Etats-Unis, Pays-Bas — Alors que les gouvernements se préparent à vivre avec le Covid-19, certains se demandent dans quelle mesure ils peuvent compter sur les principaux fabricants pour adapter les vaccins contre d’éventuels futurs variants du virus.
Des signes de tensions entre les industriels et les autorités de régulation sont palpables concernant la stratégie à suivre, selon plusieurs sources proches de ces dossiers.
D’après certains experts, les agences gouvernementales devraient financer et aider à développer une nouvelle génération de vaccins Covid, et rechercher l'innovation auprès de petits développeurs, comme ils l'ont fait pour identifier les vaccins actuels.
« Nous avons mis en place une infrastructure de recherche qui peut être assez rapide à mettre en œuvre si nous mettons en place le même type d’organisation pour les vaccins de deuxième génération que nous l'avons fait pour les vaccins de première génération », a déclaré à Reuters le Dr Larry Corey, virologue en charge de superviser les essais de vaccins Covid soutenus par le gouvernement américain.
Discussions tendues entre l’EMA et BioNTech/Pfizer
BioNTech et Pfizer, qui ont développé le vaccin COVID le plus largement utilisé dans le monde occidental et l'Agence européenne des médicaments (EMA) se sont récemment affrontés sur la meilleure stratégie à suivre pour développer un nouveau vaccin contre le variant Omicron ou contre les variants qui pourraient suivre, ont déclaré à Reuters deux sources proches du dossier.
Selon un porte-parole de l'EMA, l'agence, ainsi que d'autres autorités de régulation [notamment françaises], encouragent les industriels à explorer des vaccins qui ciblent plusieurs variants.
Or, en janvier, BioNTech et Pfizer ont commencé à tester un vaccin conçu pour cibler uniquement Omicron, estimant que l’approche optimale consistait à s'attaquer à un nouveau variant prédominant à la fois.
Les mêmes laboratoires avaient déclaré qu'un vaccin modifié pourrait ne pas être nécessaire, même après que l'émergence du variant Omicron [fortement muté] ait entraîné une augmentation record des infections à la fin de l'année dernière.
Les experts de l'EMA ont demandé aux fabricants de vaccins d'accorder la même priorité à un vaccin ciblant plusieurs variants, estimant qu'il offrirait une protection plus large contre les futures mutations.
En réponse, mercredi 29 mars, BioNTech a déclaré que leur essai allait tester un vaccin ciblant Omicron et la version originale du coronavirus.
BioNTech a indiqué avoir décidé de tester plusieurs types de vaccins pour valider scientifiquement la meilleure stratégie vaccinale à adopter dans un avenir proche.
Un porte-parole de BioNTech a refusé de commenter les discussions de la société avec l'EMA. Pfizer n'a pas répondu aux demandes de commentaires de Reuters.
Du côté de Moderna et de GlaxoSmithKline
En parallèle, Moderna Inc, teste un vaccin qui cible à la fois Omicron et le coronavirus d'origine, dans le but de pouvoir le commercialiser à l'automne.
« Nous pensons que cela peut conduire à une protection sur un spectre plus large», a déclaré Jacqueline Miller, chercheuse chez Moderna, lors d'un événement de l'entreprise.
A noter que GlaxoSmithKline travaille également avec la biotech allemande CureVac sur un vaccin qui cible plusieurs variants du coronavirus.
Pourquoi adapter les vaccins ?
Les responsables de santé publique européens et américains font pression sur les laboratoires car si les vaccins actuels sont très efficaces contre les maladies sévères et les décès, ils ne le sont plus contre la transmission, alors que les niveaux d'immunité ont tendance à décliner en quelques mois.
Dans ce contexte, certains responsables sanitaires se demandent si les entreprises qui ont récolté des dizaines de milliards de dollars grâce aux vaccins Covid de première génération et qui sont susceptibles de gagner des milliards de plus grâce à des rappels répétés sont prêtes à dépenser de l'argent pour trouver des vaccins offrant une protection beaucoup plus large et plus durable, ce qui pourrait prendre années.
A ces allégations, Pfizer et BioNTech répondent que leurs décisions sont guidées par la science.
Où sont placés les investissements ?
Une approche nouvelle et innovante pourrait venir de petites entreprises qui auront besoin de financement pour les premiers travaux de développement, a déclaré le Dr Corey (Fred Hutchinson Cancer Center, Seattle, Etats-Unis).
Concernant les vaccins Covid, « nous devons faire mieux et être prêt à le financer », a-t-il précisé, ajoutant qu'une nouvelle génération pourrait être soutenue par un financement d'environ 2 milliards de dollars.
L'Union européenne a investi sur les futurs vaccins Pfizer / BioNTech dans le cadre d'un accord d'une valeur pouvant atteindre 35 milliards d'euros. Mais, cet accord oblige les compagnies pharmaceutiques à adapter leurs vaccins pour faire face aux nouveaux variants.
Les États membres de l'UE ont également exprimé leur intérêt pour des candidats vaccins ciblant plusieurs variants.
« Le message qu'ils ont envoyé aux laboratoires est donnez-nous plus d'options », a déclaré l'une des sources.
La Coalition internationale pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, qui a aidé à financer les premières recherches sur certains vaccins existants, dispose de 200 millions de dollars pour la recherche sur les vaccins de nouvelle génération. Elle a accordé de petites subventions à des fabricants, dont DIOSynVax du Royaume-Uni et MigVax d'Israël.
Avancée des recherches et questionnements
Parmi les principaux fabricants occidentaux de vaccins Covid, Pfizer et BioNTech semblent les plus avancés dans la refonte de leur vaccin.
Fin janvier, ils ont lancé un essai clinique testant les réponses immunitaires à un vaccin ciblant Omicron chez les personnes non vaccinées, et en tant que rappel chez les personnes entièrement vaccinées. Les résultats sont attendus en avril.
BioNTech a fait valoir que les analyses en laboratoire par d'autres chercheurs ont montré que l'exposition à Omicron des personnes précédemment vaccinées a conduit à une large réponse immunitaire contre les principaux variants antérieurs, ont indiqué les sources.
En revanche, les tests en laboratoire d'un vaccin BioNTech/Pfizer ciblant les variants Alpha et Delta ont donné une réponse immunitaire inférieure à ce à quoi on pourrait s'attendre avec un vaccin basé sur un unique variant (vaccin monovariant), ont-ils ajouté.
Un vaccin combiné pourrait soulever d'autres difficultés, notamment l'aggravation des effets secondaires temporaires observés avec les injections actuelles, a déclaré GSK. Dans le même temps, réduire la dose pour éviter cela pourrait compromettre l'efficacité. GSK a déclaré qu'il travaillait sur ces questions.
La position de la France
Interrogé par Medscape édition française sur la question de la nécessité d’adapter les vaccins, le Pr Alain Fischer, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale a répondu : « par rapport à des vaccins ARN monovariant, l’approche des vaccins ARN bivalents qui combinent la souche ancestrale et la souche Omicron me semble plus intéressante. Les études sont en cours et les données devraient être disponibles vers le début de l’été. Elles pourront servir à des arbitrages sur d’éventuels vaccins à choisir pour des rappels à venir à l’automne ».
De son côté, le ministère de la santé et des solidarités a confirmé : « En France, la position est de privilégier les vaccins multivalents versus les vaccins monovariants ».
Pour rappel, le 11 janvier 2022, le Groupe consultatif technique de l’OMS sur la composition des vaccins indiquait : « Il est peu probable qu’une stratégie de vaccination fondée sur une multiplication des doses de rappel du vaccin sous sa forme d’origine soit adaptée ou durable. […] Il faut des vaccins contre le Covid-19 qui, en plus de prévenir les formes sévères de la maladie et les décès, ont un impact marqué sur la prévention des infections et sur la transmission. Il serait bon de les mettre au point. »
Cet article Reuters a été initialement publié sur Medscape.com. Complété par Aude Lecrubier.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Les gouvernements appellent les fabricants de vaccins COVID à viser plus haut - Medscape - 6 avr 2022.
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