EHPAD Orpea : un rapport accablant

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

6 avril 2022

France — Détournement de plusieurs millions d'euros du forfait soins, gestion calamiteuse des ressources humaines, dénutrition des résidents... Le rapport commun à l'Inspection Générale des Affaires Sociales et à l'Inspection Générale des Finances (IGAS/IGF) sur la gestion des EHPAD Orpea est un cauchemar.

Après un moment de doute, le gouvernement a finalement rendu public le rapport IGAS/IGF portant sur les EHPAD du groupe Orpea. Tout y est, ou presque : certaines données comptables du groupe, comme par exemple son bénéfice (Ebitda), ont été censurées. Néanmoins, les informations publiées par la mission sont suffisamment explicites pour se rendre compte de l'ampleur des manquements comptables et humains du groupe d'Ehpad, créé en 1989, et dont le chiffre d'affaires dépassait les 4 milliards d'euros en 2021. Fort de 228 établissements, employant 14 000 salariés et hébergeant 27 393 résidents, le groupe Orpea est considéré comme la plus grosse foncière santé en Europe. Un géant présent dans 23 pays. Aussi, pour mener son investigation en cinq semaines, la mission IGAS/IGF s'est appuyée sur des contrôles sur place, une analyse des rapports d'inspection des Ehpad par les Agences régionales de santé (ARS), ainsi qu'un exploitation des données propres à Orpéa.

Centralisation et priorité à la performance financière

Premier constat de la mission : le groupe Orpea est extrêmement centralisé, à tel point que les prérogatives des directeurs de chacun des EHPAD du groupe sont limitées. Ainsi les recrutements de personnel sont validés par le directeur régional, tandis que l'activité du directeur d'EHPA est encadrée par les « nombreuses procédures "qualité" du groupe et par le reporting budgétaire quotidien de l'établissement, pour respecter les objectifs qui lui sont fixés en matière de masse salariale, de résultat net ou encore de taux d'occupation ». Le pilotage des établissements donne « la priorité à la performance financière » : primes et bonus distribués aux directeurs d'exploitation ainsi qu'aux directeurs régionaux, qui peuvent atteindre 6000 euros par an, sont avant tout motivés par l'atteinte des objectifs financiers du groupe, la qualité de la prise en charge des résidents étant secondaires. Voilà pour le contexte.

 
La priorité à la performance financière.
 

Résultats financiers insincères

Les conséquences de cette « politique maison » sont catastrophiques : « l'un des effets de ce management est le dépassement récurrent de la capacité d'accueil autorisée, pratique identifiée dans 11% des Ehpad du groupe en 2019 ». Bien évidemment, c'est l'accueil des résidents qui en pâtit. Mais ce n'est pas tout.

Selon la mission Igas/IGF, la priorité donnée aux résultats financiers conduit le groupe Orpéa à présenter des documents financiers « insincères ». Ainsi une partie des budgets octroyés pour le forfait « soins » est mise en réserve, favorisant ainsi la constitution d'excédents, lesquels peuvent être répartis entre les actionnaires : « le montant total mis en réserve pour les EHPAD Orpea était de 20,1 millions d'euros en 2018, soit en moyenne 8,6% du forfait global relatif aux soins attribué au groupe Orpea cette même année. Sur ces 20,1 millions d'euros, seuls 6,8 millions d'euros ont été effectivement dépensés par Orpea conformément au code de l'action sociale et des familles, le reste ayant servi à des dépenses non conformes ou à la constitution d'excédents ».

À cette mise en réserve, il faut ajouter des excédents de l'ordre de 22,8 millions d'euros en 2021. Ces excédents et réserves ne sont pas renseignées dans les états prévisionnels des recettes et des dépenses adressées aux ARS. Et ce n'est pas tout : des charges ont été imputées sur le forfait « soins », qui n'auraient pas dû l'être. Il s'agit entre autres de rémunération des auxiliaires de vie, de la prise en charge d'une partie de la contribution économique territoriale et de la contribution sociale de solidarité des entreprises, de la prise en charge de l'assurance responsabilité civile... Des crédits non reconductibles, dans le cadre des forfaits soins, n'ont pas non plus été consommés ou restitués aux autorités : la mission a ainsi identifié 6 millions d'euros non consommés.

Taux de rotation des personnels élevé

À ces malversations financières, il faut ajouter une gestion des ressources humaines plus que lacunaire. « entre 2019 à 2021, le taux de rotation des personnels d’Orpea présente un niveau quasiment deux fois plus élevé que la moyenne du secteur (346 % de taux de rotation moyen chez Orpea contre 195 % pour le reste du secteur) », établissent les inspecteurs de l'Igas/IGF.

Aussi, la sinistralité au travail est plus élevée que dans le reste des EHPAD privés : 131,3 accidents du travail pour 1000 salariés contre 99 pour 1000 salariés dans le reste du secteur en 2019.

Les licenciements économiques sont aussi bien plus fréquents que dans le reste du secteur : 33% des départs du groupe contre 20% ailleurs.

De nombreuses irrégularités ont aussi été constatés en matière de gestion des ressources humaines : pour faire basculer les salaires des auxiliaires de vie (AV) sur le forfait « soins », les directions les ont déclarés en validation des acquis de l'expérience (VAE), alors que ces AV ne figuraient pas sur le dossier de suivi de la direction des ressources humaines.

Par ailleurs, « la mission a constaté des proportions très significatives d’irrégularités sur les contrats de travail dans chacun des EHPAD inspectés, qu’il s’agisse de CDD conclus dans l’attente de l’entrée en service de salariés jamais entrés en service (attente pouvant durer plus d’un an), de CDD conclus en remplacement de salariés inexistants (faux noms reconnus par les directeurs) ou de recrutement d’AV non qualifiés en remplacement d’AS », note les inspecteurs.

La mission relève aussi un taux d'encadrement en 2019 inférieur à celui du secteur des ehpad privés : « Au global en 2019, son taux d’encadrement était de 61,6 salariés pour 100 lits contre 62,1 en moyenne au sein des EHPAD privés à but lucratif. » Une telle carence de personnels « augmente donc le risque d'événements indésirable ».

 
Entre 2019 à 2021, le taux de rotation des personnels d’Orpea présente un niveau quasiment deux fois plus élevé que la moyenne du secteur.
 

52% des résidents en dénutrition

La nutrition des résidents laisse aussi à désirer. « La comparaison aux recommandations de référence du GEM-RCN pour les personnes âgées et aux publications internationales les plus récentes fait apparaître que les grammages utilisés par les cuisiniers des EHPAD Orpea sont significativement en-deçà de ces références pour les aliments protéiques (jusqu’à 42 % pour la viande). »

Résultat : plus de 52% des résidents des Ehpad d'Orpea « seraient en dénutrition modérée ou sévère ». Et, lorsqu'il y a des réclamations des résidents et de leurs familles, les réponses apportées sont « hétérogènes et non sytématiques d'un établissement à l'autre ».

Bref, le constat dressé par la mission IGAS/IGF est accablant pour Orpea. À la suite de la remise de ce rapport fin mars dernier, les autorités de tutelle avaient décidé de porter plainte contre le groupe Orpea, et de lui demander de restituer « des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés ».

Aussi, à la suite du scandale d'Orpea, le gouvernement a décidé de contrôler l'ensemble des 7500 EHPAD sur le territoire français en deux ans, mais aussi de renforcer le service d'aide à domicile.

 
Plus de 52% des résidents des EHPAD d'Orpea « seraient en dénutrition modérée ou sévère ».
 

Enfin, dans un récent rapport de la Cour des comptes sur la prise en charge médicale en EHPAD , les sages de la rue Cambon ont préconisé la réforme du financement des EHPAD et l'amélioration des Cpom (contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens),  mais aussi le renforcement de la prise en charge médicale.

Pour ce faire, la Cour des comptes a proposé d'intégrer dans les indicateurs de dépendance et de soins, « les besoins spécifiques liés aux troubles cognitifs », mais aussi encouragé le recours élargi des EHPAD au tarif global, afin de fidéliser leur personnel soignant, médecins compris. Enfin, outre la confection d'indicateurs sur les ratios de personnels, la Cour des comptes préconise également la conception d'indicateurs de qualité sur les consommations de médicaments et de psychotropes.

 

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