Troubles alimentaires chez les hommes ou le rêve risqué de la tablette de chocolat

Dr Thomas Kron

Auteurs et déclarations

11 avril 2022

Les effets potentiellement néfastes d'Instagram, de TikTok ou encore de certaines émissions de téléréalité sur l'image corporelle sont bien connus et souvent déplorés, en particulier concernant la santé des jeunes femmes. Mais les troubles alimentaires et dysmorphiques ne sont pas réservés au sexe féminin. L'anorexie et la boulimie touchent également les hommes (25-30% des cas). Souvent associé à une suractivité sportive pouvant conduire à la non-reconnaissance des symptômes, le diagnostic chez les hommes est souvent difficile… d’autant plus que ceux-ci recherchent encore plus rarement de l'aide que les femmes.

Des symptômes identiques à ceux des femmes

Dans 25 à 30% des cas, le diagnostic de trouble du comportement alimentaire concerne un patient masculin, selon le Dr Barbara Mangweth-Matzek (psychologue, université de médecine d'Innsbruck, Autriche). [1] Bien que les premières descriptions cliniques de troubles alimentaires chez les hommes datent du 17e siècle, « l'anorexie mentale ou la boulimie nerveuse sont toujours considérées comme des maladies typiquement féminines. » Après 300 ans d'histoire de la médecine et de la psychiatrie, les hommes concernés sont toujours considérés avec étonnement.

Depuis 1980, des études ont pourtant été réalisées sur une spécificité masculine des troubles alimentaires. « Les symptômes d'un trouble alimentaire sont pour l'essentiel identiques chez les hommes et les femmes », explique Barbara Mangweth-Matzek : « La boulimie présente de nombreux points communs entre les deux sexes. Quant à l’anorexie, ses caractéristiques symptomatiques principales sont la perte de poids auto-induite avec, pour conséquence, un poids insuffisant, une phobie de l’excès pondéral malgré ce poids insuffisant, ainsi qu’une perturbation de l'image corporelle ou une absence de conscience de la maladie. Mais contrairement aux femmes, les hommes anorexiques ont souvent des antécédents de surpoids. »

 
Contrairement aux femmes, les hommes anorexiques ont souvent des antécédents de surpoids..
 

Dans ce contexte, on accorde trop peu d'importance à la suractivité sportive, qui peut être extrêmement prononcée. Le sport étant toujours considéré comme synonyme de santé, il peut souvent conduire à la non-reconnaissance des symptômes. En outre, il est très difficile de reconnaître des modèles pathologiques « dans le contexte du sport. » Ainsi, selon Barbara Mangweth-Matzek, il existe des résultats scientifiques montrant que les hommes utilisent souvent le sport extrême comme « méthode de compensation boulimique, et non les vomissements provoqués, très typiques chez les femmes. »

La tablette de chocolat, très recherchée par certains hommes

Une particularité des troubles alimentaires chez les hommes serait que ces derniers sont souvent très orientés vers la masse musculaire, aspirant à un corps excessivement musclé, avec une proportion de graisse la plus faible possible. Un entraînement musculaire régulier et des choix alimentaires bien définis dominent leur quotidien. La dysmorphie musculaire, qui est une perturbation de l’image de soi, y est liée. Ces hommes n'ont jamais l'impression que leur musculature est à la hauteur de ce qu'ils considèrent comme un idéal physique.

La bigorexie

Selon de nombreux médecins et chercheurs, la promotion ou la mise en valeur de corps très musclés sur internet peut avoir un effet néfaste sur l'estime de soi des hommes et des adolesecnts, car la surabondance de photos de ventres en tablette de chocolat et de visages de boys band leur donnent le sentiment de ne pas être à la hauteur, comme le rapportait récemment un article du New York Times. [2] La quête de pectoraux parfaits serait ainsi tellement prononcée que des psychiatres parlent parfois de "bigorexie", une forme de dysmorphie musculaire qui touche surtout les hommes et qui se caractérise notamment par une prise de poids excessive ainsi qu'un régime alimentaire qui fait perdre de la graisse et gagner du muscle. Cette maladie peut conduire les jeunes hommes à être obsédés par leur apparence et à se regarder constamment (ou, au contraire, pas du tout) dans le miroir.

Les hommes homo- et bisexuels particulièrement touchés

Des études montrent que les troubles alimentaires sont plus fréquents chez les hommes d'orientation homosexuelle ou bisexuelle. [1] En effet, les hommes homosexuels sont nettement plus touchés (2 à 8 %) que les hétérosexuels (0,3 à 2 %) par ces troubles. Différentes hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène : « Les non-hétérosexuels vivent souvent leur corps comme un objet soumis à un idéal de beauté mince et musclé, et ils souffrent donc souvent d'insatisfaction face à leur image corporelle. » De plus, des troubles alimentaires peuvent survenir à la suite du stress auquel ils sont exposés en tant que membres d'une minorité sociale.

La double stigmatisation complique la recherche d'aide

Dans les deux sexes, les personnes concernées ressentent souvent de la honte, nient la maladie et s’isolent. Chez les hommes, s'y ajoute le fait qu'ils souffrent d'une maladie qui serait, selon la perception publique, typiquement féminine. Cela équivaut à une double stigmatisation. « Il est donc peu probable que les hommes concernés parlent d'eux-mêmes de leurs troubles alimentaires. Ces comportements doivent faire l'objet d'un questionnement clair et empathique, soit en routine, soit en cas de suspicion », souligne Barbara Mangweth-Matzek.

Traitement

Les personnes souffrant de troubles alimentaires consultent rarement pour cette raison, ou attendent des années avant de demander de l'aide. La double stigmatisation des hommes souffrant de troubles de l'alimentation contribue en outre à leur « non-disposition au traitement ».

Le traitement ambulatoire et hospitalier repose sur les mêmes principes pour les deux sexes. L'accent est mis sur la prise de poids par le biais d'un apport alimentaire hypercalorique dans l'anorexie, et sur l'arrêt des crises boulimiques et des comportements de compensation qui y font suite dans la boulimie. Dans les deux cas, il s'agit de restructurer le comportement alimentaire. L'identification des peurs et des croyances ainsi que la reprise de confiance en soi, dans son corps et dans le tissu social, sont des thèmes importants en thérapie comportementale individuelle. L'objectif essentiel semble être le développement d'une relation d'attention à soi-même qui n'existe souvent plus ou est fortement perturbée chez ces patients.

 

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