Le traitement de l’hypertension artérielle gravidique modérée validé par une grande étude

Ted Bosworth

11 avril 2022

Washington DC, Etats-Unis – Selon une grande étude-ouverte, randomisée, contrôlée, les femmes enceintes ayant une hypertension artérielle modérée devraient recevoir un traitement anti-hypertenseur afin de réduire la survenue des complications maternelles et néonatales.

« Dans cette étude, traiter l’hypertension en cherchant à atteindre la tension artérielle cible a permis de réduire le risque de complications maternelles liées à la grossesse sans altérer la croissance fœtale », déclare le Dr Alan T. Tita, doyen associé de la Global and Women's Health, University of Alabama, Birmingham, lors des sessions scientifiques annuelles de l’American College of Cardiology (ACC2022) [1]. Les résultats ont été publiés simultanément dans Le New England Journal of Medicine. [2]

La question de savoir s’il faut traiter l’hypertension artérielle chronique au cours de la grossesse fait l’objet d’« une controverse internationale depuis des décennies », rappelle le Dr Tita qui a conduit l’étude Chronic Hypertension and Pregnancy (CHAP).

Sur le critère principal qui associait 3 événements – la survenue d’une prééclampsie sévère, une indication médicale à l’accouchement prématuré avant la 35ème semaine de gestation, le décollement placentaire ou décès fœtal/néonatal –, le traitement anti-hypertenseur a montré une réduction du risque relatif de 18% (30,2% vs 37%, rapport de risque : HR 0,82 ; P<0,001) comparé à l’absence de traitement.

Critère de sécurité principal : la petite taille pour l’âge gestationnel

Le surrisque de prééclampsie, qui est la conséquence théorique de la diminution de la pression artérielle, n’a pas été constatée chez les femmes dont le fœtus avait une petite taille pour l’âge gestationnel (PAG). Le taux de PAG définit sous le 10 percentile était légèrement plus élevé dans le groupe traité (11,2% vs 10,4%) mais la différence n’atteignait pas le seuil de la significativité (P=0,76).

En répondant à une question qui se pose depuis longtemps, les données de CHAP « vont changer nos pratiques », a déclaré la Dr Athena Poppas, intervenante invitée et cheffe de service de cardiologie (Lifespan Cardiovascular Institute, Providence, Rhodes Island). Elle s’accorde à dire que le traitement de l’hypertension artérielle modérée chronique – qui a été un dilemme pour les cliniciens – est maintenant résolu de façon acceptable.

Dans cette étude, 2 408 femmes ayant une hypertension artérielle modérée chronique définie par une tension artérielle de 160/90mmHg ont été randomisées, pour prendre un traitement dans le but d’obtenir une PA inférieure à 140/90 mmHg, soit vers la surveillance sans traitement sauf si la tension augmentait pour atteindre 160/105 mmHg. Toutes les femmes avaient une grossesse non-gémellaire. Elles ont été recrutées avant leur 23ème semaine de grossesse. L’hypertension artérielle sévère (au-delà de160/105mmHg) était un critère d’exclusion, tout comme l’étaient les comorbidités sévères telles les maladies rénales.

Bithérapie possible pour atteindre <140/90mmHg

Le bêtabloquant labetalol ou l’inhibiteur calcique nifédipine ont été les monothérapies antihypertensives préférées dans le protocole mais d’autres médications étaient permises. Afin d’atteindre la cible tensionnelle, la monothérapie était titrée à la posologie maximale avant d’introduire un second agent.

Après randomisation, les pressions systoliques et diastoliques ont diminué dans les deux bras mais de façon plus nette et plus constante dans le groupe actif, particulièrement au cours des 20 premières semaines après randomisation selon les tableaux présentés par le Dr Tita. Au cours de l’étude, les pressions systoliques moyennes étaient 129,5 et 132,6 mmHg respectivement dans le groupe actif et le groupe contrôle, les pressions diastoliques quant à elles étaient respectivement 79,1 et 81,5 mmHg.

Quand on évalue séparément les composants du critère primaire, les principaux avantages du traitement ont été la diminution du taux d’éclampsies sévères (23,3% vs 29,1% ; HR 0,80 [IC : 0,70-0,92]) et des accouchements prématurés (12,2% vs 16,7% ; HR 0,73 ; [IC : 0,60-0,89]).

Dans un large éventail de sous-groupes, comprenant notamment des patientes ayant ou non un diabète et celles traitées avant ou après 14 semaines de gestation, le bénéfice du traitement était net même s’il n’était pas statistiquement significatif. Il faut remarquer que 48% des patientes étaient d’origine africaine et 35% avaient un indice de masse corporelle au moins égal à 40kg/m². Le traitement bénéficiait à tous les groupes de cette stratification.

Si l’incidence des décollements placentaires (1,7% dans le groupe traité vs 1,9% dans l’autre groupe) et de décès in utero ou néonataux (3,5% vs 4,3%) a été moins fréquente dans le groupe traité, il s’agissait de complications rares dans les deux bras de l’étude. Les différences n’étaient pas significatives.

Le PAG sévère défini comme inférieur au 5ème percentile était numériquement moins élevé, mais non significatif, dans le groupe traité comparé au groupe témoin (5,1% vs 5 ,5%) et l’incidence de la globalité des complications maternelles était numériquement plus faible (2,1% vs 2,8%). Les incidences de chacun des composants de la morbidité maternelle : décès (0,1% vs 0,2%), œdèmes pulmonaires (0,4% vs 1,2%), insuffisances cardiaques (0,1% vs 0,1%) et affections rénales aiguës (0,8% vs 1,2%), étaient soit inférieures, soit comparables dans les groupes actif et témoin.

Le Dr Tita, qui qualifie CHAP comme l'étude la plus vaste et la plus globale sur l'intérêt du traitement de l’hypertension modérée au cours de la grossesse, indique que l’American College of Obstetricians and Gyneclogists (ACOG) étudie en ce moment ces résultats afin de modifier ses recommandations actuelles concernant le traitement de l’hypertension au cours de la grossesse. [Actuellement le seuil d’intervention est fixé à 160/110mmHg] [3].

« Le taux d’hypertensions chroniques au cours de la grossesse a augmenté aux Etats Unis en raison de l’âge moyen plus élevé des femmes enceintes et de l’importance de l’obésité », commente le Dr Tita.

« Nous avions définitivement besoin de ces résultats », insiste la Dr Mary Norine Walsh, cheffe médicale de l’Ascension Saint Vincent Cardiovascular Research Institute, Indianapolis. Non seulement parce que la question de traiter ou non l’hypertension modérée n’était pas résolue mais aussi parce que les taux de mortalité maternelle aux Etats Unis sont en augmentation, dépassent maintenant la plupart du temps celui de nombreux autres pays développés, souligne le Dr Walsh.

Il y a de nombreuses caractéristiques dans le libellé de cette étude qui rendent ses résultats encore plus précieux pour notre pratique clinique, selon le Dr Walsh. Notamment le fait que près de la moitié des patientes étaient affiliées à Medicaid. Confirmant le bénéfice, dans de ce que le Dr Walsh, qualifie de population « vulnérable ».

« Notre tâche maintenant est de nous assurer que la pression artérielle de nos femmes [enceintes] atteigne bien cet objectif », conclut le Dr Walsh. Elle précise que CHAP valide 140/90mmHg comme norme de soins.

L’étude a été financée par le National Heart Lung and Blood Institue.

Le Dr Tita a déclaré des subventions de recherche par Pfizer. Le Dr. Walsh a des intérêts financiers avec EBR Systems. Le Dr. Poppas n’a pas de conflit d’intérêt avec cette étude.

L’European Society of Cardiology [4] définit l’HTA gestationnelle comme débutant à la 20ème de semaine de gestation et disparaissant à la 42ème semaine post partum. Elle recommande de commencer le traitement chez toutes les femmes qui ont des chiffres persistants > 140/90mmHg ayant une hypertension gestationnelle (avec ou sans protéinurie), une HTA gestationnelle associée à une HTA préexistante et une HTA avec une atteinte subclinique d’un organe ou des symptômes à tout moment de la grossesse (Classe I Niveau C) et des valeurs ≥ 150/95 mmHg chez toutes les autres.

Dans l’étude CHAP 44% des patientes à l’entrée, prenaient de l’aspirine et 75% en fin de grossesse. Il s’agit en cas de risque modéré ou élevé de prééclampsie d’une recommandation européenne I A à partir de la 12ème semaine, jusqu’à la 36/37ème semaine [5]. JPU

 

Cet article a été publié initialement sur Medscape sous le titre Hypertension Control During Pregnancy Validated in Large Trial. Traduit et complété par le Dr Jean-Pierre Usdin.

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