Lister en Angleterre, Albert Koch en Allemagne ou encore Louis Pasteur en France – une médecine nouvelle qui a fait l’objet de nombreuses critiques et sur laquelle va se greffer un discours anti-vaccin et faire converger des mouvements de pensée de l’époque.

« Le fait que cette nouvelle médecine expérimentale mise en œuvre par Claude Bernard, Paul Bert et Louis Pasteur soit très consommatrice d’animaux de laboratoire va ainsi entrainer la création de ligue de défense des animaux, des mouvements que l’on dirait aujourd’hui animalistes, contre les Pasteuriens », expose Laurent-Henri Vignaud.

Peuvent s’y joindre des groupes de pensée féministe qui voient dans le vaccin une « intrusion patriarcale détruisant le lien de mère à l’enfant. Ainsi au Brésil, ce sont les femmes qui sont, à cette époque, à l’avant-garde des manifestations contre la vaccination.

Le troisième point de convergence est le monde ouvriériste parce que les lois d’obligation vaccinale touchent particulièrement les populations pauvres contre ce sont eux dont on peut contrôler, ou pas, s’ils sont vaccinés, notamment à l’entrée des usines ou dans les maisons de charité qui accueillent les populations pauvres.

 
Des groupes de pensée féministe voient dans le vaccin une « intrusion patriarcale détruisant le lien de mère à l’enfant.
 

« Enfin s’y adjoint l’opposition de certains mouvements hygiénistes qui considèrent que cette « microbiolatrie » est une mauvaise manière de voir la santé et estiment que ce qui fait la bonne santé, c’est le comportement, l’environnement et non le fait d’être en contact avec tel micro-organisme et encore moins de se le faire injecter dans le corps ». Ainsi le chercheur, conclut-il son rappel historique.

Epoque contemporaine : la singularité française

Plus d’un siècle après, la France se singularise par une défiance vis-à-vis des vaccins. Laurent-Henri Vignaud a ainsi rappelé une enquête du Wellcome Institute de 2019 menée à l’échelle mondiale et portant sur l’attitude du public, à l’échelle mondiale, vis-à-vis de la science et de la médecine qui l’avait bien montré : 45 % des Français tendaient à ne pas être d’accord avec l’affirmation « les vaccins sont sûrs » contre 14 % en moyenne dans 67 autres pays. Sur une carte mondiale représentant le scepticisme vaccinal, la France faisait tâche (voir carte ici).

Que se cache-t-il derrière le terme antivaccinisme aujourd’hui ?

Il distinguer en degré et en nature ce que, par commodité, l’on nomme « antivaccinisme ». L’historien distingue trois catégories.

D’abord, l’hésitation vaccinale , soit un comportement de refus de certains vaccins ou de leur réalisation avec retard dans un contexte où les services de vaccination fonctionnent.

Ensuite le vaccino-septicisme , qui consiste à tenir un discours critique envers les vaccins pouvant motiver une posture d’hésitation ou de refus de la politique vaccinale.

Et enfin l’antivaccinisme en tant que tel, qui tiendrait à l’adhésion à une ou à des doctrine(s) hostile(s) à l’usage prophylactique de la vaccination.

Les vrais antivax restent très minoritaires

« Des chercheurs en sciences sociales ont essayé de circonscrire le phénomène et le quantifier, explique Laurent-Henri Vignaud. Ainsi Patrick Zylberman présente ces différents niveaux de réticence sous la forme d’une « pyramide du doute » dont la large base est celle de la négligence ou de l’indifférence sans discours militant derrière, le corps central celui du soupçon et de la défiance vis-à-vis du produit et/ou de ceux qui le produisent, et la pointe celle du refus complet de la pratique vaccinale, les vrais anti-vax ne représenteraient que moins de 2% de la population ».

« Ramené à la situation actuelle, en France, si l’on considère qu’il reste 6 millions de personnes non vaccinées contre le Covid-19, les enquêtes montrent qu’il y en a une bonne proportion qui ne peut pas être qualifié d’antivax, mais qui sont des personnes éloignées des soins, non touchées par les campagnes de communication, continue le chercheur dijonnais.  Une analyse importante qui montre que les plus radicaux sont ultra minoritaires mais que le phénomène plus large de l’hésitation vaccinale peut toucher une part plus importante de la population, jusqu’à 15/20/30% ».

 
Les plus radicaux sont ultra minoritaires mais le phénomène plus large de l’hésitation vaccinale peut toucher une part plus importante de la population. Patrick Zylberman
 

Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours, Françoise SALVADORI et  Laurent-Henri VIGNAUD, Vendémiaire Editions, 360 pages, 23 €

Une enquête sur trois siècles d’oppositions à une révolution médicale, qui éclaire les polémiques actuelles à la lumière des débats du passé.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....