France — La Haute Autorité de santé (HAS) ne nous avait pas habitué à pareille initiative. Son collège vient de publier une lettre ouverte* « à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements » , pour alerter sur l'état critique du système de santé.

Pre Dominique Le Guludec
Tout y passe : pénurie des personnels soignants et médicaux, déserts médicaux, mauvaise qualité des soins, accès aux soins délicates, etc. Le Collège propose aussi tout un panel de solutions, à mettre en œuvre en urgence : revalorisation des rémunérations, transfert de taches, renforcement des formations, développement de la télémédecine, augmentation du nombre de Smur... La Pre Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS, nous explique le pourquoi de ce cri d'alarme.
Medscape édition française : Publier des lettres ouvertes sur le système de santé, est-ce dans les habitudes de la HAS ?
Pre Dominique Le Guludec : Non, ce n'est pas dans les habitude de la HAS. Nous publions les travaux de la HAS, mais rarement les avis du Collège. Si nous avons décidé de publier cette lettre ouverte, c'est parce que nous avons estimé que c'était le moment de le faire : il y a de vrais urgences à régler, de vrais soucis du système de santé. Cette lettre ouverte ne s'adresse pas aux candidats à l'élection présidentielle mais à tous ceux qui seront en position d'agir demain. Quotidiennement, des difficultés nous remontent, à la fois des personnels, des patients, des accompagnants. Il est vrai que le moment de la présidentielle est un moment de débat, et nous avons voulu alerter sur l'urgence à agir.
Pour l'hôpital, pourtant, un gros effort a été fait, avec la signature des accords du Ségur de la Santé. Vous pensez que ce n'est pas encore suffisant ?
Pre Dominique Le Guludec : Le système de santé est en tension depuis des années, et la crise épidémique n'a fait qu'aggraver les difficultés. Notre mission est d'améliorer la qualité des soins mais nous constatons, aujourd'hui, que nous rencontrons encore de nombreuses difficultés. Nous ne sommes pas là pour juger ce gouvernement, le précédent, ou le suivant. Notre but est d'alerter, de faire remonter des inquiétudes, de proposer des solutions, et d'inciter les acteurs concernés à se concerter pour résoudre des problèmes urgents.
Vous consacrez un paragraphe entier à la mauvaise qualité des soins. La tutelle est-elle au courant de ces manquements ?
Pre Dominique Le Guludec : Encore une fois, je ne suis pas là pour juger la tutelle. Notre but est de dire que nous sommes face à un système de santé au bord de la rupture, et il faut donc que tout le monde se mette autour de la table pour trouver des solutions, de court et moyen termes. Cela demandera des efforts de tout le monde.
Par exemple, nous sommes chargés entre autres de faire des recommandations de bonne pratique, mais encore faut-il qu'elles soient applicables.
Il faut vraiment travailler sur l'attractivité des métiers de santé, nous devons y concentrer tous nos efforts, de l'aide-soignante jusqu'au médecin spécialiste. Il faut conserver les professionnels en activité, faire revenir ceux qui ont quitté le métier, recruter de nouveaux professionnels, constituer des équipes complètes, stables...
De nombreux Français n'arrivent toujours pas à trouver de médecins traitants, c'est grave. Nous proposons des solutions de court terme et de moyens termes, car former de nouveaux professionnels de santé prend du temps. Nous pouvons déjà améliorer la qualité de travail des professionnels en activité.
De quelle manière ?
Pre Dominique Le Guludec : Dans les grandes villes, les personnels de nos hôpitaux habitent de plus en plus loin. Il faut donc mettre à disposition des logements proches de leur lieux de travail, multiplier les crèches pour les jeunes professionnels, diminuer la pénibilité des métiers, redonner du temps au chevet des malades, constituer des équipes stables, soudées...
À court terme, dans les zones blanches en situation de pénurie médicale, il faut développer la téléconsultation accompagnée... Il faut aussi faire bouger les lignes des métiers pour que les infirmiers ou les pharmaciens puissent faire des soins quotidiens et alerter le médecin quand la situation se complique. Il y a des solutions, modestes mais aussi de plus grande ampleur... Mais il faut absolument se saisir de ce sujet.
>>Voir ici l’intégralité des mesures proposées par la HAS.
Pensez-vous que les programmes santé des candidats à la présidentielle répondent aux urgences que vous décrivez ?
Pre Dominique Le Guludec : Je ne sais pas répondre à cette question.
On pourrait penser que le collège de la HAS a publié cette lettre ouverte car elle ne s'y retrouvait pas dans les propositions des différents candidats ?
Pre Dominique Le Guludec : Ce n'est pas aussi précis que cela. Il y a urgence, il faut mettre tout le monde autour de la table et trouver des solutions.
Avez-vous eu des retours sur votre lettre ?
Pre Dominique Le Guludec : Les professionnels de santé nous ont fait des retours et sont heureux que l'on attire l'attention sur ces problèmes connus de tous. Il est vrai que le collège de la HAS s'exprime peu souvent. Le simple fait de nous exprimer montre qu'il y a urgence à agir.
Envisagez-vous de reprendre la parole sur des sujets ayant trait à la politique de santé ?
Pre Dominique Le Guludec : Chaque année, nous devons rédiger un rapport d'analyse prospective sur un sujet donné. Nous avons ainsi publié des propositions ayant trait aux genres et à la santé, au numérique, etc. Tous les ans nous nous saisissons d'un sujet particulier : cette année nous allons publier une analyse sur l'expertise en santé, y compris pendant les crises. Mais je ne peux pas vous dire si nous allons de nouveau publier une lettre ouverte. J'ajouterai que nous avons consacré un dernier paragraphe dans cette lettre ouverte aux usagers de santé : nous pensons qu'il faut réellement les impliquer dans la gestion du système de santé. C'est aussi grâce à eux que nous allons améliorer ce système.
Fortes difficultés d’accès aux soins : le constat de la HAS
« …Près d’un cinquième de la population vit dans des territoires insuffisamment dotés en professionnels de premier recours et 1,7 million de personnes (3 %) sont très défavorisées pour l’accès aux trois professions de soins primaires (médecins généralistes, infirmiers et kinésithérapeutes)[1] .
Sept généralistes sur dix estiment que l’offre de médecins dans leur zone d’exercice est insuffisante, huit sur dix éprouvent des difficultés à répondre aux attentes et trois sur dix déclarent rencontrer des obstacles pour adresser leurs patients à des spécialistes – notamment dermatologues, ophtalmologues et psychiatres – du fait des délais d’attente [2] .
Le temps d’accès aux soins urgents est parfois trop long, conduisant à des pertes de chances pour les patients. En 2016, seulement 58 % des patients pris en charge pour AVC étaient arrivés dans un délai compatible avec une thrombolyse et 56 % de ces patients avaient bénéficié d’une imagerie dans l’heure suivant leur admission [3] . Pour les personnes en situation de handicap, les difficultés d’accès aux soins sont démultipliées et plusieurs professionnels nécessaires à leur prise en charge sont en sous-effectif sur l’ensemble du territoire (par exemple les orthophonistes) [4] . »
Source : Extrait de la lettre de la HAS
. *Le contenu de la lettre la HAS a été adopté par consensus
Isabelle Adenot, Élisabeth Bouvet, Pierre Cochat, Catherine Geindre, Cédric Grouchka, Dominique Le Guludec, Valérie Paris, Christian Saout
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Crédit image de Une : BSIP
Actualités Medscape © 2022 WebMD, LLC
Citer cet article: « Nous sommes face à un système de santé au bord de la rupture » : le cri d’alarme de la HAS - Medscape - 8 avr 2022.
Commenter